Retranscription de Le temps qu’il fait le 5 août 2016. Merci à Marianne Oppitz !
Bonjour, nous sommes le vendredi 5 août 2016 et il y a quand même un peu d’activité parce que, par exemple, notre journal : (P)ièces (J)ointes du blog de Paul Jorion, numéro 5, va paraître mercredi prochain. Alors, on aurait pu imaginer qu’il n’y ait pas beaucoup d’actualité durant le mois de juillet, mais cela n’a pas été le cas. Il y aura un grand débat, un grand dossier, sur le terrorisme malheureusement. On reprend le débat, sous forme écrite, qui a eu lieu sur le blog autour de ce qui s’est passé en Turquie. Et puis, voilà, il y a des réflexions, comme d’habitude, sur la Chine, sur la finance, sur différents sujets. Encore un bon numéro ! Evidemment à chaque numéro, on s’améliore : sur la présentation, sur la manière de faire les choses. On apprend ! On apprend et cela fait plaisir : on a passé le cap des 200 abonnés. Cela peut paraître pas grand-chose, mais dans l’état actuel de la presse, c’est déjà considéré comme très honorable. Et puis, surtout, ceux qui s’abonnent, apparemment, tiennent à obtenir les exemplaires des numéros passés, ce qui est très facile puisque, essentiellement, les exemplaires qui sont imprimés, ce sont ceux qui vont être distribués à des abonnés. Il y a quelques tentatives, vous le savez, dans le nord de Paris, Rive droite, de le vendre dans les kiosques. On verra, au bout de quelque temps, ce que ça donne.
Autre actualité, à la fin du mois : le 25, je participe à l’université d’été d’Écolos, en Belgique, je ferai un exposé sur « Le dernier qui s’en va éteint la lumière ». Et à propos de ce livre, dimanche, dimanche qui vient, après-demain, dans la presse de l’Est : « l’Est Républicain, « Les Dernières Nouvelles d’Alsace », « Le Progrès » et « Le Dauphiné Libéré », une pleine page d’entretien sur ce même livre « Le dernier qui s’en va éteint la lumière ». Un très bon entretien que j’ai eu hier, avec Monsieur Lahire, qui m’a interviewé là-dessus. On a parlé trois quarts d’heure. Trois quarts d’heure, c’est un peu plus que ce qu’on met sur une page de journal, mais ça peut déjà être un entretien très fourni, avec pas mal d’éléments.
Et donc, le 25, je parle aux écolos belges. Cela se passe dans un château dont le nom m’échappe [Massembre], mais vous le verrez indiqué. Et le 28, deux jours plus tard, un grand débat dans le cadre des fêtes Les Solidarités à la Citadelle de Namur, toujours en Belgique, un débat entre moi et Etienne de Calattaÿ, et le sujet qu’on nous a proposé est intéressant : « L’argent ne fait pas le malheur mais il y contribue ». Alors voilà un sujet intéressant dont on pourra discuter.
De quoi est-ce que je voulais parler ? Je voulais parler de ce livre que je suis en train d’écrire. Dans un entretien qu’on a eu peu de temps après la parution de « Le dernier qui s’en va éteint la lumière », avec Madame Sophie de Closets qui dirige les éditions Fayard, comme on voyait que ça se passait bien, du côté de « Le dernier qui s’en va éteint la lumière », on s’est dit « Qu’est-ce qu’on peut faire ensuite ? ». Et là, je me suis trouvé dans une situation un peu nouvelle, c’est-à-dire que d’habitude j’écris des choses et le titre s’impose, et là, c’est différent : on a décidé du titre, en se disant qu’il fallait une suite à « Le dernier qui s’en va éteint la lumière ». On a donné un titre qui s’appelle « Qui étions-nous ? », et puis le problème s’est posé à moi de savoir ce qu’on allait mettre dans ce livre, ce que j’allais mettre dans ce livre là. Et, bien entendu, j’avais une très vague idée, mais la mayonnaise n’avait pas pris. Et petit à petit maintenant, je dirais, les choses se précisent. D’abord, je dirais, l’idée sera la même que dans « Le dernier qui s’en va éteint la lumière », sur le plan de ne pas faire un choix, entre dire : « S’agit-il d’un travail de deuil que nous faisons tous, déjà pour notre espèce humaine ? », en se disant que dans la manière dont nous sommes et dont nous nous comportons, eh bien c’est râpé : si l’espèce survit, ce sera dans des conditions extrêmement réduites, restreintes par rapport à ce que nous faisons maintenant, avec un beaucoup plus petit nombre de personnes, ou bien même, ou bien même, la disparition : si nous rendons vraiment le monde invivable pour notre espèce, ou bien, ou bien, un message d’espoir, en se disant : « Voilà si on se ressaisit, si on se retrousse les manches et si on change nos habitudes, on pourra faire les choses tout à fait autrement ! ». Et là, j’ai pensé, j’ai pensé à la manière dont nous sommes organisés : de faire véritablement le bilan de qui nous étions sur ce plan là. Comment est-ce que nous nous sommes organisés ? Comment avons-nous réfléchi à la manière de faire les choses ?
