Un résumé de Les marchands de doute (2010) de Naomi Oreskes et Erik M. Conway (Le Pommier 2012), par Madeleine Théodore.
L’année 1988 fut l’une des plus chaudes et des plus sèches de l’histoire des États-Unis. 40% du territoire fut touché, les récoltes s’effondrèrent, le bétail mourut et les prix de l’alimentation augmentèrent, si bien que les gens commencèrent à se demander si, après tout, le réchauffement climatique n’était pas pour bientôt. James Hansen déclara que depuis 1980, la température s’était élevée d’environ 0,5°C par rapport à la moyenne des années 1950-1980. Il avait élaboré trois scénarios d’émissions.
Dans l’un des scénarios, une réduction rapide de l’utilisation des combustibles fossiles après l’an 2000 permettrait de réduire le réchauffement ultérieur. Les deux autres, plus réalistes, conduisaient à une rapide augmentation de la température moyenne de la Terre. En 20 ans, elle serait supérieure à ce qu’elle avait été lors de la plus chaude période interglaciaire connue, qui se termina il y a 120.000 ans.
Le New York Times publia l’intervention de Hansen en première page. La même année, le GIEC fut dirigé par Bert Bolin et George Bush délégua son secrétaire d’Etat, James Baker, à la première conférence du GIEC. Les États-Unis se préparaient à s’occuper du changement climatique d’origine anthropique.
La même année, en 1989, Nierenberg ayant pris sa retraite et rejoint l’Institut Marshall depuis cinq ans, celui-ci se trouvant sans raison d’être depuis la chute du mur de Berlin, publia son premier rapport contre la science du climat. La stratégie était de rendre le Soleil responsable du réchauffement climatique, et un livre blanc à ce sujet fut distribué. Nierenberg le présenta lui-même à la Maison Blanche et ceci eut pour effet de stopper l’impulsion donnée par l’administration Bush.
L’argument principal de l’Institut Marshall était que l’essentiel du réchauffement avait eu lieu en 1940, avant l’essentiel des émissions de CO2. Comme le réchauffement ne suivait pas l’évolution du CO2, il avait dû être provoqué par le Soleil.
La source utilisée par l’Institut Marshall venait de l’équipe de Hansen elle-même mais Robert Jastrow, Nierenberg et Seitz avaient picoré parmi les données, n’utilisant qu’une des six figures traitant du même sujet. Selon Hansen, ce n’était pas cette figure mais l’effet combiné « CO2 + Volcans + Soleil » qui expliquait au mieux les données.
Le GIEC discutait explicitement, en les rejetant, les conclusions de l’Institut Marshall concernant le Soleil.
En 1991, Nierenberg lança une attaque au Congrès mondial du pétrole: la température moyenne n’augmenterait que de 1°C à la fin du 21ème siècle, en se basant sur une exploitation linéaire de la tendance du 20ème siècle. Colin le confronta, en soulignant le fait que les émissions de gaz à effet de serre augmenteraient exponentiellement, et non linéairement. En 1991 Jastrow rappela que l’institut Marshall conservait encore une influence prépondérante à la Maison Blanche.
Fred Singer alla encore plus loin, en prétendant que Roger Revelle avait changé d’opinion sur le réchauffement climatique, essayant ainsi d’embarrasser Gore, qui menait sa campagne sur des thèmes d’environnement.
EN 1990, Revelle avait présenté une conférence intitulée « Que pouvons-nous faire au sujet du réchauffement climatique ? ». Il avait proposé six pistes : accent mis sur le gaz, au lieu du charbon et du fuel, maintien et utilisation substitutive de sources non fossiles, séquestration du carbone par stimulation de la production de phytoplancton, accroissement artificiel de la réflexivité de l’atmosphère et développement des forêts. Parce qu’il était intrigué par le fait que les forêts boréales pourraient retarder le réchauffement de façon significative, il avait fait débuter son propos en disant qu’il était très probable, mais pas certain, que le climat moyen de la Terre serait significativement plus chaud au cours du prochain siècle.
C’était l’ouverture dont Singer avait besoin. Il proposa à Revelle d’écrire un article conjoint dans le Washington Post. Le titre de l’article fut écrit par Singer: « Que faire à propos du réchauffement climatique ? Regarder avant de sauter », qui avait profité du mauvais état de santé de Revelle pour changer le sens de ses propos. Singer continua dans différentes publications à transformer les paroles de Revelle, au point d’être en conflit direct avec différentes personnes, notamment la famille de Revelle et de ses collègues scientifiques prestigieux mais au final Singer réussit à propager ses idées mensongères grâce à son argent et à ses relations.
Le Sommet de la terre de Rio de Janeiro se tint en 1992, au cours duquel 192 nations, dont les Etats-Unis menés par Bush, signèrent la convention-cadre. Il n’y avait pas de limitations effectives signées, ce serait pour Kyoto, plus tard.
Les études de détection et d’attribution s’efforcent de déterminer en quoi le réchauffement climatique dû aux gaz à effet de serre se distingue d’un réchauffement dû au Soleil ou à d’autres facteurs naturels. On utilise des tests statistiques pour comparer les résultats de modèles climatiques avec les données empiriques. Ces études représentaient un danger pour les sceptiques affirmés parce qu’elles concernaient directement la causalité. Singer et ses collègues s’en prirent, après Revelle, à une de ses étoiles montantes, Benjamin Santer.
Santer se dit que l’analyse statistique pouvait fournir de meilleurs outils que des comparaisons qualitatives. Hasselmann, de l’Institut météorologique de Hambourg, avait trouvé une meilleure méthode de détection et d’attribution appelée « signature optimale ». Il s’agissait de détecter un signal faible – mais qui vous intéresse – au milieu d’un bruit dont vous n’avez rien à faire. Le bruit est constitué de phénomènes internes au système climatique ; le signal est quant à lui produit par une cause externe au système climatique de la Terre : le Soleil, les poussières volcaniques ou les gaz à effet de serre.
