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Franck CORMERAIS
Pour poursuivre la logique d’archéologie des sciences humaines développée par Foucault, le posthumanisme est considéré comme porteur d’une vision spécifique de l’anthropocène qui, de fait, sanctionne l’obsolescence des divisions disciplinaires traditionnelles. Comment envisagez-vous leur restructuration ? Vous proposez, dans l’un de vos ouvrages, de fonder une psychosociologie afin de dépasser l’anthropologie.
Paul JORION
Lévi-Strauss m’a incité à devenir un anthropologue de la finance, persuadé que cette posture aurait un jour une utilité. Ce jour fut celui où s’est dessinée l’imminence de la crise des subprimes.
Notre espèce, comprise en un sens biologique présente trois grands traits. Colonisatrice, elle envahit son environnement et le détruit par négligence. Opportuniste, elle change très rapidement de stratégies lorsqu’elle rencontre des difficultés. Cette résilience majeure est à l’origine de la multitude de technologies que nous avons inventées, y compris les plus meurtrières d’entre elles au premier rang desquelles la bombe atomique. Enfin, elle est une espèce sociale.
Le comportement colonisateur de l’être humain atteint ses limites : la capacité de charge de notre espèce par rapport à son environnement est presque épuisée et ce, d’autant plus que la population mondiale a été multipliée par quatre en un siècle.
Les hommes ont développé un nombre impressionnant de technologies – commettant au passage des erreurs absolument catastrophiques : selon la logique marchande, dès lors qu’une invention trouve acheteur, elle deviendra présente sur le marché. L’inventivité et la versatilité qui découlent de l’opportunisme manifesté par l’être humain lui ont certes permis d’allonger l’espérance de vie mais également de créer des armes de destruction massive. Cet opportunisme n’offrira-t-il pas, à terme, des outils efficaces pour enfin maîtriser son comportement colonisateur ?
Une telle perspective permet de renverser la problématique. Il ne s’agit plus de promouvoir une science purement désintéressée dont certaines découvertes font progresser, de manière accidentelle, les sciences appliquées. Notre défi serait au contraire de nous doter d’outils capables de juguler les problématiques que pose notre comportement colonisateur.
Notre essence d’espèce animale sociale compense, dans une certaine mesure, son comportement colonisateur et les débordements destructeurs de son inventivité et de sa versatilité. Toutefois, pour être parfaitement efficiente, cette capacité doit être canalisée vers un modèle équivalent à celui propre aux insectes sociaux. La question qu’impose à nous ce constat est la suivante : souhaitons-nous fonder une « société termite », même si celle-ci s’impose comme la seule voie de salut immédiate et au long terme ?
FIN
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