À propos de Rocard, par André Fontaine

Billet invité. Se trouve également ici.

Les médias rendent à juste titre hommage à Michel Rocard. Cependant, la plupart des commentateurs placent sa carrière dans un déroulé historique qui le tire vers un milieu politicien qui dans le fond n’était pas tout à fait le sien.

J’ai appartenu au PSU dès sa création, car j’étais adhérent de l’UGS, un des petits partis qui  se sont unis avec le PSA qui regroupait des sortants de la SFIO, dont Michel Rocard. Je n’ai commencé à militer qu’avec Mai 68, me reconnaissant dans ce mouvement destructeur d’une société ankylosée dans ses certitudes bourgeoise ou communiste. En tant que secrétaire de la section de Palaiseau, j’ai suivi alors toutes les luttes internes du PSU, qui reprenaient en plus feutrées celles des groupuscules qualifiés de gauchistes. Je n’ai pas connu l’homme Rocard, mais le militant dans des réunions où, en tant que Secrétaire, il tenait le rôle principal. J’ai apprécié, en dehors même de son débit si caractéristique, sa détermination et la qualité de ses arguments, d’autant mieux que j’avais glissé vers la GOP, courant opposé à la stratégie de son courant.

Je partage la plupart des jugements qui ont été portés sur la rectitude de l’homme et sur la continuité de sa ligne politique. Cette ligne était présentée en 1972 dans l’introduction au Manifeste du PSU :

« Or c’est un fait qu’à travers la volonté d’autogestion s’expriment à la fois un refus et un projet :

    – un refus, celui de la toute puissance d’un État que la bourgeoisie a modelé en fonction de ses intérêts, et il est significatif qu’il s’accompagne d’un refus d’un État analogue à celui que l’URSS impose à ses travailleurs comme à ceux des démocraties populaires : un État qui en vient, comme naguère en Pologne, et surtout en Tchécoslovaquie, à contredire la lutte ouvrière elle-même ;

    – mais aussi un projet, celui d’une société où les hommes soient capables de prendre en main leurs propres affaires, de prendre eux-mêmes les décisions qui concernent leur travail, leur cadre de vie, leur formation, leurs relations et toute leur vie quotidienne »

Si on ne pouvait que partager sans réticence le refus, la GOP dénonçait les ambiguïtés du projet autogestionnaire par rapport à la division sociale. C’est à ce moment que, devant le niveau social des militants du PSU, j’ai eu l’intuition que ce parti n’avait rien de prolétarien et était celui de la classe des cadres, celui de la classe compétente comme je la nomme qui aspirait à devenir la classe dominante à la place de la bourgeoisie en écartant l’autre concurrent, le Parti. Ce ne fut pas l’analyse de Rocard.

Dès les élections présidentielles de 1974, il se rallia à la candidature de Mitterrand entraînant son courant et une partie de la CFDT dans une adhésion au PS où il représenta la « deuxième gauche ». Il semble avoir cru qu’il s’imposerait facilement au sein du PS, porté qu’il était par le rouleau compresseur des progrès scientifiques et technologiques qui automatisaient les moyens de production, mettant ainsi au premier plan la gestion, en particulier économiste.

Il avait sous-estimé les pesanteurs humaines des membres du PS dont certains avaient accepté les compromis de la fin de la SFIO. Si la « deuxième gauche » était encore de gauche, le PS ne l’était pas et ne l’avait jamais été ; derrière une façade socialiste archaïque, dépassée par l’évolution de la société, se cachait un appareil électoral de recherche du pouvoir pour le pouvoir sans aucune colonne vertébrale politique. Il a bataillé pendant des années contre Mitterrand et son opportunisme florentin avant d’infléchir le PS vers une ligne un peu plus compétente. Son demi-succès interne n’intervint qu’au tournant des années 90 où les forces visées par les deux refus de 1972 étaient en France éliminées : les communistes s’étaient vus forcés à condamner le totalitarisme du Parti et la bourgeoisie étant supplantée par les bureaucrates des sociétés anonymes, les gaullistes se désagrégeaient.

Rocard n’a pas alors compris que, si son combat interne avait en partie réussi, c’est que la classe dont il avait été le principal champion était devenue la classe dominante et en conséquence conservatrice. Il est resté fidèle au PS qui n’avait été au mieux qu’un parti du centre qui n’a jamais viré à gauche et est devenu franchement de droite, comme on a pu le voir avec Manuel Valls s’écriant « Vive l’entreprise ». Restant aussi fidèle à l’économisme qui a sous-tendu son engagement politique, il n’a pas su jeter un regard suffisamment critique sur la société que son propre engagement avait contribué à créer ou au moins à aider à s’imposer dans son pays, (naturellement grâce aussi à la mondialisation états-unienne).

Il disparaît et Libération écrit « Michel Rocard une gauche d’avance » comme s’il y avait eu une gauche moins avancée. Laquelle? Probablement pour Libération celle de Messieurs Mitterrand, Hollande ou Valls, autrement dit celle inexistante du PS. Eh bien non. Rocard était de gauche au début de sa carrière, mais ce n’est que lorsque la société lui a donné raison en le transformant ainsi en conservateur, que sa ligne a été acceptée avec quelques réticences par le Parti Socialiste. Comme il n’a pas voulu ou pu se dégager de cet appareil, les soutiens du PS utilisent sa disparition pour se couvrir du manteau de gauche qu’il ne portait plus.

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