La Vraie fausse interview d’Isabelle Joly m’a immédiatement donné l’envie d’y répondre.
J’ai connu des personnes ayant vécu à l’époque où l’on vivait l’entièreté de sa vie sans jamais pouvoir communiquer avec soi-même plus âgé. On imagine mal aujourd’hui comment il était même possible de le faire : chacun tâtonnait dans une obscurité complète sans savoir jamais si l’acte qu’il venait de poser était l’œuvre d’un génie ou d’un crétin absolu. Certains s’auto-congratulaient ainsi pour leur perspicacité alors qu’ils avaient bénéficié simplement d’une veine de pendu, tandis que d’autres s’accablaient de reproches infinis alors que seules des circonstances contraires leur avaient barré l’accès au succès.
Vous surprendrai-je si je vous dis que quand j’ai découvert que j’écrirais dans une cinquantaine d’années des livres intitulés « Le dernier qui s’en va éteint la lumière » et « Qui étions-nous ? » la chose m’a paru aller de soi ? La raison en est que ce sont ceux que j’aimerais déjà écrire aujourd’hui. Mais pour se confronter à des sujets comme ceux-là, il faut avoir vécu et pas seulement au sens d’avoir observé le passage du temps : il faut avoir éprouvé dans son corps et dans son âme des expériences d’ordres multiples. Le titre de certains des livres que j’aurai écrit avant ces deux-là, comme « Les pêcheurs de Houat », « Principes des systèmes intelligents », « Investing in a Post-Enron World » (quoi que ce soit que le nom « Enron » désigne) ou « Comment la vérité et la réalité furent inventées », me font penser que cela aura été le cas et je me sens rassuré sur ce plan-là.
Je parlerai donc d’extinction, je parlerai donc de nous au passé, fort bien : les hommes n’apprennent donc rien. C’est bien ce que je lis aujourd’hui sous la plume de Hegel. La chose est bonne à savoir en tout cas mais ce n’est guère étonnant : l’alternance de crainte et d’espoir qui était autrefois le lot de tous quand il s’agissait du lendemain constituait un obstacle terrible à toute forme de lucidité : il n’y avait de faribole que l’on puisse inventer à laquelle l’un ou l’autre n’était prêt à croire dur comme fer, tant la soif était violente de réduire un tant soit peu l’angoisse de chacun devant l’avenir.
Ceci dit, Hegel évoque aussi la « ruse de la raison » : qu’il y a dans l’histoire des hommes, du fait des passions qui les mènent véritablement, autre chose encore que ce qu’ils imaginent réaliser par l’exercice de leur volonté et qu’ils comprennent de leurs propres motifs. Alors, « extinction » du genre humain dont il faudra parler au passé pour se demander « qui » il avait été, sans doute, mais une question continuera de se poser à quoi que ce soit qui se trouvera alors là : qu’est-ce que cela peut bien cacher ?
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