Billet invité. Ouvert aux commentaires.
En ces temps où nous n’entendons parler, de façon parfois assez nauséabonde, que de « problèmes » d’intégration, de « difficultés » d’assimilation et d’« obstacles » insurmontables dès qu’il est question de populations qui vivent en France mais dont les ancêtres n’étaient pas « les Gaulois », jetons un coup d’œil aux populations issues de l’immigration en provenance de Chine et, au-delà, de pays d’Asie voisins de la Chine (Vietnam, Laos, Cambodge). Cette immigration est relativement peu nombreuse en France puisqu’elle est évaluée à environ 600 000 individus concentrés dans des grandes villes et majoritairement à Paris et en Ile de France. Elle fait très peu parler d’elle. À l’exception de quelques manifestations (phénomène très récent, la première du genre ayant eu lieu à Belleville en 2010) organisées pour protester contre les agressions crapuleuses, parfois avec mort d’homme comme à Aubervilliers ce dernier mois d’août, dont ils sont victimes, les Chinois de France sont généralement invisibles sur l’écran de nos radars. Pourtant, à première vue, ils pratiquent bel et bien ce dont la République Française ne veut pas entendre parler (à juste titre, selon nous) et qui hérisse le poil de tous les républicains laïques bon teint : quelque chose qui ressemble beaucoup à du communautarisme.
À très petit bruit, sans tambours ni gongs (sauf pour fêter le Nouvel An lunaire !), en douce et de manière feutrée, les Chinois vivent entre eux. On connaît bien, ne serait-ce que par le cinéma, les Chinatowns des États-Unis, mais l’Europe, terre d’immigration plus récente, a vu aussi s’agréger, dans la deuxième moitié du XXe s., d’importantes communautés chinoises : en ce qui concerne la France, d’abord dans les quartiers déjà investis par les pionniers de la diaspora (les plus pouilleux du centre de Paris au début du XXe s.), puis dans les zones périphériques nouvellement construites (années 60) comme le venteux « Triangle de Choisy » (XIIIe arr.) dont les « cages à poules » sur trente étages ne trouvaient pas preneur chez les Français et enfin dans la proche banlieue, à l’est, dans le secteur de Marne-la-Vallée et, au nord, à Aubervilliers où se concentre le commerce de gros des produits d’importation chinoise.
Dire que ces populations vivent entre elles sans se faire remarquer ne veut évidemment pas dire que tout y est pour le mieux dans le meilleur des mondes, qu’ y règnerait un angélisme collectif et qu’en serait éradiqué tout ce qui pose problème dans d’autres groupements humains. Dans ces sortes d’« enclaves » chinoises règnent les mêmes maux qu’ailleurs (et qu’en Chine même bien sûr), parfois sous une forme aggravée quand il s’agit d’un genre d’esclavagisme (exploitation féroce des ateliers clandestins et de la prostitution), de corruption et divers graissages de pattes, de contrebande et contrefaçons et bien sûr de règlements de comptes… La grande différence avec d’autres groupes issus de l’immigration, il est vrai beaucoup plus nombreux et infiniment plus soumis à notre surveillance, est qu’il n’en vient pratiquement jamais rien à nos oreilles et que la police française peut s’offrir le luxe de n’en rien savoir. Le boulot de la « régulation » n’est pas de notre ressort…
La communauté chinoise de France est plus « mélangée » que notre regard ne le perçoit : le groupe le plus anciennement implanté, ce sont les « Wenzhou » (ville côtière au Zhejiang d’où l’émigration a commencé très tôt, dès la fin du XIXe s.). Restaurateurs, maroquiniers ou ébénistes, ils ont un sens aigu du commerce et de toutes les manières de le faire fructifier et leur « réseau », établi de longue date, est extrêmement efficace auprès des nouveaux arrivants. La solidarité et l’entraide entre Chinois ne sont pas de vains mots, mais pour en profiter pleinement, mieux vaut tout de même avoir la même origine géographique et la même « terre des ancêtres ». L’arrivée beaucoup plus tardive des « Dongbei » a rendu leur implantation d’une « tête de pont » plus difficile. Les « Dongbei » (littéralement les « Est-Nord ») sont originaires des trois grandes provinces de la Mandchourie (Jilin, Liaoning, Heilongjiang) et leur émigration n’a pas été choisie, comme celle des gens du Sud plus aventuriers, mais imposée par la misère et la désespérance qu’a entraîné la fermeture brutale des industries lourdes d’État jugées non rentables au moment de « l’ouverture » de la Chine de Deng Xiaoping. Le beau et long (9h) film de Wang Bing « A l’ouest des rails » montre l’ampleur tragique de ce clap de fin. Les Dongbei, souvent plus éduqués et cultivés que les Wenzhou, ont rencontré plus de difficultés à s’insérer rapidement dans des activités de subsistance et, dans un certain nombre de cas, sans doute sont-ils devenus, dans le dénuement total de leur arrivée et leur ignorance de la langue et des droits occidentaux, des proies faciles pour les moins scrupuleux de leurs propres compatriotes de Wenzhou, à l’affût de cette main d’œuvre muette, toujours plus corvéable à merci et quasi gratuite. De ces pratiques si contraires à notre droit, nous ne savons rien (du reste, avons-nous envie de savoir ?) comme ne sauront rien les familles restées en Chine auxquelles seront servis les mensonges teintés de rose nécessaires à la préservation de la face.
Quoi qu’il en soit et si l’on met de côté ces (graves !) »bavures », l’intégration des Chinois s’est faite de façon assez harmonieuse. Certes ils importent leur mode de vie, leur cuisine et ses ingrédients, leur langue qu’ils continuent à parler entre eux au quotidien et leurs habitudes, mais cette importation se fait sans bruit à côté de voisins, quels qu’ils soient, avec lesquels ils ne veulent, c’est le mot d’ordre, « pas d’histoires ». Du mode de vie qu’ils transplantent de Chine nous connaissons bien les fondamentaux : discrétion, discipline, assiduité au travail, respect de la famille et des aînés, exaltation confucéenne de l’étude et du perfectionnement individuel. Si l’on ajoute à cela qu’ils n’ont aucun interdit, alimentaire ou autre, pas de tabous à ériger en règle absolue, pas de religion révélée mais des dieux conciliants et portatifs à usage domestique, une grande souplesse d’adaptation (la recherche du point d’équilibre peut se faire sous toutes les latitudes) et une adéquation immédiate aux valeurs morales dès qu’elles relèvent de l’universel, on comprend que leur « assimilation », même si elle peut leur coûter et ne pas être sans douleur pour eux, ne nous pose aucun problème. De plus, comme la réussite de brillantes études est aux yeux des parents le nec plus ultra auquel parvenir, les enfants de l’immigration chinoise, généralement écoliers très studieux de nos établissements publics, accèdent en assez grand nombre à l’Université et s’intègrent alors parfaitement à la société française dans des postes à haute qualification qui signent dès la deuxième génération une double appartenance totalement assumée et réussie.
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