Dispersion des votes de gauche au premier tour… comment la (re)jouer collectif ? par François Fièvre

Billet invité.

Jacques Seignan a déjà largement souligné l’absurdité de la situation actuelle, qui voit se multiplier les candidatures à gauche, et proportionnellement s’éloigner la possibilité pour elle d’être présente au second tour de l’élection présidentielle de 2017. France insoumise en tête, PS pas loin derrière, puis plus loin EELV, et bientôt peut-être PCF, sans compter le NPA et LO… risquera-t-on d’avoir 6 candidats de gauche là où la droite n’en aura vraisemblablement que 4 (FN, LR, En marche et Debout la France) ? Tout le monde n’arrivera peut-être pas à avoir ses signatures, certes, mais en attendant, comme le dit Jacques Seignan, qu’est-ce qui fait exactement la différence entre un Benoit Hamon et un Arnaud Montebourg ? Ou un Philippe Poutou et une Nathalie Arthaud ? Ou même, oserais-je, entre un Jean-Luc Mélenchon et un Gérard Filoche ? Tous se revendiquent d’une gauche progressiste et écologiste, même si certains sont plus productivistes que d’autres, d’autres plus souverainistes que certains, etc. Mais en tout état de cause, ces guerres entre partis risquent de laisser à terme aussi bien la gauche sur le carreau… que les partis eux-mêmes.

On comprend parfaitement l’argumentaire de Dartigolles, Chassaigne & Co., qui ont du mal à l’idée de faire se rallier le PCF à un mouvement de bric et de broc comme la France insoumise, dont le seul point structurant, vu de loin, semble être l’approbation des moindres faits et gestes de Jean-Luc Mélenchon. On peut en effet reprocher à juste titre à ce dernier non pas de partir tout seul, ce qui est une absurdité vu la quantité de soutiens qu’il a obtenus, mais de faire fi de la logique clanique des arrangements entre partis : sans doute a-t-il eu raison d’en avoir eu marre des petits accords entre partis faits indépendamment de la masse des votants, mais fallait-il pour autant ne plus tenir du tout compte de l’opinion de ces derniers ? Mais à l’inverse, ne peut-on également reprocher à Dartigolles, Chassaigne & Co. de ne pas voir plus loin que le bout de la logique de leur appareil politique ? Leur logique a ses mérites, mais a l’immense défaut de n’avoir de pertinence que loin des regards des votants, qui en ont par dessus la tête de voir que plein de gens qui partagent les mêmes idées, à quelques détails près, ne sont pas capables de se mettre d’accord pour proposer une seule candidature. J’ai pris l’exemple du désaccord France insoumise / PCF qui fait la une depuis le vote du PCF ce samedi 5 novembre, mais la candidature autonome d’EELV est tout aussi problématique de ce point de vue (je mets de côté volontairement le NPA et surtout LO qui ont leur logique propre, qui n’est clairement pas celle d’arriver au pouvoir).

Donc, devant cette guerre des têtes de liste qui fait que se multiplient les candidatures, comment la jouer collectif ? En proposant une candidature de plus qui serait celle de Thomas Piketty ? Avec tout le respect que j’ai pour M. Jorion et ceux qui le rejoignent dans cette idée, je crains que cela ne soit une solution comparable à celle d’utiliser un tournevis pour enfoncer un clou. D’une part parce que Thomas Piketty s’est déjà prononcé publiquement par la négative sur l’idée de se présenter à la présidentielle, et que militer pour sa candidature revient de ce point de vue non à lutter pour la réalisation d’une utopie, mais à poursuivre une chimère dans le désert. D’autre part parce que même si d’aventure il prenait à Piketty l’idée de se présenter, il se heurterait de fait à la logique clanique des partis déjà soulignée, où personne n’a intérêt, au nom de son institution (PS, EELV, PCF…) à se voir représenté par quelqu’un qui n’est pas du sérail.

