Billet invité. Ouvert aux commentaires.
Des Nanoparticules et des Pétawatts pour éteindre la radioactivité ? Une tranche de science pour y réfléchir, et dépasser aussi un peu ce cadre :
Un journal russe en français signalait en 2015 une percée possible dans la décontamination radioactive, grâce à des lasers et à des nanoparticules. Il s’agit d’une série d’études dans l’équipe du prof. Shafeev (translittération française Chafeïev), dont un exemple est ici.
La possibilité de déclencher des transmutations par des lasers très intenses a été actée en 2003 par une équipe allemande (H. Schwoerer) confirmée par celle de l’université Strathclyde de Glasgow notamment. Le changement d’isotope a pour but de se débarrasser des isotopes de durée de vie intermédiaire (2 ans – 200000 ans), pour aller vers des cascades de désexcitation plus rapides ou des noyaux stables.
Cette possibilité avait été aussi envisagée vers 2000-2003 par un chercheur français spécialiste des impulsions lasers et experts sur les sujets d’énergie, Charles Hirlimann, et qui a récemment traduit en anglais les propositions d’une équipe qu’il a dirigé à l’époque dans un document Arxiv (Laser induced nuclear waste transmutation, paru en français dans la série « Lasers et Technologies Femtosecondes », M. Sentis and O. Utéza Ed., (Publications de l’Université de Saintâ€Etienne), p. 69-80, 2005.)
Les trois dernières lignes suggèrent une politique « du moins pire » pour les centrales nucléaires : prévoir en leur intérieur un vaste espace de décontamination sur place, en espérant qu’on y arrive un jour à échelle industrielle. Pierre pour débats futurs à garder en tête. (« Note added at the time of the translation (March 2016) : The general idea sustaining this work is that it would be safer to keep the nuclear waste confined inside the nuclear plant where it is generated. In this way, nuclear plants should add two more facilities : one for isotope separation and a large laser one.)
Tout cela fait aussi penser au “Rubbiatron”, l’idée de Carlo Rubbia d’avoir des réacteurs spéciaux sous-critiques (qui n’explosent pas mais nécessitent un circuit d’injection d’énergie par faisceaux) pour transmuter les restes dans les « bons » cycles.
En ce qui concerne le mécanisme exact de la transmutation induite par laser, c’est en gros ainsi : un laser très intense (térawatt 10^12 à pétawatt 10^15 W en puissance crête) et très focalisé peut accélérer des électrons jusqu’à des énergies ultra-relativistes (énergies cinétiques de > 10 MeV, l’énergie au repos « E = mc² » de l’électron étant 0,511 MeV), de par ses champs électriques et magnétiques bien plus intenses que ceux qui retiennent les électrons autour des noyaux. Ces électrons immensément accélérés peuvent pour leur part freiner brutalement quand ils arrivent dans la matière. Ils induisent alors des douches de rayons gamma énergétique par leur « rayonnement de freinage » (Bremsstrahlung, le même que dans les synchrotrons fondamentalement), et ce sont ces rayons gamma qui en bout de chaine peuvent produire les transmutations désirées. Le but est, rappelons-le, de transformer un élément actif à longue durée de vie (le Césium Cs137 : 30 ans, les isotopes les pires du Plutonium Pu, qqs milliers d’années…) en isotope à courte durée de vie (jours ou secondes) pour retrouver de la matière manipulable et « relaxée » de son excitation interne.
Comme l’indique mon titre « Nano et Péta », je prends l’occasion pour vous parler de ces nanotechnologies (1 nm = 1/10^9 m) , des lasers pétawatts (10^15 W) et de la radioactivité de divers points de vue.
- Effet tunnel : Tout d’abord, il faut comprendre au moins qualitativement pourquoi ce qu’on fait avec un quelconque bout de tissu fluorescent (type gilet de sécurité jaune), à savoir rentrer des photons dedans pour qu’ils soient absorbés, puis observer la désexcitation (jaune) des molécules qui rendent des photons d’un peu moindre énergie, pourquoi, donc, ceci n’est pas si simple avec les noyaux radioactifs, pourquoi ils n’ingurgitent pas facilement un p’tit électron, un proton ou photon gamma, alors qu’ils émettent sans s’arrêter ce genre de chose.
