LES BANQUIERS CENTRAUX PEUVENT-ILS ENCORE FAIRE ILLUSION ?, par François Leclerc

Billet invité

À l’instar des sommets qui s’enchaînent sans relâche et sans effets, la réunion annuelle des banques centrales de Jackson Hole n’est pas partie pour prendre de grandes décisions. Et pour cause : ayant utilisé toutes les ressources de leur savoir-faire, les banquiers centraux ne savent plus quoi inventer et doivent se résoudre à avouer qu’ils ne peuvent pas tout faire. Comme il leur colle à la peau qu’ils sont le dernier recours, certains voudraient leur confier de nouvelles missions, comme de faire décoller le fameux « Helicopter Money ». Mais le moment n’est pas encore venu de se lancer dans une nouvelle aventure, celle des taux négatifs n’étant pas digérée.

Comme les Chefs d’État et de gouvernement, les banquiers centraux se retrouvent régulièrement mais n’ont plus grand chose à décider ensemble.

Désormais, chacun protège comme il peut son pré carré et agit dans son coin. Le moment du bilan des huit dernières années est venu, mais l’occasion ne va pas en être saisie. Faisant assaut de créativité, les banques centrales ont expérimenté à une échelle sans précédent leurs mesures non conventionnelles, et le résultat n’est pas là, cela mériterait pourtant réflexion.

Tout au plus peuvent-elles se prévaloir d’avoir évité l’effondrement du système financier (en l’inondant de l’équivalent de 10.000 milliards de dollars) – ce qui ne veut pas dire l’avoir stabilisé – au prix de la formation de nouvelles bulles d’actifs, le système financier étant en-soi la plus formidable d’entre elles. Au bilan figure aussi que de nombreux pays s’approchent du piège à liquidité dans lequel le Japon est tombé, peut-on également constater.

Plusieurs banques centrales ayant franchi le Rubicon en adoptant des taux négatifs, un tiers de la dette souveraine mondiale est déjà dans ce cas. À elle seule, une telle bizarrerie exprime que le monde financier ne tourne plus rond du tout. Tandis que du côté de la croissance réputée salvatrice, rien ne va plus : son atonie est la grande question, et le moyen d’y remédier est au centre des débats.

L’effet marginal des programmes successifs des banques centrales diminue, alors que les perturbations qu’ils entraînent au sein du système financier augmentent. Parmi celles-ci, les banques centrales achètent de plus en plus d’actifs de qualité et contribuent à en assécher le marché, non sans de sérieuses conséquences dans un contexte de pénurie relative de collatéral. Dans ce brouillard, où se manifeste simultanément une crise de liquidité et de volatilité, nul ne sait ce que la moindre nouvelle mesure pourra avoir comme effet. Ne rien faire sera toutefois tout aussi risqué. Fâcheux dilemme !

On pourrait croire qu’il va être enfin reconnu que la politique monétaire a trouvé ses limites, et qu’il faut passer à autre chose, pour se tourner vers le levier budgétaire. Mais les cadres de pensée sclérosés résistent encore, bien que vermoulus. Un tel changement de politique impliquerait une réflexion sur la restructuration de la dette.
Cela menacerait le système financier, il n’en est donc pas question.

Les discussions reprennent sur la nouvelle cible d’inflation qu’il faudrait adopter, en lieu et place du traditionnel « en dessous mais proche de 2% ». Sans se soucier d’un petit détail : les banques centrales ne parviennent plus à atteindre cette cible. La conférence de Jackson Hole a toutefois affiché l’ambition de déboucher sur « un cadre de politique monétaire robuste pour l’avenir ». De quoi est-il question ?

Si la stagnation séculaire promise se confirme, il va falloir prendre son parti d’une faible croissance durable, et celle-ci va exiger des taux d’intérêt bas. À point nommé, de savantes communications sont prévues à Jackson Hole à propos du déclin du taux d’intérêt neutre, ce taux d’équilibre sensé ni ralentir ni accélérer la croissance. Quelles conséquences pourrait-il en être tiré ? Fixé à une période où l’inflation menaçait, l’objectif des banques centrales pourrait radicalement changer et prendre en considération non seulement les prix mais aussi la valeur nominale du PIB, afin de stabiliser les revenus, admettant d’atteindre un niveau d’inflation qui était auparavant combattu. Tel est le grand enjeu de la conférence de Jackson Hole, qui pourrait ouvrir la porte à de nouvelles initiatives hors normes des banques centrales, entérinant que les États ne sont pas capables de prendre le relais. Mais nous n’en sommes pas encore là…

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