Pour prouver que les gaz à effet de serre avaient causé le réchauffement, il fallait trouver une signature différente du cas où ce serait le Soleil ou les volcans. Il fallait trouver un effet spécifique.
Si le Soleil était la cause du réchauffement, on s’attendrait à ce que l’ensemble de l’atmosphère se réchauffe. Mais si le réchauffement était causé par les gaz à effet de serre, l’effet sur l’atmosphère serait différent et spécifique. Le gaz à effet de serre piège la chaleur dans la basse atmosphère qui se réchauffe tandis que le flux de rayonnement de la haute atmosphère vers l’espace la refroidit.
Santer étudia la variation verticale de la température avec l’institut Max Planck et 6 autres instituts de recherche du monde entier.
Il se rendit à la réunion du GIEC (qui obtint le prix Nobel en 2007) en 1994, pour un rapport d’évaluation intitulé « Changement climatique et attribution de causes ». Il présenta les résultats de sa recherche de signature dans les changements de température verticale de l’atmosphère qu’il venait de soumettre à « Nature ». Il donna l’information selon laquelle les scientifiques avaient démontré que les activités humaines sont une cause de réchauffement global de l’atmosphère.
Cependant, la majorité républicaine du Congrès lança une attaque. Elle remit en cause les bases scientifiques de l’enquête qui se montait, grâce aux interventions entre autres d’un certain Patrick J. Michaels, qui avait élaboré des modèles reliant les rendements agricoles aux changements climatiques.
Il avait travaillé comme consultant pour un groupe industriel de mines de charbon et prouvait l’idée que l’utilisation de combustibles fossiles était bonne, car en augmentant le CO2 atmosphérique, la photosynthèse serait accrue et les rendements agricoles meilleurs. Il prétendit que le GIEC avait largement surestimé le réchauffement climatique et n’était donc pas fiable. Son audition au Congrès, même si elle fut démontée par Jerry Mahlmann, directeur de Laboratoire de dynamique des fluides, eut l’effet désiré de conforter la politique de laisser-faire de la majorité républicaine.
Santer présenta ses résultats du chapitre 8 du rapport du GIEC le 27 novembre 1995, premier jour de la session plénière. Les délégués de l’Arabie saoudite et du Koweït protestèrent immédiatement. Une phrase d’accord fut trouvée : « l’ensemble des faits suggère qu’il y a une influence humaine discernable (et non appréciable comme le voulait Santer) sur le climat ».
De plus, Santer, dans son rapport, avait été chargé d’ôter le résumé de fin de chapitre, pour s’aligner sur les autres. Il se souvint de cette décision comme ayant été fatale, car les critiques lui reprochèrent d’avoir retiré des éléments.
Puis Singer lança une attaque. Il affirma que le Résumé pour décideurs ignorait les données satellitaires ne montrant « aucun réchauffement, mais au contraire un léger refroidissement ». Tom Wigley répondit qu’il n’y avait aucune incohérence entre les températures enregistrées et les simulations de modèles.
Ensuite, Santer et Wigley furent accusés par deux représentants de l’industrie du pétrole, W. O. Keefe et Donald Pearman de modifier secrètement le rapport du GIEC. Fred Seitz reprit l’attaque à l’échelle nationale.
Il fallait selon lui abandonner le GIEC et les gouvernements devraient chercher des sources de recommandations plus fiables sur cette question. Il pensait certainement à l’Institut Marshall, dont il était secrétaire.
Santer envoya une lettre au Journal, signée par 40 auteurs principaux, dans laquelle il signalait que Seitz n’était pas climatologue. La réponse de Santer fut largement raccourcie et la liste des 40 cosignataires supprimée.
Cette réaction choqua les responsables de la Société américaine de météorologie qui exprimèrent leur soutien à Santer. De nouvelles attaques, sous forme de lettres écrites par Seitz, Singer et Hugh Ellsaesser, physicien à la retraite, parurent dans le Wall Street Journal.
Seitz était cette fois transformé en victime. Singer, quant à lui, avait essayé d’envelopper le GIEC d’une étrange atmosphère de secret. Quant à Nierenberg, il dut payer les attaques contre Santer par son discrédit auprès des scientifiques de renom, comme Wigley.
En conclusion, les affirmations de l’Institut Marshall furent prises au sérieux par la Maison Blanche et des membres du Congrès. De petits groupes d’individus purent exercer des influences négatives de grande ampleur, grâce à leur accès aux couloirs du pouvoir, qu’ils utilisèrent pour faire avancer leur programme politique. La politique du secret, pendant la guerre froide, faisait partie de leur héritage professionnel, et ils continuaient l’utiliser, même si cette guerre était terminée.
Un autre élément crucial fut la complicité des medias qui succombèrent aux pressions de ces individus. La « doctrine d’impartialité », obtenue par les créationnistes contre l’évolutionnisme, a aussi joué un rôle. Un système bipartite où toute opinion et son contraire a droit à un traitement égal dans l’information au non de la liberté d’expression, ne convient pas à la science.
En juillet 1997, la résolution Byrd-Hagel, selon laquelle il n’y aurait aucune action entreprise contre le réchauffement climatique fut passée au Sénat.
Scientifiquement, le réchauffement climatique était un fait établi. Politiquement, il était mort.
PJ : « Un lecteur d’aujourd’hui de mon livre Principes des systèmes intelligents » Je pense que c’est le commentateur Colignon David*…