L’explication pour la radioactivité alpha (on avait les données déjà…) remonte à George Gamow (né à Odessa en 1904…) et aux débuts de la physique quantique en 1928 : il y une barrière pour sortir du noyau, très élevée, mais franchissable « par en-dessous » : par onde évanescente dirait-on en optique. La barrière est dite « coulombienne » : venant de dehors, on rencontre le champ électrique du noyau de même signe que la particule, donc répulsif, avant de ressentir l’attraction de l’interaction forte dans le noyau entre nucléons. La barrière coulombienne est donc ce qui maintient un certain temps la particule dans le noyau. Pour un essai donné de passage à travers la barrière, toutefois la probabilité est infime, car la décroissance de la probabilité de présence (le module carré de la fonction d’onde) dans la barrière est une exponentielle très rapidement décroissante. Ce peut donc être aussi petit que 10^-27 par passage ! Mais la particule prisonnière fait un grand nombre de rebonds sur les barreaux de sa cage, peut-être 10^20 par seconde. Du coup, au bout de 10^7 secondes, soit 100 jours, elle y arrive. A l’inverse, si je me pointe à l’extérieur avec une énergie comparable à celle qu’il faut pour retrouver la particule à l’intérieur, la probabilité de passage ne change pas, pour l’essentiel : c’est 10^-27 par essai. D’où la nécessité d’un immense flux de particules et d’un grand nombre de noyaux pour les recevoir si au final on veut observer quelques milliers seulement d’évènements intéressants (disons quelques milliers par seconde, dans un échantillon d’une mole, 6,02×10^23 atomes, soit 235g d’Uranium U235 par exemple (environ 11 cm3)). L’exploit des expériences de 2003 de transmutation laser, c’est d’être parvenu à ce type de seuil : créer assez de photons gamma pour observer des évènements en quantité scientifiquement convaincante.
Mais le laser a ici un inconvénient par rapport à un flux d’autres particules (neutrons, neutrinos, électrons, gamma,…) : de tels faisceaux très focalisés étant prompt à ioniser tous les atomes qu’ils trouvent sur leur chemin, dans la zone du foyer (disons ~10 µm), on ne peut conduire le laser à l’intérieur de la matière. C’est à vérifier mais les transmutations observées ont dû l’être dans une couche très mince d’une fraction de micron, de sorte que les atomes relativement internes y recevaient les électrons accélérés issus des atomes externes dans une mutuelle proximité. En revanche, un échantillon de 1 mm d’épaisseur pose un problème plus difficile, il faut le réduire en poudre fine pour faire ce qu’on veut. Ce problème de division de la matière n’est pas sans rappeler les premières séparations isotopiques du « calutron » à Oak Ridge pendant le projet Manhattan.
- Dans ce contexte, l’annonce russe a un petit parfum de fusion froide. Les mots « fusion froide » figurent d’ailleurs dans le titre d’un des articles de Shafeev, celui dont j’ai donné le lien plus haut [« Nuclear-chemical processes under the conditions of laser ablation of metals in aqueous media (problems of “cold fusion”) »].
En 1989, à l’apparition médiatique de la « fusion froide », ce sont des évènements de fusion de deutérium lorsque ces atomes sont mis en insertion/solution solide dans le Palladium par voie électrolytique qui sont censés apparaitre, et on peut les détecter notamment par un excès de neutrons. Les « inventeurs » de la fusion froide, Pons et Fleischmann disent observer carrément un dégagement de chaleur très fort. Pons et Fleischmann sont des électrochimistes de renom, je le confirme car à l’époque j’avais juste fini ma thèse dans une petite équipe dirigée par un excellent électrochimiste/physicien. La caractérisation par les neutrons, c’est ce que mes voisins de labos plus expérimentés que moi à l’ENEA (le CEA italien) et l’Istitutto di Struttura della Materia de Frascati, où je suis quelque temps, vont essayer de faire, avec des résultats au mieux mitigés.
On sait qu’aujourd’hui, la fusion froide n’a guère prospéré que comme secte. Avec son journal, son (ses ?) prototype(s ?) « qui va… », « qui va bientôt… », « qui est presque déjà » , etc. J’assume mon rôle de sceptique sur ce thème.
