La traduction par Timiota de Hello, want to push back at Uncle Sam? Then go to Syria, par M. K. BHADRAKUMAR, le 18 août 2016 (Asia Times).
La visite récente du président turc Recep Erdogan à St Petersbourg pour rencontrer le président russe Vladimir Poutine, ajouté au premier décollage de chasseurs-bombardiers russes d’une base iranienne pour frapper des cibles syriennes, ainsi qu’à la visite en préparation d’Erdogan en Iran probablement au cours de la semaine prochaine, voilà qui pointe l’émergence d’une troïka Turquie-Iran-Russie autour de la Syrie. La Chine semble entrer par la bande dans l’équation, comme indiqué par la rencontre du contre-amiral Guan Youfei, un haut gradé, avec le ministre de la défense syrien Fahad Jassim Al Freij à Damas. Le quarteron Turquie, Iran, Russie et Chine, a un intérêt commun, voire un besoin de repousser les USA, chacun pour des raisons propres.
« Small is beautiful ». Téhéran a présenté une explication vraiment succincte au scoop suivant lequel des bombardiers stratégiques russes avaient décollé d’une base iranienne pour accomplir des missions en Syrie.
Le président de la puissante commission nationale de sécurité et de la politique de sécurité des Majlis, Alae’ddin Broujerdi, a déclaré que l’accord quadripartite entre l’Iran, la Russie, l’Irak et la Syrie visant à durcir la campagne contre le terrorisme est en cours de mise en place, ceci expliquant cela. Point barre.
L’explication on ne peut plus succincte de Broujerdi était dictée par des considérations de poids. Premièrement, Téhéran ressentait le besoin de minimiser le brouhaha causé par la nouvelle de la mise en place d’une base militaire russe à Noji, dans la province occidentale iranienne d’Hamadan, sous couvert d’un pacte militaire secret.
D’un point de vue de politique intérieure aussi, une explication était requise parce que la constitution iranienne interdit expressément l’établissement de bases militaires par des puissances étrangères sur son sol.
Les commentateurs moscovites ont une explication encore plus succincte que celle de Broujerdi : opérer depuis l’Iran prend moins de temps et demande aux avions moins de carburant.
Certes, les bombardiers Tupolev Tu-22M3 basés en Russie, qui emportent 22 tonnes de bombes et munitions, voient la distance se raccourcir des deux-tiers s’ils opèrent depuis l’Iran.
Certes, des vols plus courts augmentent la précision des frappes aérienne, et les voies aériennes depuis l’Iran permettent aux pilotes russes d’éviter les missiles sol-air avancés qui figurent dans l’arsenal des rebelles syriens.
Mais les explications iraniennes et russes n’ont pas suffi à calmer les esprits des occidentaux, enclins à voir dans cette évolution spectaculaire un ensemble pour le moins lourd de sens :
– Un approfondissement de l’alliance russo-iranienne en support conjoint au régime syrien d’Assad.
– Un message à destination des USA suivant lequel la Russie a pour intention d’étendre son influence au-delà de l’Eurasie, affirmant sa ré-émergence comme puissance globale et contrant les efforts de Washington pour enfermer la Russie dans un nouveau paradigme de type Guerre Froide.
– Un coup sans précédent de la part de Téhéran – l’autorisation de l’usage d’une base militaire par une puissance étrangère – qui annonce pour le moins que sa relation stratégique avec la Russie est sa première priorité, et que Téhéran est prêt à faire tout ce qu’il faudra pour préserver ses intérêts fondamentaux dans la région.
Bien sûr, lu conjointement avec les développements entourant l’opération russo-iranienne en Syrie, il est évident qu’un déplacement de plaques tectoniques est en train de se produire dans la géopolitique du Moyen-Orient, qui aura certainement de lourdes conséquences.
De ce fait, il est tout-à-fait dans le domaine du possible que Moscou a tenu la Chine informée.
Mardi, le Contre-amiral Guan Youfei, chef du Bureau pour la coopération militaire internationale dans la Commission militaire centrale en Chine, a rencontré Fadah Jassim al-Freij, le ministre syrien de la défense, à Damas, pour convenir que « la puissance militaire chinoise souhaite renforcer la coopération avec sa contrepartie syrienne » (suivant le Ministère national de la défense à Pékin).
Avant de rencontrer le ministre syrien, Guan Yufei avait rencontré le général russe dirigeant le Centre syrien de réconciliation (T. : « réconciliation » a sans doute un sens de coordination militaire ici) à Damas pour discuter des « affaires d’un commun intérêt ».
Un politicien en vue au Kremlin a à nouveau évoqué mercredi la possibilité pour la Turquie d’offrir la base militaire d’Incirlik [Est de la Turquie] à la Russie afin qu’elle l’utilise pour ses opérations en Syrie.
Cette saillie semble une façon de narguer les USA et l’OTAN, mais le ministre des affaires étrangères turc, Mevlut Cavisoglu, avait déjà fait récemment une déclaration en ce sens.
En réalité, on ne peut exclure que le président russe Vladimir Poutine ait mis dans la confidence le président Recep Erdogan lors de leur rencontre à St Petersbourg le 9 août dernier au sujet de la coordination russo-iranienne sur la Syrie en voie de concrétisation.
Le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, s’est rendu à Ankara le 11 août – après une entrevue avec sa contrepartie russe, Sergeï Lavrov, relatifs aux entretiens d’Erdogan avec Poutine.
Bien entendu, le leitmotiv des conversations de Zarif à Ankara a été la proposition suggérée d’une formule trilatérale Iran-Turquie-Russie pour coordonner leurs stratégies sur la question syrienne. Les dirigeants turcs s’y sont montrés récemment plus réceptifs.
