Billet invité.
L’accord passé entre l’Union européenne et la Turquie afin de contenir les réfugiés a-t-il un avenir ? Ayyip Recep Erdogan, le président turc, va-t-il s’en tenir à ses rodomontades ou passer à l’acte et engager des mesures de rétorsion en desserrant les contrôles sur les frontières maritimes du pays pour obtenir gain de cause sur la suppression des visas ?
Jean-Claude Juncker a publiquement fait part de ses inquiétudes à cet égard, rompant avec l’attitude des autorités européennes qui jusque là faisaient le dos rond et s’en tenaient, en terme de répercussions du « contre-coup » turc, à d’hypothétiques conséquences sur les négociations sur l’entrée du pays dans l’Union. Le quotidien allemand Bild a publié hier un entretien avec Yannis Mouzalas, le ministre grec chargé de l’immigration – qui a ensuite démenti la traduction de ses propos – réclamant un « plan B » au cas où l’accord avec la Turquie serait dénoncé. En Allemagne, Bärbel Kofler, chargée des Droits de l’Homme auprès du gouvernement allemand, a sur un autre registre réclamé « un réexamen » de celui-ci, car il « présuppose l’existence d’un État de droit de tous les côtés, et en Turquie ce n’est pas le cas actuellement ». Bref, l’exode massif des réfugiés vers la Grèce pourrait reprendre, relançant une crise stoppée avec les plus grandes difficultés.
La Route des Balkans n’est plus fréquentée comme l’an passé. En juin dernier, seuls 16.335 réfugiés sont entrés en Allemagne, selon le ministère de l’intérieur, un niveau qui s’est stabilisé depuis plusieurs mois. Recoupant ce chiffrage, les autorités serbes confirment qu’environ 100.000 réfugiés ont depuis le début de l’année réussi à traverser le pays, ne voulant pas qu’ils s’y amassent, le gouvernement hongrois les laissant passer au compte-goutte quand il ne les refoulent pas en-deçà de la clôture de barbelés qu’il a érigée.
L’Italie est devenu la principale porte d’entrée en Europe. La traversée de la Méditerranée au départ de la Libye a retrouvé son rythme de l’année précédente, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), qui a comptabilisé l’arrivée en Italie de 94.000 réfugiés depuis le début de l’année. Au prix de la noyade de plus de 3.000 d’entre eux, un nombre en progression de 50% par rapport à l’an passé, et en dépit des efforts de la marine italienne et des ONG qui veillent sans relâche à l’extérieur des eaux territoriales libyennes où ils ne peuvent pénétrer.
Les autorités européennes font également preuve de carence au chapitre des « relocalisations » au sein de l’espace Schengen décidées il y a un an. Sur les 160.000 réfugiés qui devaient en bénéficier, 3.056 seulement l’ont été au 11 juillet dernier, ce qui témoigne de l’extrême mauvaise volonté des gouvernements européens mise à appliquer ce qu’ils ont décidé. Par voie de conséquence, 57.000 réfugiés sont bloqués en Grèce, dont 9.634 sur les îles, la plupart du temps dans des conditions matérielles déplorables, tant pour leur hébergement, leur nourriture que les soins auxquels ils ont accès.
L’enregistrement des demandes d’asile s’y poursuit très lentement, 13.583 demandes ayant été enregistres et 677 seulement acceptées. Les experts des pays européens devant aider les autorités grecques sont loin d’être tous arrivés, autre signe de mauvaise volonté, car leur venue accélérerait le mouvement et accentuerait la pression en faveur de l’application des accords de « relocalisation ».
Tout n’est cependant pas bloqué au niveau communautaire, suite à l’adoption par le Parlement européen, intervenue dans l’urgence le 6 juillet dernier, de la création d’une nouvelle agence européenne prenant la succession de Frontex, avec des prérogatives et des moyens renforcés, dont un corps de gardes-frontières de 1.500 membres rapidement mobilisable sur décision du Conseil européen. Comme l’a relevé Jean-Claude Juncker, « l’Europe est capable d’agir rapidement et résolument pour faire face à des défis communs ». C’est incontestablement le cas quand il s’agit de faire obstacle à l’exercice du droit d’asile.
Afin de faire face à la poussée de l’immigration, et à la concrétisation du droit d’asile, une politique d’ensemble est en voie de définition, confortée par l’efficacité accordée à l’accord passé avec la Turquie. Celui-ci est salué dans les documents officiels, en raison de sa contribution « à dissuader les migrants et les demandeurs d’asile de rejoindre clandestinement l’Union européenne », une remarque coïncidant difficilement avec les principes de protection inscrits dans le droit international.
L’objectif est de passer des accords dissuasifs avec 16 pays d’Afrique et du Moyen Orient à l’origine des flux migratoires vers l’Europe, afin de repousser en amont l’immigration et d’extra-territorialiser les demandes d’asile. Les pays coopératifs seraient financièrement récompensés, les autres pénalisés. Il est également proposé de rallonger la liste des pays considérés comme « sûrs » – où figure déjà la Turquie – en rajoutant l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Macédoine, le Kosovo, le Monténégro et la Serbie, empêchant ceux qui y parviennent malgré tout d’obtenir l’asile. En pure perte, une centaine d’ONG ont ensemble appelé au rejet de ces « stratégies de dissuasion » qui ont été avalisées le 29 juin par les chefs d’État et de gouvernement, car l’Europe qui se déchire s’unit pour cesser d’être une terre d’asile.
Cela n’empêche pas des signaux inquiétants répétés de la montée de la xénophobie de parvenir notamment de Hongrie, de Tchéquie et de Serbie. Viktor Orban, le premier ministre hongrois, organise le 2 octobre prochain un référendum où la question suivante va être posée : « Voulez-vous que l’Union européenne décrète une relocalisation obligatoire de citoyens non hongrois en Hongrie sans l’approbation du Parlement hongrois ? ». Le président tchèque Milos Zeman, qui avait déjà défrayé la chronique en qualifiant « d’invasion organisée » l’exode des réfugiés, a fin juillet plaidé pour une libéralisation du port d’armes et la mise en place d’une « protection active de la frontière ». Des équipes conjointes de la police et de l’armée vont protéger les frontières serbes, a annoncé le premier ministre Aleksandar Vucic, qui a prévenu que son pays n’entendait pas devenir un « parking » pour les migrants.
De toutes les ignominies qui sont faites au nom de l’Europe, comme le sort réservé aux Grecs, aux Portugais et aux Espagnols, celles qui sont faites ou se préparent contre les réfugiés sont les pires. Ceux qui parlent au nom des Européens prétendent la protéger des plus démunis en niant les valeurs auxquelles elle se réfère. Ce genre de comportement ne donne jamais de bons résultats.
« Biden vient de soulever un peu la planche de son côté. » « L’élargir hors de l’Ukraine. Zelensky s’y est employé » Ah…