- Pourquoi les Russes dans cette étude de décontamination ? les Russes sont forts en lasers depuis assez longtemps, mais comparativement à l’ouest ou à l’Asie orientale, n’ont pas eu accès à de la nanotech « déterministe » (structures faites sur mesure, avec insolation d’une résine dans un microscope électronique en mode dit « nanomasqueur », résolution de 2…5 nm suivant résine, etc). Du coup, ils font beaucoup d’investigations dans des milieux poreux, désordonnés, composites. Pas d’objection à cela d’ailleurs. Du coup, ils ont plus de chance d’observer « quelque chose dans un mélange un peu compliqué » que ceux qui travaillent en isolant d’abord des systèmes « propres ».
- Nano à la rescousse ? Le champ électrique d’un laser doit être assez fort pour ioniser puis accélérer en 10^-15 seconde un électron. Or tout un chacun connait l’effet de concentration du champ par les pointes, qui permet au paratonnerre de fonctionner. La même histoire est déclinée (ad nauseam dirais-je) en nanophysique : les affaires d’exaltation du champ électrique près des nanoparticules métalliques, c’est un des grands thèmes de la nanophysique, et d’un de ses sous-ensemble le plus populaire, la « plasmonique ». C’est toujours l’effet paratonnerre mais appliqué à une nanoparticule métallique (plasmonique pour faire chic, du moment que les électrons mobiles y subissent assez peu de pertes ohmiques) de taille allant de 1 nm à 100 nm. Le champ de l’onde se renforce au bout, d’un facteur pouvant en gros aller jusqu’à 10^2. Suivant les effets physiques induits, la puissance est concentrée d’un facteur jusqu’à 10^4 (d’où par exemple de la fusion localisée, ou des changements de phase localisés).
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La prochaine génération de disque de Seagate ou Western Digital de ~15 TB (commercialisation 2017, brevet US 7,272,079 B2, délivré en 2007, demandé en 2004, article public en 2009) va mettre en oeuvre un chauffage localisé de la piste magnétique pour gagner en densité de bits : ils sont si petits qu’ils doivent être faits de matériaux magnétiques coercitifs pour tenir la route (et le temps) et que du coup, ils sont inécrivables à l’ambiante. On les chauffe donc « au vol », en quelques nanosecondes, en proximité (10-20 nm) d’un point chaud de type « nano-paratonnerre » (« peg ») illuminé par un laser de quelques mW, de +300K (–> on arrive vers ~ 600K, 300°C). Voir « HAMR » (Heat Assisted Magnetic Recording) dans Google.
- Alors pourquoi pas un petit renforcement par effet de pointe/plasmonique de l’effet mystérieux de transmutation induite par laser ? Sauf que les renforcements en question sont dus à un comportement collectifs des électrons lorsqu’ils sont assez mobiles et cela exige qu’ils occupent les quelques orbitales du métal dites « bande de conduction ». Ces bandes ne sont qu’un lointain souvenir aux énergies de type 10 MeV dont il est question dans les travaux de transmutation laser. Il est donc très peu probable que l’effet de pointe puisse persister pour des puissances locales aussi considérable : ces lasers détruisent un peu tout sur leur passage. Il n’est pas impossible qu’un plasma créé dans le début de l’impulsion puis dont les électrons sont sur-accélérés dans le milieu de l’impulsion fournissent les énergies requises, mais l’effet de pointe n’y est pour rien, c’est plutôt la facilité d’ionisation etc. qui compterait. On peut donc difficilement dire que Péta+Nano=1+1=2.
- Quelques considérations davantage sociologiques/épistémologiques
Autour de la plasmonique : il me semble qu’on a atteint un stade fétichiste de la « plasmonique » des nano-objets, on en est à la louche à 4 000 à 8 000 articles par an autour de ces sujets, pour des applications pratiques assez limitées en comparaison à d’autres poussées de la science (je pense aux semi-conducteurs). A force de ne jurer que par ce type de physique, et de ne rien voir de très passionnant (il doit rester 5% de choses vraiment intéressantes et qui en valent la peine), il faut bien qu’il se passe quelque chose. Alors pourquoi pas cet effet de transmutation et de synergie de type Nano+Péta, pas plus convaincante que ça. C’est à peu près du niveau des effets de sorcellerie dans les villages africains en crise de croissance, c’est une façon d’arrêter de tous labourer le même champ et de trouver (inconsciemment/collectivement) un moyen d’aller faire autre chose lorsque l’heure d’une scission a organiquement sonné.
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