Et là, il m’est apparu que dans l’histoire, si l’on reprend l’ensemble des civilisations, il y a quelques grands axes. Il y a par exemple l’idée que c’est avec des lois, avec des préceptes : en suivant des préceptes que nous allons pouvoir faire des choses. Et bien entendu, si l’on pense à des personnages qui incarnent, je dirais, ces changements de… ces conceptualisations, ces manières de se représenter ce qu’il faudrait faire, bien entendu on a un personnage comme Confucius dans la civilisation chinoise. Si on suit d’autres axes qui sont apparus chez nous, on peut penser au personnage de Socrate. Le personnage de Socrate qui introduit cette notion de la raison comme étant un génie en nous-même, vers lequel nous pouvons nous tourner. Et, quelques années plus tard, ça avance assez rapidement, un personnage qui s’appelle Aristote et qui codifie entièrement la manière dont la raison fonctionne, à l’intérieur de notre… de cette combinaison de notre réflexion dans un cerveau et l’utilisation de l’outil du langage, et il définit les règles du syllogisme valide, de la manière dont on peut raisonner avec un terme intermédiaire dans un syllogisme pour faire apparaître de deux prémisses, une conclusion neuve. On a discuté, à différentes époques, de la qualité de la nouveauté de cette chose là, qui d’une certaine manière est déjà inscrite dans les deux prémisses qu’on rapproche, mais on obtient quelque chose… il y a un élément neuf. Notre raisonnement, c’est notre capacité à enchaîner les syllogismes.
Alors, la raison, on la retrouve au centre de la pensée de Hegel : il l’a combinée avec un autre élément qu’on peut considérer comme une sorte de clef d’interprétation de la société : c’est l’histoire. Vous le savez, Hegel s’est posé en adversaire de tous ceux qui essayaient de nous présenter le destin humain comme étant le simple développement, le simple développement de prédispositions que nous aurions en nous et qui, voilà, apparaîtraient petit à petit dans une perspective qu’on appelle « développementale » maintenant. Et Hegel dit essentiellement : « Non, ce sont les évènements qui nous arrivent : c’est la manière dont ils sont inscrits dans une histoire, dans le devenir de l’histoire humaine qui fait de nous, voilà, des acteurs véritables, des sujets humains ». Mais bien entendu, chez Hegel, se combinent les deux idées de l’histoire et de la raison : il y a, chez lui, dans sa lecture, il y a un mouvement de la raison DANS l’histoire.
Alors, parmi les autres pistes, parmi les autres réflexions de type majeur, nous avons, par exemple, nous avons un courant qui apparaît avec Saint Paul, avec Paul de Tarse, le courant que j’appellerais celui du clivage et dont les manifestations sous la forme d’êtres humains, par la suite, sont essentiellement Friedrich Nietzche et Sigmund Freud. Une filiation peut-être inattendue, mais Saint Paul, Paul de Tarse, est la personne qui introduit cette idée d’un conflit essentiel, à l’intérieur de nous-même entre, ce qu’on a traduit comme – c’est devenu, je dirais, ça s’est un peu ossifié, fossilisé, au point qu’on ne comprend plus ce que ça veut dire – un conflit entre la chair et l’esprit. Mais dès qu’on traduit cela, la chair sous la forme de l’influence du corps et l’esprit sous la forme de l’influence de la conscience, eh bien on se retrouve avec ce couple qui chez Freud deviendra l’inconscient et le conscient. Et notre difficulté à ce que la conscience vive avec ce qui lui apparaît comme les interférences de l’inconscience, de l’inconscient. Et si vous avez lu « Le dernier qui s’en va, éteint la lumière », vous avez vu que dans la perspective qui est la mienne, je fais un pas encore supplémentaire par rapport à Freud, en considérant que le rôle de la conscience se limite, se limite à enregistrer ce que l’inconscient a pu faire. En fait la conscience arrive un peu avec un certain retard : la seule possibilité qui existe [pour elle], c’est par les émotions que la conscience produit au vu et au senti, etc. de ce que le corps a fait, de réinjecter sous forme d’émotions, à l’intérieur du système, un traitement, un traitement si vous voulez de l’information qui a été produite et qui fait que des inscriptions, en mémoire vont être attachées à des valeurs d’affect qui vont quand ces choses vont être élicitées à nouveau : les associations de choses présentes avec ce qui est inscrit dans la mémoire, ce sera en faisant revenir les valeurs d’affect qui ont été associées. C’est une réflexion qui chez moi n’est pas récente puisqu’on la retrouve déjà dans mon bouquin qui est paru en 1989 : « Principes des systèmes intelligents » où je réfléchissais à ce que pouvait être un système intelligent à l’époque où je travaillais dans l’intelligence artificielle mais où j’étais très intéressé par la psychanalyse, qui me paraissait le seul type de savoir qui nous produisait une véritable psychologie utilisable, précisément dans le cadre de l’intelligence artificielle.
