Trends – Tendances, La gestion du risque, toujours sacrifiée en premier !, le 28 juillet 2016

« Les fédérations bancaires allemande et françaises ont fait part le 6 juillet de leurs inquiétudes devant les nouvelles règles prudentielles prévues par le Comité de Bâle. Elles craignent que la mise en œuvre des règles de Bâle IV entraîne une augmentation de plus de 50 %, dans certains cas des exigences de fonds propres des banques (leurs réserves en capital). Elles estiment que les propositions donneraient un avantage aux banques américaines compte tenu du poids important des marchés financiers dans le financement des entreprises aux États-Unis. »

Ce que signale cet entrefilet est typique : il y est suggéré que la gestion du risque devrait céder le pas devant d’autres considérations jugées plus importantes et dans le cas présent, en raison de la concurrence existant entre les banques situées sur les deux rives de l’Atlantique.

Le cadre général de cette affaire est d’une très grande banalité : les établissements bancaires opérant dans un contexte différent selon les nations, si on devait leur appliquer un mode de gestion du risque uniforme au niveau international (ici, par la constitution de réserves en capital) certains seraient favorisés par rapport à d’autres. Ceux qui s’estimeraient lésés crieraient au scandale et réclameraient un relâchement des conditions qu’impose pourtant une saine gestion du risque.

Le contexte différent dans ce cas-ci, c’est que les firmes se financent de préférence auprès des banques en Europe et sur le marché global des capitaux aux États-Unis.

Si le régulateur tenait compte du risque systémique que les différentes banques font courir au système financier dans son ensemble, une concurrence parfaite ne pourrait être instaurée entre elles : tout effort global de gestion du risque pénaliserait nécessairement celles qui génèrent un risque systémique plus grand – qui crieraient alors à la persécution. Or l’obligation de constituer des réserves vise à protéger la société dans son ensemble contre les dangers inhérents au fonctionnement de la finance, et plus spécialement de la spéculation, dont on continue de feindre qu’elle constituerait une part des pratiques aussi légitime que les autres.

Un univers de concurrence parfaite, il en existe. Ainsi celui que l’on a connu dans la période qui précéda le grand effondrement de septembre 2008 : chacun prenait les risques qu’il jugeait bon de prendre et la fête battit son plein jusqu’à ce que la musique s’arrête.

Le Credit-default Swap (CDS) est un produit financier dérivé visant à jouer un rôle positif dans la gestion du risque. Il permet en effet de s’assurer contre les pertes éventuelles liées à un emprunt : que les intérêts promis ne soient pas versés, ou que le montant lui-même du prêt ne soit pas remboursé. Celui qui s’assure paie une prime. On imaginerait que le montant de la prime soit calculé – comme dans le cadre classique d’un contrat d’assurance – en fonction du risque couru et du montant possible des pertes. Or il en va autrement : le montant de la prime est déterminé par l’offre et la demande pour le CDS en question, lesquelles peuvent être purement spéculatives car un CDS peut se contracter que l’on soit exposé ou non à une perte éventuelle sur un emprunt. Qu’est-ce qui autorise à penser que cette formation du montant de la prime par l’offre et la demande permette une évaluation valide du risque encouru ? Rien qui soit d’ordre scientifique, seulement un dogme, celui de l’omniscience des marchés : la capacité qu’on leur prête de ne jamais se tromper.  La « science » économique postule que la combinaison de paris spéculatifs dans un sens et dans l’autre produit une évaluation exacte du risque encouru. Est-ce le cas ? Absolument pas ! On a pu constater ainsi que dans les cinq années qui ont précédé l’effondrement du prix des titres subprime, le montant de la prime des CDS émis sur eux n’avait pas cessé de baisser.

La gestion du risque en matière financière, il faut le constater, c’est le reste du monde qui l’exige, la finance nous le répète tous les jours : elle-même s’en passerait bien, elle traite la gestion du risque de manière fantaisiste ou propose de la sacrifier toujours en premier !

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  1. Mes yeux étaient las, bien plus que là, juste après l’apostrophe : la catastrophe.

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