Retranscription de Le temps qu’il fait le 15 juillet 2016. Merci à Cyril Touboulic !
Bonjour, nous sommes le vendredi 15 juillet 2016, et malheureusement quelquefois quand je fais ma vidéo du vendredi Le temps qu’il fait, c’est l’actualité qui impose ce que je vais dire – en tout cas ce que je vais dire en premier.
Et là, bien entendu, c’est le massacre hier soir à Nice. On ne sait toujours pas grand chose. Il s’agit probablement de quelque chose qu’on étiquettera de « terrorisme », même s’il s’agit de l’action d’une personne isolée, et tout cela souligne très fort, je dirais, la fragilité de nos sociétés.
Des individus peuvent agir à titre personnel en ayant accumulé parfois un arsenal dans leur habitation ou ailleurs. Parfois, ce sont des bandes organisées et là le paradoxe, bien entendu, c’est que ces bandes organisées arrivent à s’organiser malgré la surveillance de masse dont nous sommes tous les victimes : on en sait sans doute beaucoup plus sur vous et moi que sur les gens qui préparent des choses véritablement dangereuses. Si ça se trouve, on consacre même peut-être encore des ressources encore plus importantes à savoir ce que vous et moi ou quelques personnes considérées comme, comment dire, comme des fauteurs de troubles potentiels pensent, plutôt qu’aux centaines ou aux milliers de personnes qui reviennent de Syrie pour y avoir fait un tour. Pourquoi y avoir fait un tour ? Probablement poussées par le ressentiment par rapport à des situations qui se passent à la maison.
Et je ne parle pas seulement de la France, bien entendu : l’actualité de ces jours récents, de ces semaines récentes, ça a été aussi, bien entendu, les États-Unis où des situations coloniales, d’esclavage, non résolues définitivement continuent d’être des foyers d’infection et, voilà, et l’attitude vis-à-vis de populations qui ont été des populations colonisées ne s’arrange pas malgré les siècles qui se sont passés depuis les événements en question.
L’information n’est pas venue très rapidement. Moi, j’ai obtenu ce que j’ai pu voir au départ de la BBC. À 1 heure du matin (2 heures ou plus après les événements), sur le site de l’Agence France-Presse (AFP), il n’y avait encore qu’un bandeau, un tout petit machin qui se déroulait en disant quelque chose à propos de Nice. Alors, est-ce que c’est parce que c’était le soir d’un 14 juillet et que la veille n’est pas constante ou n’est pas de grande qualité ? Je ne sais pas. En tout cas, si vous avez suivi ça comme moi – je regarde rarement la télé mais dans des occasions comme celles-là (c’était le cas aussi lors des attentats à Paris), je regarde la télé –, et l’information reste de très très mauvaise qualité pendant des heures et des heures, alors qu’on est à l’ère du numérique et qu’il pourrait y avoir quand même, je dirais, des réseaux d’information. Il y en a quelques-uns puisque parmi les gens qui ont réagi le plus rapidement, après ce que j’ai pu voir, moi, de la BBC, c’était l’agence RT… dont le financement est russe.
Voilà, alors que peut-on faire ? Eh bien, on peut réfléchir. On peut surtout penser à cette réflexion, qui est tellement importante, de John Maynard Keynes dans les années 30 : on ne peut pas s’arranger, dit-il… – avant d’aller plus loin, c’est une réflexion qui me paraît extraordinairement importante mais si j’ai bon souvenir, je n’ai vu personne parmi les commentateurs de Keynes depuis son époque à avoir relevé ça. C’est moi qui ait trouvé ça quelque part dans ses écrits –, c’est de dire : s’il est pratiquement impossible d’obtenir le consensus d’une population importante, on peut quand même s’arranger du côté des gouvernants, on peut quand même s’arranger pour diminuer le ressentiment dans une population. Si on ne peut pas mettre tout le monde d’accord, on peut quand même minimiser la dissension dans les sociétés.
Et ça, c’était une considération, voilà, qui semblait importante dans les années 30 et malheureusement nos gouvernants depuis les années 70 ont complètement oublié ça. On fait des politiques mais sans se préoccuper du fait qu’on pourrait, sinon rendre heureux tout le monde, en tout cas rendre malheureux le plus petit nombre de personnes. Maintenant, on s’en fiche, je lisais un livre sur lequel je reviendrai, dont je vous reparlerai, mais qui nous disait : la manière dont on aborde le problème lié au climat, ce n’est pas du tout qu’on va essayer de sauver le Bangladesh mais c’est qu’on va permettre à quelques richissimes bangladais de s’enfuir quand il le faudra. Et c’est ça, de cette manière-là qu’on aborde nos problèmes, qu’on essaie de les traiter. Comme je l’ai dit dans les premières lignes de Le dernier qui s’en va éteint la lumière : on n’envisage encore de résoudre nos problèmes que si ça rapporte un profit, et non pas un profit à la communauté dans son ensemble mais si ça rapporte un profit à quelques personnes en particulier.
