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Une première observation : nous, êtres dotés de conscience, sommes apparemment seuls (dans notre genre) dans l’univers.
Il faut distinguer par rapport à cette observation, deux périodes : durant la première, qui s’étend jusqu’au 8 avril 1960 et les prémices du projet SETI (Search for Extra-Terrestrial Intelligence), nous nous contentions de constater cet état de fait, durant la seconde, nous avons tenté de manière délibérée de découvrir dans l’univers des traces d’êtres doués de conscience comme nous, sans aucun résultat probant jusqu’ici.
Seconde observation : pour que des êtres comme nous puissent apparaître dans un univers, il faut que les constantes physiques universelles aient des valeurs très précises. Une expansion de l’univers plus lente ou plus rapide rend notre existence impossible ; une taille de l’électron plus grande ou plus petite par rapport à celle du proton rend notre existence impossible ; une taille du neutron plus grande ou plus petite par rapport à celle du proton rend notre existence impossible, etc. On peut dire que si notre existence est avérée, alors l’univers doit être « réglé de très près » d’une certaine manière (en anglais : « fine-tuned »).
Quelques inférences sont légitimes à partir de ces deux constatations. Par exemple : « Nous sommes effectivement seuls dans l’univers » ou « Si les valeurs dès constantes physiques universelles sont aléatoires au moment où se constitue un univers, notre univers est rare parmi les univers possibles ». Et, si l’on combine les deux : « Notre présence est extrêmement peu probable au sein d’un univers extrêmement peu probable ».
On reste cantonné jusque-là bien entendu dans le domaine des évidences.
Mais nous, êtres humains, n’en restons pas là par rapport à ces deux observations : nous les rangeons dans une catégorie que l’on peut appeler le « surprenant-requérant-explication », du fait que ce qui est « rare » ou « peu probable » tombe pour nous dans cette catégorie.
Du coup, à nos yeux, le fait que nous soyons apparemment seuls dans l’univers est surprenant et requiert une explication.
Et, le fait que notre univers est par rapport à nous réglé de très près est surprenant et requiert une explication.
Notons bien que si le « rare » et le « peu probable » ne nous paraissaient pas nécessiter une explication, ces deux questions ne se poseraient absolument pas.
Pour que le « surprenant » puisse intervenir dans des cas comme ceux-ci, il faut, remarquons-le, qu’opère spontanément ce qu’on pourrait appeler un « présupposé de l’appartenance à un échantillon » : il faut qu’il aille de soi pour nous que nous, êtres humains, ne constituions qu’un échantillon d’un groupe plus vaste d’êtres semblables à nous, il faut aussi qu’il aille de soi que notre planète ne soit que l’une parmi de multiples planètes abritant des êtres tels que nous, il faut qu’il aille de soi que notre univers n’est qu’un des univers possibles, etc.
(On verra dans la conclusion que selon moi ce « présupposé de l’appartenance à un échantillon » est peut-être la seule chose dans la problématique que j’examine ici qui requière véritablement explication).
Le fait que nous soyons apparemment seuls dans l’univers est surprenant et requiert une explication est appelé dans la littérature, « paradoxe de Fermi ».
Le fait que notre univers soit par rapport à nous réglé de très près est surprenant et requiert une explication est appelé dans la littérature « principe anthropique fort ».
Le « principe anthropique faible » se contente d’énoncer une banalité de base, que notre existence et celle de notre univers sont compatibles.
La raison pour laquelle le « paradoxe de Fermi » est appelé « paradoxe » m’apparaît personnellement obscure, à moins que le mot « paradoxe » ne soit utilisé ici de manière lâche pour désigner tout ce qui apparaît « surprenant » à quelqu’un. Une manière de le formuler est celle-ci :
« S’il y avait des civilisations extra-terrestres, leurs représentants devraient être déjà chez nous. Où sont-ils donc ? »
Les réponses au paradoxe de Fermi sont quasi infinies et en faire la liste exhaustive serait fastidieux. Par exemple : nous ne regardons pas là où il faut pour trouver des extra-terrestres ou nous sommes incapables pour une raison x ou y de regarder au bon endroit ; ces êtres sont beaucoup plus sophistiqués que nous et ils se cachent ; ils ont été remplacés par les machines qu’ils ont créées, lesquelles n’émettent pas de signaux, etc.
La seule donnée dont nous disposons étant celle d’une absence, les limites aux réponses que nous pouvons offrir sont seulement celles de notre imagination, qui est très vaste.
