Une illustration de la formation des prix selon Paul Jorion : les taxis thaïlandais, par Philippe van Averbeke

Billet invité.

Cher Paul Jorion,

Je suis en ce moment en Thaïlande et voici quelques réflexions sur une situation particuliére que je constate ici.

En voyagant en Thaillande et en passant de la capitale à la presqu’île de Phuket, le voyageur sera probablement étonné de la différence de prix des taxis.

Alors qu’il n’aura payé que 5 ou 6 euros pour se rendre à l’aéroport de Bangkok, il déboursera plus de 20 à 30 euros pour un trajet équivalent pour se rendre à son lieu de villégiature depuis l’aéroport de Phuket.

Ces prix se confirment par la suite, en moyenne 3 à 10 fois plus chers que la capitale alors que le reste des prix sont relativement similaires (avec une composante saisonnière ).

Il semble que dans les deux cas l’offre soit supérieure à la demande.

A Bangkok on peut voir des milliers de taxi libres roulant à la recherche de clients (sauf lors des averses ou la clientèle afflue) alors qu’a Phucket on voit de nombreux chaufeurs installés confortablement aux stations de taxi, ils attendent que le client vienne à eux.

Comment expliquer cette différence ? Même pays, même réglementation, même prix des carburants, même situation d’offre et de demande…

La théorie de Paul Jorion des rapports de force entre acheteur et vendeur trouve ici une bonne illustration.

A Bangkok, les taximans ne sont pas organisés, il’s’agit souvent de chauffeurs venant d’autres villes ou villages qui louent leur véhicule à la journée, ils se font concurence les uns les autres gardant les prix parmi les plus bas du monde.

On a ici un cas de loi d’offre et de demande caractéristique avec de part et d’autre des individus dont la force d’action sur les prix est fonction de la situation. La nuit ou lors d’orages les taxis refusent d’utiliser le compteur et augmentent leur prix, cela peut se mesurer avec l’application Grab ou il sera impossible d’obtenir une voiture sans proposer un bon supplément ou avec Uber où des surcharges apparaissent régulièrement.

En temps normal le prix demandé permet à peine la survie de l’activité.

A Phucket, le service de taxi est plus un service aux touristes qu’a la poppulation. Les taxis sont le plus souvent organisés en coopérative, ils se réunissent pour fixer les prix et n’utilisent pas le taximetre.

Les prix élevés permettent aux coopérateurs un meilleur revenu avec un faible nombre de courses.

Les taximen ne cherchent pas le client, les règles leur imposent de revenir à leur station de base car il existe des accords entre coopératives pour ne pas prendre de client en charge sur les lieux d’activité d’autre coopératives, le taxi reprend donc sa place dans la file d’attente de sa station.

On constate clairement l’effet du syndicat des taxis, leur force est importante, le gouvernement local qui reçoit régulièrement des plaintes d’autres secteurs d’activité a déjà tenté d’imposer l’utilisation du taximètre pour casser ce qui est perçu par beaucoup comme une mafia, mais les grèves et blocage de routes ont fait avorter ces tentatives.

On m’a rapporté que le syndicat des taxis opère aussi des actions de lobbying généreux auprès des autorités.

Nous avons donc un rapport de force qui est en défaveur du client qui lui est seul face à une profession bien organisée.

Je n’ai pas pu connaître la clé de répartition des bénéfices de l’activité, il est probable qu’entre les propriétaires de véhicules, la générosité envers les autorités et autres frais, les chauffeurs ne soient pas les premiers bénéficiaires.

Le sentiment de l’utilisateur captif est souvent de se faire plumer par une mafia protégée par la corruption. Aucun systéme de bus ne s’est développé en dehors de navettes de pickup à banquetes reliant les différentes stations balnéaires à la ville principale uniquement en journée et surtout utilisée par les habitants.

Le prix élevé des taxis ne plait pas aux autres secteurs d’activité car les courses chères ont un impact négatif sur le chiffre d’affaires, les touristes se déplaçant moins volontiers.

Certains touristes contournent ce monopole en louant voiture ou scooter, mais l’état des routes, la pluie, la circulation parfois chaotique et le manque d’expérience des conducteurs augmentent grandement les risques d’accident.

Le nombre de tués et de blessés à Phucket est le plus haut de Thaïlande qui est elle-même le deuxième plus mauvais élève du pays en matiére de tués et blessés sur la route.

Si ceci démontre bien l’importance du rapport de force, ceci montre aussi comment un secteur organisé peut amener une situation de quasi monopole allant à l’encontre de l’intérêt général (tués, blessés, frein au développement, émissions CO2…)

Notons que Uber a commencé son activité à Phucket la saison derniére ce qui aura probablement bientôt  un impact sur la situation.

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