Et vous le savez, le message idéologique, le message de propagande qu’on nous distille c’est que ces personnes auraient le droit de, voilà, de ramasser la mise parce qu’elles prendraient des risques. Et c’est une des choses que j’ai soulignées dans ce livre sur Keynes (mon livre Penser tout haut l’économie avec Keynes), c’est qu’en général, les gens qui gagnent beaucoup d’argent, ils le font car ils ont pu au contraire transférer l’entièreté du risque auquel ils auraient pu être exposés eux aussi : ils ont pu le transférer aux autres. Et, donc, cette idéologie du risque fait partie de, voilà, des choses qu’il faut exploser : la personne qui gagne beaucoup d’argent, c’est la personne qui s’est débarrassé du risque sur les autres et pas une personne qui devrait être récompensée pour son talent ou pour, voilà, pour le risque qui est encouru. Ces personnes qui gagnent beaucoup d’argent, à quelques exceptions près, dont je ne connais d’ailleurs pas l’identité mais je dis ça par précaution, ce sont des prédateurs, il faut bien le savoir et le répéter.
Alors, ce n’est pas bien entendu de ça que j’avais envie de vous parler quand je réfléchissais vaguement dans la soirée, hier. J’avais envie de vous parler de ce petit dessin animé que nous avons produit du côté du blog de Paul Jorion pour essayer d’encourager Thomas Piketty à se présenter à l’élection présidentielle. Et les événements de la nuit ne rendent pas cet appel moins pertinent qu’il n’était hier.
Alors, il y a des gens qui me font des objections en disant : « Le culte de la personnalité, vous attendez l’homme providentiel, etc. », non ! Ce n’est certainement pas moi qui est inventé la fonction présidentielle en France, ce n’est pas de mon ressort. Je ne peux pas faire grand chose pour le changer mais ce que je peux faire c’est, bon, faire ce que je peux de mon côté pour essayer de pousser ça dans la bonne direction. Et la bonne direction, à mon sens, ce n’est pas une des personnes qui dans la situation telle qu’elle est : M. Sarkozy, M. Juppé, Mme Le Pen, éventuellement M. Macron, ce n’est pas un de ces quatre-là qui peut véritablement améliorer la situation dans les années à venir.
Alors, il faut penser à autre chose, il faut penser en-dehors du cadre. Oui, bien sûr, il n’a pas d’expérience politicienne, il le répète d’ailleurs lui-même. Mais comme on l’a vu ces années récentes, c’est plutôt un avantage : les gens qui font carrière dans la politique sont des gens qui sont obsédés par ça, qui ne… là, parlons encore de Keynes : Keynes, en 1919, quand il claque la porte des discussions sur le traité de Versailles dans lequel il est impliqué en tant que représentant de la Grande-Bretagne et qui dit : « Ils sont en train, pour être réélus la prochaine fois, de sacrifier le sort de deux générations », ça reste toujours vrai, toujours bonne parole, bonne réflexion également de Keynes.
Alors, voilà, bon, aujourd’hui, vous n’aurez pas, je dirais, d’exposé de ma part sur un thème bien précis : quelques réflexions sur l’actualité et sur ce que j’ai pu essayer de faire avec une petite bande d’amis là qui ont fait un travail absolument considérable et qui y ont mis de l’enthousiasme, mais ça ne veut pas dire que ce n’est pas du boulot et que ce n’est pas exigeant et que, voilà, que n’importe qui aurait pu le faire, ce n’est pas le cas. On a fait ce petit dessin animé, c’est la première fois que, voilà, moi, j’ai fait de la bande dessinée avec Grégory Maklès (La survie de l’espèce). Voilà, il se fait que maintenant que j’aurai fait du dessin animé – à ma manière, hein, je ne suis pas dessinateur [rires] –, en apportant ce que j’ai pu. Diffusez cette vidéo, c’est important !
Il y a une pétition sur Change.org qui y est associée. Il faut que très rapidement, le plus rapidement possible, qu’on dirige les pays autrement qu’on ne l’a fait et il y a des personnes qui sont capables de le faire et n’en sont pas convaincues elles-mêmes, mais ça c’est un atout. À nous de les convaincre que nous avons besoin d’eux.
Et vous le savez, je ne suis pas citoyen français (je me mêle de choses qui ne me regardent pas). Je fais ce que je peux aussi également, bien entendu, du côté de mon pays dont j’ai une carte d’identité. Je ne m’en désintéresse pas non plus comme vous allez le voir peut-être, voilà, dans les semaines, dans les mois, dans les années qui viennent. Mais on peut tous faire quelque chose et dans l’ère du numérique, voilà, même si des professionnels ne sont pas toujours là au moment où on aurait besoin d’eux, vous, vous pouvez faire plein de choses : c’est une question d’imagination et de découvrir à plein la puissance de ces outils. Je sais quand je dis ça que mon ami Bernard Stiegler pense des choses très différentes sur les réseaux sociaux, mais pour moi il s’agit d’une force. Bien entendu, on essaye de nous exploiter là-dessus comme sur le reste ! Mais ça ne veut pas dire que ça ne soit pas quelque chose de très important, on peut en faire encore bien davantage que ce n’est en ce moment.
Voilà, allez, à bientôt !
J’ai lu que son job sera de fermer le ministère de l’éducation ; et de renvoyer ces compétences aux niveaux…