Et il n’est pas surprenant non plus que le vice-ministre russe des Affaires étrangères et envoyé spécial pour le Moyen-Orient, Mikhail Bogdanov, ait pu dire à Téhéran mercredi que la Russie, l’Iran et la Turquie sont à même d’engager des pourparlers trilatéraux sur la Syrie.
Et ô surprise, le journal Al-Hayat rapporte jeudi, qu’Erdogan planifie une visite à Téhéran, peut être aussi rapidement que la semaine prochaine, pour évoquer le cadre trilatéral Turquie-Iran-Russie sur la Syrie.
En fait, le journal affirme qu’une rencontre trilatérale d’officiels des trois pays est prévue à l’agenda.
En rassemblant ces évènements survenus en un bref laps de temps, le tableau qui en ressort le plus assurément est celui d’une convergence Russie-Iran-Turquie destinée à changer le cours des choses sur le terrain en Syrie.
La Chine, elle aussi, entre dans l’équation, mais plutôt par la bande.
On ne peut s’empêcher de remarquer que ces quatre protagonistes – Turquie, Iran, Russie, Chine – ont une chose en commun en termes géopolitiques – un intérêt partagé ou même un besoin avéré de repousser les USA, même si c’est chacun pour ses propres raisons :
Si pour la Russie, ce sont les sanctions conduites par les USA et la menace évolutive de l’OTAN à ses frontières (« NATO’s « mission creep »»), c’est pour la Turquie la suspicion obscure que le coup avorté du 15 juillet de renverser Erdogan était à un certain degré au moins, soutenu ou approuvé par les USA, et que le flirt de Washington avec des puissances qu’Ankara perçoit comme inamicales – Fetullah Gülen et les Kurdes syriens principalement – a pour but de mettre à mal la stabilité et l’intégrité de la Turquie.
Bien entendu, la motivation de la Chine pour repousser les USA (qui se mêle de la situation en mer de Chine du Sud) n’a pas besoin d’explication. Un commentaire paru aujourd’hui dans le Quotidien du Peuple et le Global Times sur l’utilisation de la base aérienne d’Hamadan par les bombardiers russes dit ainsi :
– La Turquie et l’Iran sont des puissances régionales traditionnelles dans la région, et leur assentiment avec la Russie va spectaculairement changer le paysage géopolitique du Moyen-Orient. La potentielle coalition Russie-Turquie-Iran, plus la Syrie, sera un cauchemar pour Washington.
– Tous ces nouveaux hauts et bas au Moyen-Orient interviennent à un moment de baisse de l’investissement de Washington dans la région. C’est le premier round des répercussions lié à son ré-équilibrage vers l’Asie-Pacifique. Si ce qui se déroule dans le Moyen-Orient suit son cours, les USA n’auront d’autre choix que de repivoter vers la région à nouveau. Washington ne peut pas risquer de perdre le Moyen-Orient pour sa sécurité nationale, parce que c’est la source de l’Islamisme anti-américain.
Très clairement, Pékin réalise que si les intérêts américains doivent être touchés là où cela fait le plus mal, c’est au Moyen-Orient que la Chine doit agir, ce qui devrait par contrecoup relâcher la pression sur la mer de Chine du Sud.
De même, il y a une authentique déception à Téhéran sur le fait que l’administration Obama aurait pu jouer un rôle bien plus fort pour permettre à l’Iran de récolter davantage les bénéfices du compromis sur le nucléaire.
Dans la période qui vient, il y a un besoin critique pour Téhéran d’avoir de fortes alliances régionales, d’autant que l’axe militaire israélo-saoudien est apparu à l’horizon (soutenu par les Américains).
Avec un nouveau président à la Maison-Blanche, Washington pourrait bien revenir à la bonne vieille feuille de route néo-conservatrice, visant à renverser le régime islamique en Iran.
S’il avait fallu une goutte d’eau explicite pour faire déborder le vase pour l’Iran (« proverbial last straw »), c’est la conférence des Mujaheedin-e-Khalq Organization (MkO) [Mouvement hostile au régime iranien] : à Paris en début juillet dernier qui l’aura été : l’ex-chef de l’espionnage saoudien Turki-Al Faisal y était le maître de cérémonie et y assistaient des politicien néoconservateurs américains notoires.
Noter que le site web israélien Debka citait des services secrets et militaires suivant lesquels l’Iran a autorisé la Russie à déployer le système de défense aérienne avancé S-400 sur la base de Hamadan.
Rétrospectivement, la rencontre du 8 août dernier entre Poutine et le président iranien Hassan Rouhani à Bakou était un jalon dans l’évolution stratégique de l’alliance entre Téhéran et Moscou.
La coalition irano-russe met à profit à la fois les contradictions dans la coalition dirigée par les USA en Syrie mises à jour dans le sillage de la tentative de coup ratée du 15 juillet en Turquie, le rapprochement d’Ankara avec Moscou, et le désenchantement croissant à Téhéran sur les perspectives incertaines d’intégration avec l’Occident dans un futur raisonnable.
L’Ambassadeur M. K. Bhadrakumar a été diplomate de carrière au Indian Foreign Service durant plus de 29 ans, occupant des postes tels qu’ambassadeur de l’Inde en Uzbekistan (1995-1998) en en Turquie (1998-2001). Il écrit le blog “Indian Punchline” et a écrit régulièrement pour l’ Asia Times depuis 2001.
Désolée, Mr Jorion, de ne pas pouvoir prendre connaissance votre réponse. Vous êtes d’ailleurs le seul avec qui cela m’arrive…