Le burkini, non, Generali, oui !, par Roberto Boulant

Billet invité.

Après son marché domestique en juillet dernier, c’est maintenant sur le marché français que l’assureur allemand Generali propose son produit « d’assurance intelligente » Vitality.

Assurance… intelligente ? Eh oui, le progrès fait toujours rage ! Il est maintenant possible d’obtenir ristournes et bons de réduction chez les partenaires d’un assureur, moyennant quelques petites formalités (la loi française interdisant les rabais sur le montant d’une prime d’assurance).

Le principe est simple. Vous commencez par passer une visite médicale qui déterminera votre profil physiologique, vous renseignez ensuite vos habitudes en matière d’alimentation, de sommeil ou de pratiques sportives. Disons arbitrairement que cette base de données est notée 100, et que plus vous améliorez votre score, plus vous obtenez de bons d’achat valables chez les partenaires de l’assureur. Exemple : marcher 10 km par jour et agrémenter toutes vos nuits d’un quart d’heure de sommeil supplémentaire, peut vous aider à passer de la catégorie bronze à la catégorie argent (suivent or et platine). Et à vous les réductions chez le voyagiste ou au supermarché bio !

Ah oui, j’allais oublier. Pour connaitre vos ‘performances’, l’assureur doit naturellement avoir accès aux données transmises par vos différents objets connectés (dans l’exemple ci-dessus, un podomètre et … le matelas !). Et bien entendu, la société chargée de récolter ces données est totalement indépendante de son donneur d’ordre, ne transmettant pas les détails H24 de la vie des assurés à Generali, mais simplement la catégorie à laquelle ils appartiennent (bronze, argent, etc.).

Et voilà, les gentils assurés mèneront une vie plus saine et du coup, réduiront leurs risques de santé tout en contribuant à l’équilibre des comptes de la collectivité nationale. Merveilleux n’est-il pas ?

Sauf qu’en la matière il ne s’agit pas de comptes, mais plutôt de contes. De ceux que l’on raconte aux grands enfants un peu benêts que nous sommes censés être.

Partant du principe que :

  • les objets connectés peuvent pister chaque individu à chaque instant, ne laissant aucune zone d’ombre dans sa vie privée, professionnelle ou publique (aussi absurde et effrayant que cela paraisse, il existe déjà des brosses à dents, des WC, des frigos, des matelas, des cafetières, etc. connectés),
  • qu’il n’existe pas de garanties formelles données par un tiers de confiance, quant à la sécurité et à l’anonymat des données collectées,
  • qu’en l’état du contrat proposé par Generali, les assurés complètent la transaction commerciale avec l’assureur, avec une fonction de ‘coach’, acceptant par ce simple fait qu’une société commerciale ait un droit de regard sur leur intimité,
  • si ce type de contrat est amené à se banaliser comme le souhaitent les assureurs en particulier et les GAFA en général, quid de l’étape suivante ? Celle où les clauses incitatives seront remplacées par des clauses punitives ? (votre assurance augmente si vous prenez du poids ou marchez moins…),

il devient urgent de se demander maintenant que Vitality nous est proposée, quel est l’objectif final recherché ?

Bien sûr, en première instance, cette bonne vieille maximisation des profits qui permettra de tondre ceux des assurés en bonne santé et d’exclure les autres, du moins ceux trop pauvres pour s’offrir d’astronomiques primes d’assurance. Mais ensuite ? Si les outils d’analyse comportementale sont disponibles (et ils le seront, tout le monde y travaille d’arrache-pied), pourquoi se contenter d’influencer les comportements s’il devient possible de les contraindre ? C’est ce qu’ont rêvé de faire beaucoup de religions, qui au travers de dizaines de prescriptions et d’interdits, ont voulu contrôler la vie de leurs fidèles dans les moindre détails. Il en va de même pour les totalitarismes du 20ème siècle. On peut aisément imaginer l’usage qui aurait été fait de postes de radio permettant de s’assurer que chaque foyer écoute le discours du Chef, ou de tablettes permettant de vérifier que chaque écolier du pays connait par cœur les enseignements du Parti…

Une société connectée n’est pas nécessairement une société libre, ça peut même être son exact inverse. Plus besoin d’avoir 20% de la population qui travaille plus ou moins directement pour les services de sécurité de l’état, les objets connectés H24 se montreront infiniment plus performants que vos voisins ou votre moitié. Et le refus de leur utilisation marquera automatiquement les ‘ennemis du Peuple’ ! (du Parti, de la Race, de Dieu, etc).

Ainsi, les questions soulevées par Vitality sont-elles essentielles, tant elles portent de possibilités dystopiques auprès desquelles Le meilleur des mondes ferait office de bluette.

Soulèveront-elles des débats passionnés à l’Assemblée nationale ? Chaque responsable politique national ou local se sentira-t-il obligé d’apporter sa contribution au débat ? La presse s’emparera-t-elle du sujet, multipliant articles et enquêtes terrain, à tel point qu’elle provoquera des interrogations chez ses consœurs étrangères ?

Je crains fort que cela ne soit l’inverse qui prévale : mettre en avant le minuscule comme le burkini, pour mieux cacher l’essentiel comme Vitality.

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  1. @Hervey « Le principe est un concept philosophique polysémique qui désigne ou bien une source, un fondement, une vérité première d’idées…

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