Billet invité.
Le dicton « fluctuat nec mergitur » évoque une certaine résilience, que Lutèce a déclarée sienne, d’encaisser les vagues (les flots et leurs fluctations) sans couler.
Nous assistons dans le cas du BREXIT aux effets d’amplification des bêtises, (du « fluctuat ») d’institutions ou de responsables politiques, effets qui deviennent de plus en plus nocifs au fur et à mesure que leur pouvoir s’accroit. Avec le « désunissement du royaume uni », une balkanisation et de nouvelles zones d’influence en liberté surveillée par les grandes puissances (comme ce fût le cas de la Yougoslavie) deviennent du jour au lendemain de réelles possibilités à l’ouest de l’Europe (Ecosse prête au départ, Irlande prête à une réunification, City en amarrage incertain…). La fluctuation commence à faire mal parce qu’elle dépasse son but initial.
Parmi les difficultés à sortir du cadre de pensée mainstream, apparait bien à la lumière du Brexit une des constantes dans le type de chaos que nous vivons : quand une oligarchie détient du pouvoir (financier et/ou politique) dépourvu de contre-pouvoirs suffisants, elle finit, en jouant des coups de plus en plus gros que lui permet l’accroissement de sa fortune, par couler des tranches entières de la société.
J’avais involontairement croisé ce mécanisme dans mes simulations de « l’effet Piketty contre Gattaz » (ici): je n’y implémentais que des mécanismes équilibrés entre riches et pauvres, mais, bien gentiment, un plancher pour les pauvres, le niveau de survie marxien en gros. Or ce qui provoque dans ce modèle les crises, c’est lorsque la grande richesse d’un seul vient tenter son deal quotidien (6% de sa fortune) et la gagne sur les pauvres. Cela les scotche au plancher et rend le deal inégal, chose que je dois compenser d’une certaine façon. Il se trouve que la façon la plus réaliste (sans se servir dans la poche des riches) est d’acter un appauvrissement collectif, qui par la suite entraine tout le monde assez vite par le fond. Plus de mergitur du tout !
Ces effets des fluctuations nous troublent depuis quelques années, disons depuis 2001. Par exemple, nous observons un cours du pétrole baissant drastiquement il y a quelques années, et ce au moment où la rareté à venir du pétrole est patente (on devrait déjà abandonner le charbon, du point de vue du CO2, pour utiliser à la place le pétrole/le fuel). Donc difficile de bâtir son échafaudage de projet de société sur un apport chaotique. Tel devient pourtant le destin de bien des secteurs du monde qui nous entoure.
Dans le cas du BREXIT, c’est le Royaume-Uni, se croyant riche, se croyant influent dans l’Europe, toujours assez pour négocier pas comme les autres, qui a sécrété un Cameron par ailleurs bien doté au niveau du cerveau, mais qui devient le lanceur d’allumette qui enflamme les rideaux. C’est de nouveau la possibilité d’une fluctuation géante confiée à une oligarchie (dont David Cameron s’est fait le surfer) qui fait des dégâts dans l’autre monde (les Irlandais, le reste de l’Europe), sans la neutralité bienveillante qu’on attend d’une relation qui doit être avant tout de long terme.
En regardant autour de soi quels coups jouent les puissants, et comment ils les ratent au détriment de la majorité silencieuse, on en vient à mieux cerner que les limites à chercher sont celles d’un contre-pouvoir démocratique, mais qui doit constamment puiser et renouveler sa légitimité par des pratiques à mille lieux du monde feutré des ministères. Tout cela existe, quelques vallées de stabilité qu’on aura stabilisée peuvent encore tenir et aider des millions de gens à passer les caps difficiles du « soliton » qui s’amplifie déjà (réfugiés, …) . Maitriser le « Fluctuat » sans qu’il diverge en sales coups sur les gens ordinaires, c’est surtout éviter que les détenteurs minoritaires du pouvoir fassent ce qu’ils connaissent le mieux : nous organiser tous contre tous, nous faire bouchers de nous-mêmes, tout ce qui fait que notre « mergitur » aura lieu, mais hélas pour eux sera aussi peu après le leur. Sauf à comprendre, comprendre pour échapper au tropisme du puissant risquant une part belle,— forcément et vénéneusement belle — de sa fortune : c’est le début du mauvais coup, de l’après-coup. Les corriger de leur pente vénielle du quotidien, est un combat d’arrière-garde, la correction à faire c’est l’inhibition des gros coups lors des fluctuations. On doit donc parler en quelque sorte d’une « taxe Tobin » mentale, pour former, reformer ce qui doit l’être, seule chance d’un « nec », plutôt qu’une avalanche de nouveaux coups avec des armes que nous ne connaissons pas bien.
@ Hervey Et nous, que venons-nous cultiver ici, à l’ombre de notre hôte qui entre dans le vieil âge ?