Alors, il y a d’autres éléments qui sont de véritables clefs, et auxquels on peut associer quelques personnages importants. Je pense, en particulier à des gens qui ont essayé de faire une véritable phénoménologie : une description de ce que seront les comportements humains. Et, là, c’est peut-être un peu inattendu de mettre des noms comme ceux-là sur le même plan que ceux d’Aristote ou… je n’ai pas mentionné Machiavel mais Machiavel c’est la personne qui a introduit dans notre réflexion, dans notre façon de voir, une réflexion importante sur « Que peut faire l’individu ? ». Que peut faire un individu ? C’est le sens, véritablement, de sa réflexion sur la première décade de Tite-Live : qu’est-ce qu’un homme (un homme ou une femme), qu’est-ce qu’un homme peut faire à l’intérieur de l’histoire ? C’est le thème qu’on retrouvera aussi d’ailleurs chez Hegel, sur les grands hommes. Que font les grands hommes ? Vous le savez, Hegel dit : « Ce sont ceux qui en réalité, alors que tous ceux qui sont autour d’eux sont encore plongés dans le passé, sont ceux qui sont capables de lire le présent ». Et les personnages qu’il retient : Alexandre, Jules César et Napoléon, ils inscrivent leur nom dans l’histoire, sous la forme, justement, qui est celle sur laquelle Confucius avait insisté : sous la forme de préceptes, sous la forme de corps de lois. Le corps de lois qu’il a défini, c’est bien entendu la manière dont nous vivrons par la suite.
Et, derniers éléments, derniers noms que j’ai envie d’introduire, ce sont ceux de ces phénoménologues, de ceux qui ont tenté, véritablement, de faire un catalogue complet de la manière dont les hommes et les femmes peuvent se comporter, et de l’importance que cela peut avoir par la suite : de l’empreinte que cela peut laisser sur la suite. Et là, ce sont deux auteurs que j’ai retenus : c’est Shakespeare, Shakespeare parce que je vous l’avais dit à un certain moment, j’avais été frappé qu’au moment où j’essayais de me couler véritablement dans la culture de l’Angleterre, dans laquelle (où j’habitais : j’y ai habité, en tout, onze ans), je m’étais aperçu qu’au moment où je maîtrisais, à mon sens, parfaitement la langue, il y avait encore un élément qui me manquait entièrement pour être véritablement, pour faire partie entièrement et véritablement de cette culture, c’était ces citations de Shakespeare dont les Anglais émaillent leurs réflexions et leurs conversations, et sur lesquelles ils modèlent également leur comportement : ce n’est pas purement passif, il y a un élément actif là-dedans.
Shakespeare en Grande Bretagne ! Et quelqu’un qui l’a pris comme modèle de ce qu’il voulait faire en France : Victor Hugo, qui a écrit ce livre monumental sur Shakespeare qui est une réflexion sur, comme il le dit lui, les génies. Mais les génies, bien entendu, ce sont les mêmes que les grands hommes chez Hegel, sauf que les noms ne sont pas les mêmes, puisque Victor Hugo trouvait essentiellement des génies dans la littérature, qui impriment donc leur empreinte sur la culture, bien davantage que sur le système juridique.