Paul Jorion sait que je suis personnellement du côté de la France insoumise : c’est clairement à l’heure actuelle le programme qui a le plus le vent en poupe, et qui est le plus avancé et le plus cohérent du point vue politique, institutionnel et écologique. Mais si je soutiens Jean-Luc Mélenchon, c’est à défaut d’autre chose. Et cette autre chose que j’appelle de mes vœux, ce n’est pas un « homme providentiel » qui serait Thomas Piketty, et qui ne serait qu’une solution individuelle, et donc une non-solution au problème « comment la jouer collectif ? ». Le problème n’est pas en effet tant de savoir autour de qui tout le monde va pouvoir se réunir, mais plutôt quelles modalités d’organisation autorisent le maximum de monde à se réunir autour d’un projet qui ne soit pas incarné par un candidat, mais simplement porté par une tête de liste. Le Front de gauche, cartel de partis, a eu l’efficacité limitée qu’il a eue, et il s’agit de dépasser la logique d’arrangements entre partis qui plombe le PCF comme EELV, tout en ne cédant pas aux sirènes d’une communion directe entre un homme et le peuple, anti-démocratique au possible, que cet homme soit Jean-Luc Mélenchon ou un autre.

Du coup, ce que j’appelle de mes vœux, c’est que la France insoumise, le PCF, EELV et les autres composantes de la gauche non-gouvernementale (Nouvelle donne, Ensemble, Radicaux de gauche, etc.) puissent arriver à s’entendre non tellement sur une candidature commune, mais sur une candidature collective. Que celle-ci soit portée par une seule tête de liste, c’est obligatoire vu le régime sous lequel l’élection présidentielle a lieu, qui fait de celle-ci un lieu de démonstration éminemment personnel du pouvoir. Mais si l’on veut casser cette dynamique très Ve République tout en restant dans son cadre institutionnel, en quoi, par exemple, la loi interdirait-elle à un candidat à la présidentielle d’annoncer dès sa candidature tout ou partie de son gouvernement ? Admettons par exemple que Jean-Luc Mélenchon reste tête de liste d’une telle candidature collective (mais on pourrait très bien en décider autrement), rien n’empêche par exemple que la France insoumise annonce d’ores et déjà vouloir porter le nom d’Arnaud Montebourg pour le poste de ministre de l’Industrie, celui de Thomas Piketty pour le ministère des Finances, ou celui de Christiane Taubira pour celui de Premier ministre (ou tout à fait autre chose, ce n’est pas le problème, et il ne s’agit pas pour moi ici de réaliser une dream team). Certes l’élection présidentielle est avant tout l’élection d’une personne, et non d’un collectif de personnes. Mais une fois au pouvoir, le président n’est qu’une partie du gouvernement, et n’en est pas la totalité, et il serait par ailleurs démocratiquement plus respectueux des citoyens d’annoncer la couleur du gouvernement avant que l’élection n’ait lieu plutôt qu’une fois que celle-ci ait été remportée. Il ne s’agit bien évidemment pas de présenter officiellement une liste à l’élection présidentielle, ce qui serait contre les règles et invaliderait la candidature, mais officieusement, dans la communication politique et dans les media, de présenter un projet politique qui ne soit que porté par un homme ou une femme, et non incarné par lui ou par elle. En quelque sorte, la nature collective de la candidature doit apparaître comme une mesure appartenant au programme politique, et non comme une modalité d’inscription à l’élection – du moins tant qu’on reste dans le cadre de la Ve République.

Alors, Thomas Piketty président et Jean-Luc Mélenchon Premier ministre, ou l’inverse, ou avec d’autres noms ? Peu importe en réalité, on aura déjà fait un pas de géant si on arrive à la jouer collectif, et à tordre les règles implicites de l’élection présidentielle qui consistent à faire se rencontrer uniquement un homme et un peuple… faisons se rencontrer plutôt un projet et un peuple, la démocratie n’en sortira que plus forte, elle qui a trop souffert, et souffre encore, de la simple évaluation du caractère ou de la vertu d’un homme à exercer le pouvoir… là où on a simplement besoin de savoir sa capacité à travailler ensemble à un exercice collectif de ce pouvoir. Entre autres vertus possibles : cela ferait sortir Jean-Luc Mélenchon de sa position hostile aux « arrangements entre partis » ; cela ferait mentir ceux qui voient dans sa candidature une initiative purement personnelle ; cela ferait mentir ceux qui voient dans les actuelles candidatures EELV, et possiblement PCF, de simples sursauts d’agonie des appareils traditionnels de la vie politique ; cela court-circuiterait partiellement l’hyper-personnalisation des candidatures par le discours médiatique ; et last but not least cela donnerait peut-être une chance à la gauche de s’en sortir honorablement à l’élection proprement dite, voire – allez savoir – d’être présente au second tour.

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