Billet invité.
Pour les banques, le problème à résoudre est « celui de la faible rentabilité, pas celui de la solvabilité ». C’est ainsi que Mario Draghi, le président de la BCE, a hier placé au second plan la crise en cours du système bancaire italien, donnant au passage son onction à une solution faisant appel à des fonds publics, pour mettre l’accent sur une cause structurelle générale (il n’emploie pas le terme) de la faiblesse du système bancaire européen : la chute de sa rentabilité.
En raison des effets conjugués de la faible croissance, du bas niveau des taux obligataires et des nouvelles contraintes réglementaires, les banques souffrent d’une importante baisse de la rentabilité de leurs capitaux propres – les rendements à deux chiffres ne sont plus qu’un souvenir – et de la chute de leur valorisation boursière. Les investisseurs ne sont pas à la joie, les banquiers qui ont besoin d’eux non plus.
Pour commencer, le monde bancaire a obtenu que les ministres des finances européens s’opposent au projet du Comité de Bâle « d’augmentation significative des demandes en capital ». Ce Comité rassemble les représentants des banques centrales et des régulateurs à l’échelle mondiale. Une nouvelle mesure était en effet en discussion à son initiative, que les banques ont associé à un Bâle IV futur pour signifier qu’il fallait en rester au Bâle III existant.
Les banquiers prennent acte que l’environnement de faible croissance et de très bas taux obligataire est durable, et qu’il vont continuer à en subir les effets. Pour stabiliser la chute de leur rendement, il ne leur reste plus qu’à réduire leurs coûts en réduisant à la pelle leurs effectifs et en stoppant la vague réglementaire. S’opposer publiquement au Comité de Bâle avec le soutien des gouvernements européens marque leur nouvelle détermination, comme s’ils voulaient profiter d’une fenêtre d’opportunité s’ouvrant avec l’ouverture des négociations sur des relations futures de l’Union européenne avec le Royaume-Uni et la City.
Philippe Mudry, le directeur des rédactions de l’AGEFI, titre son éditorial « régulation, le virage européen », se félicitant « que la prise de conscience mûrisse enfin », constatant que « les projets du Comité de Bâle conduisent à une impasse radicale, justifiant une inflexion radicale du processus en cours ». Rappelant que les États-Unis n’ont pas toujours appliqué ses stipulations, et se déclarant par avance étonné que « le Royaume-Uni ne les adapte pas à son nouveau destin avec son pragmatisme coutumier » (qu’il oppose au rigorisme obtus des régulateurs, si l’on comprend bien). Il fait état des interventions en ces sens du gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, et du commissaire aux marchés financiers britannique démissionnaire, Jonathan Hill, deux grands commis de la finance.
Pour évaluer la portée de ce qui est présenté comme un coup d’arrêt, on observera avec intérêt ce qu’il va advenir d’autres mesures réglementaires en suspens au niveau européen. L’enterrement de la taxe sur les transactions financières annoncé, les projets de réforme des modèles d’évaluation du risque des actifs bancaires, contre lequel l’Institute of International Finance a pris position, ou de prise en compte du risque souverain, sont à surveiller de près. Car les deux seraient susceptibles d’avoir de fortes conséquences en terme d’augmentation des fonds propres des banques afin de respecter les ratios en vigueur.
Dans l’immédiat, l’éditorialiste de l’hebdomadaire financier français est pris à contre-pied par les Britanniques derrière lesquels il voudrait se réfugier. La City entre dans la négociation avec l’Union européenne en marchant sur les oeufs, soucieuse de ménager l’avenir en termes d’accès au marché unique. Opposée à toute volonté prématurée de dérégulation, elle veut maintenir un statu quo réglementaire lui donnant les meilleures chances de se faufiler. Si le départ des chambres de compensation de Londres est inévitable, comme celui plus symbolique de l’Autorité bancaire européenne (EBA), la City a bien plus à perdre et ne veut pas prêter le flanc à des refus motivés. A cet égard, la nouvelle directive concernant le règlement Marché d’instruments financiers (MiFID et MiFIR) fait preuve de souplesse en faisant référence à des régimes réglementaires équivalents, condition pour que les portes restent ouvertes. Ce serait dommage de ne pas profiter de cette dernière chance, qu’il vaut mieux garder en réserve. Il y a du grain à moudre, comme on voit.
Le ton est toutefois donné et l’argument ne va pas manquer d’être resservi : « pas d’avantage compétitif pour les banques britanniques ! ». Le temps de la régulation est passé, mais la chute de la rentabilité des banques n’en sera pas pour autant enrayée. Toutefois, comme le vice-président de la BCE Vitor Constâncio l’a remarqué à l’occasion d’une conférence prononcée à Madrid – pas dans ces termes, mais pour le déplorer – le malheur des uns fait le bonheur des autres : la régulation financière s’est concentrée sur le secteur bancaire, laissant le secteur florissant du shadow banking à ses aises.
Mario Draghi s’inscrit dans ce contexte. S’il admet que les banques puissent bénéficier d’un soutien public pour les soulager de leurs prêts non performants, tant pis pour l’Union bancaire ! il préconise aussi la création d’un marché d’échange des créances douteuses, appelant de facto les hedge funds à soulager les banques pour prendre leurs risques et leurs profits dans les profondeurs du shadow banking, les incitant à suppléer aux banques dans le cadre d’un nouveau système de crédit basé sur le marché. De l’art de tenter de retomber sur ses pieds dans un système en déséquilibre, pour l’accentuer !
Une intelligence humaine contemporaine « normale » (disons la mienne) va commencer par calculer les premières valeurs de e(n) (ou les faire…