Et alors, pour terminer ma réflexion, l’attention m’a été… mon attention a été attirée sur la chose suivante. Il y a deux auteurs, bon, je n’ai pas préparé mon intervention, je ne me souviens pas de leur nom [Naomi Oreskes et Erik Conway] mais je les mentionnerai en-dessous de ma petite vidéo. Ce sont deux auteurs américains, qui sont des gens qui ont écrit un livre important. Un livre important : c’est un livre, c’est une réflexion sur « Comment est-ce que l’argent peut pervertir la représentation que nous avons du monde tel qu’il est ? » Ce qu’ils ont étudié en particulier, c’est l’argent qui a été injecté par l’industrie du tabac pour modifier, pour introduire le doute par rapport à la réflexion scientifique que nous avions sur le rôle du tabac sur son influence tout à fait délétère sur notre santé. Et la manière dont les industries du pétrole, les industries de l’énergie, sont arrivées, en injectant massivement de l’argent, à introduire l’idée que quelques savants climato-sceptiques avaient peut-être autant raison, voire même davantage, que les autres. Comment, avec de l’argent, on peut modifier le discours, comment on peut pervertir le message qui nous vient de la science ?
Alors, ce n’est pas ça que je voulais vous dire : ce que je voulais vous dire, c’est que ces deux auteurs ont écrit en plus une petite histoire de science-fiction. Cela se passe, si j’ai bon souvenir, au 24è siècle, et au 24è siècle, il y a des savants qui, voilà, qui réfléchissent sur comment les choses se sont passées dans les siècles [précédents]. Et, bien entendu, ces auteurs, leur réflexion est informée par le travail qu’ils ont fait. Ce livre qu’ils ont fait sur la manière dont les lobbys peuvent empoisonner notre représentation des choses par une distorsion du message des scientifiques en tirant parti d’une certaine naïveté si vous voulez, des scientifiques. Mais dans cet ouvrage de science-fiction qu’ils ont écrit, ils nous présentent la Chine comme ayant sauvé la mise. S’il y a encore des êtres humains au 23è siècle ou au 24è siècle, c’est parce que la Chine s’est conduite d’une manière différente de tous les autres : elle a mis au service de sa réflexion millénaire, un véritable désir de survivre, que l’espèce survive, que les autres civilisations, dans ce livre, n’ont pas voulu faire.
Et ça rejoint un petit peu ma réflexion dans « Le dernier qui s’en va éteint la lumière », c’est qu’il me semble que nous avons déjà fait, nous, de notre côté en Occident, nous avons baissé les bras : nous sommes en train de faire simplement le processus de deuil de notre espèce. Alors, qu’en Chine, ce n’est pas le cas. Alors, nous savons, nous savons que depuis le 20è siècle, cela a été une histoire, essentiellement, de tentatives massives et d’échecs massifs et de, voilà, de tragédies, dans l’histoire de la Chine. Mais, là, il est certain, et ça on le voit si on essaye un petit peu de suivre ce qu’essaye de faire le président chinois actuel, Monsieur Xi Jinping, c’est de tirer parti de l’ensemble des éléments de la culture, de ces clefs dont je parlais tout à l’heure, l’histoire – peut-être pas le clivage – parce que cela fait partie, véritablement, de la culture chinoise, l’histoire, mais le rôle des individus, le rôle de la raison. Le rôle de la raison, il est venu par Hegel en Chine et par Hegel, traduit par Marx bien entendu, dans la pensée de Mao Zedong. Dans la pensée de Mao Zedong, on trouve aussi, de manière massive, le taoïsme. Et chez Monsieur Xi jinping, on trouve un élément supplémentaire : c’est une tentative de réintroduire le message du confucianisme à l’intérieur d’apports divers et, en particulier, le marxisme-léninisme venu par Mao Zedong, mais sous une forme extrêmement particulière : on pourrait dire extrêmement déformée, par la grille de lecture du taoïsme pour devenir le maoïsme.
Alors, voilà, j’ai donc 12 personnages, j’ai 5 ou 6 idées clefs : le clivage dans la personne, l’effet de la raison, l’effet de l’histoire, les particularités individuelles, ce qu’un individu peut parvenir à faire, et je vais faire ce tableau là : ce tableau total de tout ce que nous avons pu trouver comme pistes de lecture, et puis, poser la question, la même que dans « Le dernier qui s’en va éteint la lumière » : est-ce que cette boîte à outils nous permettra de sauver la mise, oui ou non ? dans la perspective, je dirais, du deuil : « Qui étions-nous ? » et dans la perspective plus optimiste de « il y a peut-être là des éléments suffisants », ou peut-être même, peut-être pas d’éléments suffisants, mais peut-être des pistes suffisantes où, par une combinaison de tous les éléments, on arriverait à quelque chose, en particulier si on prend, ou plutôt si on s’intéresse à cette idée que le président chinois essaye de véritablement changer les choses – en bien. Il y a un élément qui manque à sa boîte à outils à lui, c’est celui qui vient de la tradition Saint Paul-Nietzsche-Freud : c’est celle du clivage dans l’individu : que l’individu doit, à tout moment, se battre contre le fait qu’il y a une volonté, une image de volonté, qui est inscrite dans la conscience : « J’ai envie de faire ceci », et puis, il y a le corps, l’inconscient qui vous conduit à faire autre chose et que, pour utiliser l’expression que j’utilise dans « Le dernier qui s’en va éteint la lumière », la conscience est toujours en retard d’une bataille, et elle ne peut toujours que se préparer, ce qu’elle peut faire de mieux c’est de se préparer pour la fois suivante quand les mêmes circonstances vont se reproduire, en associant, je dirais, les émotions, à la mémoire de ce qui s’est passé, les émotions qui pourront conduire dans la bonne direction.