Les explications du principe anthropique fort sont elles en nombre plus limité : elles tombent dans deux grandes familles : le « dessein intelligent » et les « mondes multiples ».
Le dessein intelligent dit ceci :
« La probabilité très faible de l’univers qui est le nôtre s’explique par le fait qu’il a spécifiquement été conçu pour nous accueillir ».
Les mondes multiples dit ceci :
« Les univers existent en quantité infinie, présentant de grandes variations de valeurs pour les constantes physiques universelles ; nous vivons dans celui où les valeurs sont telles qu’il autorise notre apparition ».
En tant qu’explications du principe anthropique, le dessein intelligent et les mondes multiples constituent les branches d’une alternative : chacune de ces explications suffit à expliquer ce qu’il s’agit d’expliquer. Elle n’exclut pas pour autant l’autre : elle rend simplement l’autre triviale.
Ainsi, s’il existe un dieu créateur de notre univers, pourquoi aurait-il pris la peine de créer par ailleurs une multitude de mondes sans nous ? Et s’il existe une multitude d’univers représentant toutes les combinaisons possibles de valeurs pour les constantes physiques universelles, quel rôle reste-t-il à jouer pour un dieu quelconque ?
Rien n’exclut que nous obtenions un jour la preuve irréfutable que l’une des deux hypothèses du « dessein intelligent » et des « mondes multiples », est vraie. Nous pourrions ainsi avoir la révélation d’une intervention divine, Dieu abandonnant son rôle de metteur en scène discret pour apparaître soudain en pleine lumière. De même nous pourrions assister un jour à la scission de deux univers distincts (cf. mon texte Mondes multiples et conscience).
Quelle est la plausibilité de ces deux hypothèses ?
L’interprétation de la mécanique quantique que nous a proposée Hugh Everett (1930 – 1982), dite des « univers parallèles », nous assure que les superpositions d’états quantiques se résolvent par leur réalisation parallèle causant des divergences d’univers. L’existence de mondes multiples en quantités quasi-infinie est donc postulée par une théorie physique qui, si elle n’est pas la plus communément admise, est en tout cas jugée légitime par les scientifiques.
L’hypothèse du dessein intelligent est plus difficile à évaluer. Si l’auteur du dessein est anthropomorphe et apparu historiquement (ce qui est difficile à imaginer en l’absence de la matière dont il est le créateur), il faudrait en tout cas qu’il soit singulièrement plus intelligent que nous. En l’absence de preuves qu’il existe d’autres êtres anthropomorphes que nous-mêmes, il faudrait supposer que ce dieu apparaîtra un jour dans notre propre descendance, créant l’univers dans un avenir qui devrait se situer en même temps dans notre passé, il y aurait donc présence d’une boucle, soit ce que l’on a appelé dans notre culture, le mythe de l’Éternel Retour.
Quoi qu’il en soit, nous ne disposons à l’heure qu’il est d’aucune preuve, ni d’une des hypothèses ni de l’autre.
Nous avions noté, et il faut y revenir, que le paradoxe de Fermi et le principe anthropique fort ne doivent être invoqués que si nous considérons « surprenantes » les deux observations que nous pouvons faire de notre solitude apparente dans notre univers et le réglage de très près de celui-ci en termes de valeurs des constantes physiques par rapport à notre existence. Si nous ne considérons pas que nous constituons nécessairement un échantillon au sein d’une large famille d’êtres doués de conscience comme nous, et que notre planète constitue un échantillon au sein d’une vaste classe de planètes semblables à la nôtre, et que notre univers lui aussi n’est qu’un parmi une multitude d’autres univers semblables – ce qui n’est rien d’autre qu’un présupposé sympathique parce que révélant une certaine modestie de notre part, qui ne nous est d’ailleurs pas coutumière – alors il faut que nous prenions au sérieux la possibilité qu’il n’existe rien de plus que ce que nous révèlent nos sens prolongés par nos appareils de mesure, à savoir que nous sommes seuls dans notre genre au sein de notre univers et que celui-ci est bien le seul qui existe et que si nous bousillons notre planète au point d’y rendre notre vie absolument impossible, alors nous éliminerons – vraisemblablement une fois pour toutes – la possibilité pour cet univers d’être conscient de sa propre existence, soit un univers entier perdant la signification qui fut à une époque la sienne, impossible sans la présence d’êtres dotés de conscience. Quels gougnafiers nous ferions alors !
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