L’arrogance et le mépris de classe (suite), par Jacques Seignan

Billet invité.

Dans sa dernière vidéo Paul Jorion évoque le Brexit. Un des fils rouges qui permet de comprendre ce qui se passe dans ces révoltes électorales aux terribles conséquences est le mépris sans limite, et affiché sans vergogne, par les classes qui se croient et se sentent supérieures.

Une autre vidéo [avec Alexis Corbière, porte-parole de J.-L. Mélenchon, sur LCI)] offre une parfaite illustration de cette arrogance de classe : son interlocuteur, J.-D. Giuliani récite impavide son dogme féroce et inepte qui consiste à vouloir toujours comparer pour aligner vers le bas les salaires et les conditions de travail, et à court d’arguments, il finit par parler de populisme. Comme toujours.

Or Paul Jorion nous rappelle que justement, en Angleterre, ce mépris de classe a fortement contribué au cataclysme du Brexit. Les peuples européens n’en peuvent plus. Passe que l’on ait des politiques désastreuses aux conséquences économiques très dures pour les plus pauvres – ils sont habitués à subir –, mais c’est en effet dépasser les limites de la décence (« common decency ») que de leur dire qu’ils ne comprennent rien. En Angleterre, tout allait si bien (Madame la Marquise ?) : plus de chômage, de la croissance, et donc la souffrance et la misère des laissés-pour-compte étaient pure illusion de leur part. Et de leur expliquer en outre que ces politiques sont pour leur bien (waw la compétitivité !) – quand soi-même on fait partie des privilégiés. Et chez nous « ça va mieux », n’est-ce pas ?

Partout ces temps-ci on a pu voir, éberlué, ce type de cynisme, involontaire ou non. Car la bêtise rejoint la méchanceté, inlassablement.

Un des éditorialistes du Monde, A. Leparmentier écrit dans sa chronique datée du 27.6.2016 :

« Dans ce contexte, les populations les plus faibles choisissent le repli identitaire. Sur la nation, voire le pays natal, le Heimat, avec un retour d’une tradition plus ou moins surannée – Union Jack, chants basques ou culotte tyrolienne –, emblématique d’un besoin d’ancrage, d’appartenance. Pendant des décennies, les Européens ont cru que l’intégration européenne leur permettait de garder leur identité. Ils en doutent, et choisissent la culotte tyrolienne contre l’Europe, se croyant mieux protégés seuls pour affronter l’avenir. C’est cela le choc du Brexit »

On sent sourdre son mépris quand il parle « repli identitaire » et les « traditions plus ou moins surannées ». Passons-les en revue. « L’Union Jack » ? Qu’il demande aux Résistants ou aux Français des années 40 (sauf aux Collabos) ce que représentait ce drapeau. Les « chants basques » ? Qu’il aille les entendre et vérifier combien ils sont un outil d’intégration et de solidarité. La « culotte tyrolienne » ? De la pure xénophobie, peut-être subrepticement justifiée par l’image d’Hitler ainsi vêtu. Mais connait-il ces premiers résistants du Tyrol en lutte contre Napoléon, avec à leur tête, Andreas Hofer ? Et d’ailleurs oserait-il avancer que la djellaba est un habit suranné ?

Mais les discours de ce type sont si nombreux aujourd’hui. Il est donc temps de s’unir et s’unir implique de se parler même si l’on vient d’horizons très éloignés. Dans le remarquable texte publié dans le Figaro pour refonder l’Europe on trouve ainsi la signature d’un partisan zélé de la psychanalyse, P. Jorion, avec celle d’un contempteur de Freud, M. Onfray.

Dans le Figaro ? Mais était-ce pensable de le publier dans le journal de MM. Drahi et Quatremer, feu Libération ? Un M. Quatremer qui éructe dans un tweet : « pour éviter l’effet de contagion, il faut que le départ soit douloureux ». Douloureux comme la politique ultralibérale (néo-fasciste) de la Troïka imposée à la Grèce. Contre toute raison économique et pour l’exemple. Pour remettre les peuples dans le droit chemin. Comme pour les Africains qui subirent le joug colonial – encouragés par des mitrailleuses afin de leur permettre d’accéder à notre belle civilisation humaniste. Heureusement il y a eu des progrès, surtout chez nous, dans l’ancien centre impérial : on mitraille avec des discours. Mais humilier est une forme de violence qui peut tuer.

Alors pensons à ce qu’accomplirent nos aînés à la Libération avec le Conseil National de la résistance, qui sut unir tant de talents et d’opinions différents pour reconstruire la France. C’était finalement, comme aujourd’hui, une question de survie. Et un jour Stéphane Hessel a voulu défendre l’œuvre du CNR avec son cri : « indignez-vous ! ». Soignons dignes de lui.

J’aurais un petit conseil à donner aux petits marquis « mépriseurs ». Mépriser, c’est comme manipuler de la merde, c’est toujours courir le grand risque de se salir. De s’en prendre plein sur soi. Comme MM. Cameron et Johnson.

Oui, nous sommes des Européens convaincus ! Oui, nous voulons un jour être des citoyens du monde, sans frontières et dans la paix. Mais nous comprenons maintenant que nous devrons d’abord écarter du pouvoir ceux qui ont provoqué ce chaos. Ils ne sont rien : unissons-nous ! et demain nous sauverons le genre humain.

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