Alors, voilà, si on se met à la place du président chinois, il y a la tradition chinoise, avec les deux éléments du confucianisme et du taoïsme, qui sont extrêmement importantes, du point de vue justement de faire un catalogue de ce que l’homme a pu faire (l’homme et la femme : le genre humain). Il y a la tradition de la raison socratique et du rôle de l’histoire qui est venue se combiner dans Hegel (et Hegel est bien entendu présent dans la pensée chinoise actuelle, sous la forme du marxisme-léninisme). Si on ajoutait cet élément sur le clivage, on a peut-être la formule complète. Peut-être la formule complète, et on retombe peut-être sur cette intuition de ces deux chercheurs américains dont je vais vous écrire le nom, qui est que c’est en Chine peut-être que les éléments sont réunis. Et l’idée s’impose quand on voit le défaitisme qui est le nôtre en Occident. On ne réfléchit que… regardez autour de vous : on ne réfléchit qu’à l’intérieur d’un cadre qui a perdu tout sens. Si on pense à Hegel disant qu’il est important de comprendre les temps qui sont les nôtres, on s’aperçoit qu’en Occident, on est tout à fait à côté de la plaque ! On n’est absolument pas là dedans, on est absolument perdu, on est dans l’affolement total. Il n’y a plus rien qui se passe, sauf des pans d’effondrement que l’on voit autour de nous.
Alors, est-ce que l’espoir est en Chine ? Est-ce que cette combinaison des différentes clefs pour comprendre l’organisation sociale des êtres humains, est-ce qu’on pourra la faire ici ? Il n’y a aucune raison que la Chine ait l’exclusivité de ça ! Mais si c’est le cas, nous devons aussi sortir du cadre dans la mesure où nous devons intégrer aussi ce qui a pu être découvert dans le, par le taoïsme et le confucianisme en Chine. C’est ça qui m’avait frappé en commençant à lire le Quatre vingt-treize de Victor Hugo, son dernier roman, celui où il a voulu mettre en présence, à la fois, l’engagement royaliste de son enfance, qui était celui de sa famille, et son engagement qu’il a acquis en devenant adolescent, puis en commençant à réfléchir, c’est-à-dire son alignement avec la pensée de la Révolution française. Et au moment où je commence à voir ce dialogue où il essaye d’être à la fois, d’être le plus honnête possible, à la fois envers la pensée de type traditionnel, royaliste, clérical, etc. et la pensée des révolutionnaires, ce qui me frappe, c’est de dire : mais qu’est-ce qu’il met en présence ? Il met en présence une conception taoïste du monde et une conception confucianiste. Conception confucianiste fondée sur les lois, l’autorité, l’obéissance, bien entendu du côté de l’église et du parti royaliste. Rôle de l’importance de l’individu, l’importance d’une société comme l’union d’individus entre eux, exerçant leur liberté autant qu’ils le peuvent, du côté des révolutionnaires. Taoïsme et confucianisme, réinventés à l’intérieur d’un roman de Victor Hugo où il essaye de mettre en scène, de la manière la plus honnête possible, son ancienne conviction et sa nouvelle : les positions qui se sont affrontées durant la Révolution française.
Alors, voilà, vous avez compris ? J’ai l’impression que j’ai trouvé la toile. J’ai trouvé la toile de ce « Qui étions-nous ? » Il ne reste plus qu’à écrire le livre (rires). Mais, c’est toujours un plaisir quand on a l’impression que les pistes sont déjà tracées. Voilà, à bientôt : à la semaine prochaine.
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Naomi Oreskes et Erik Conway, Merchants of Doubt (Marchands de doutes), 2010
Naomi Oreskes et Erik Conway, The Collapse of Western Civilization. A View from the Future, 2014
Principes des systèmes intelligents, 1989 (2012)
@Ilicitano Et pendant ce temps-là…on néglige totalement l’énergie que peuvent produire les êtres humains(« l’huile de bras », et d’imagination combinée à…