Billet invité.
Krugman, Turner, Stieglitz, Bernanke… il ne manque pas de grands noms pour se relayer au chevet de l’économie japonaise. Tous prescrivent une politique permettant au pays de s’accommoder au mieux de la déflation et du piège à liquidités, puisqu’elle ne parvient pas à en sortir, en espérant qu’une issue finalement surviendra. La question est d’importance devant la menace de japonisation qui pèse sur les économies avancées.
Dans son nouveau rôle de conseiller de haute volée, l’ancien président de la Fed Ben Bernanke suit assidûment la situation au Japon, où il fait campagne pour sa thèse au plus haut niveau. Fort de l’expérience dont il peut se prévaloir en matière de banque centrale, il y va de sa proposition, déjà formulée par Adair Turner : l’État devrait émettre des obligations perpétuelles qui seraient achetées directement par la Banque du Japon. Tout tourne toujours autour de ce cet « helicopter money » qui est devenu une auberge espagnole, au fur et à mesure qu’apparaissent de nouveaux partisans porteurs de leur propre conception de ce lâché massif de liquidités.
Etsuro Honda, dont les propos sont rapportés par l’agence Bloomberg, est l’un de ceux qui peuvent revendiquer en tant que conseiller la paternité des « Abenomics », la politique de reflation du premier ministre Abe Shinzo lancée en 2013. Il considèrerait aujourd’hui qu’emprunter la nouvelle voie proposée permettrait d’en renforcer les effets. Ils se font en effet attendre après avoir été beaucoup annoncés. Au moins pourra-t-il être dit ensuite que tout a été essayé.
Les banquiers centraux ont leurs coquetteries, ne dédaignant pas laisser une trace dans l’histoire de la pensée économique. C’est le cas de Ben Bernanke, ainsi que celui de Vitor Constâncio. Mais ce dernier étant encore en exercice, quelques retenues lui sont imposées ! Invité par l’Université de Navarre de Madrid, où il a ses habitudes, le vice-président de la BCE a effectué un large tour d’horizon de l’état du système financier le 7 juillet dernier. Il mérite d’être lu, non pour ses audaces sur les sujets du moment, mais pour sa vision globale qui n’est pas si fréquente.
Tout y passe, la régulation financière, l’impact des nouvelles technologies, l’évolution du modèle bancaire, etc… Mais l’attention est attirée par son analyse de ce secteur dont on ne parle plus guère, le shadow banking, dont il est désormais attendu qu’il relance en Europe un crédit appelé à dépendre moins des banques et plus du marché. Un shadow banking dont l’essor provient de celui de « la titrisation, des opérations de financement des valeurs mobilières, à savoir les accords de prêt de titres et de rachat (prises en pension); de la gestion des garanties et de l’intermédiation; et enfin de la transformation du risque via les swaps sur les dérivés, la défaillance de crédit, les taux d’intérêt ou les devises ». Telle est la description de la batterie de cuisine du shadow banking.
Le constat de Vitor Constâncio est sévère : le shadow banking, à qui l’on doit « le niveau excessif de l’effet de levier et l’illusion d’une liquidité abondante qui nous a conduit à la crise », est le parent pauvre de la régulation financière. Sa conclusion ne laisse pas de place à l’équivoque : « la réforme de la régulation financière internationale a concentré ses efforts sur le système bancaire ; elle n’a pas traité ces nouvelles activités de manière appropriée. »
Résumons-nous. Dans un cas, un ex banquier central préconise pour la troisième puissance mondiale une solution hétérodoxe qui a tout de la fuite en avant. Dans l’autre, un banquier central en exercice déplore que la régulation a épargné un pan entier du système financier. Au sein d’un système qu’elles assistent, les banques centrales sont plus que jamais incontournables. Les avis de leurs dirigeants deviennent paroles d’Évangile sans pour autant imprimer leur marque aux évènements. Faut-il en tirer comme conclusion que ce monde-là est devenu ingouvernable ?
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