Nous ne reviendrons pas sur ce dont nous avons déjà beaucoup parlé, à savoir l’originalité de ce motif spécifique du tissu chinois et nous limiterons notre propos à un « motif dans le motif ». Celui de la liberté.
Le système dont nous venons de tracer les grandes lignes, celui du « ça marche » « marche » en effet tellement bien qu’il est strictement inusable (attention ! Tant qu’on ne le contrecarre pas au delà de l’acceptable, ce qui pourrait bien être le cas en ce moment !). Il n’y a aucune raison de le remettre en question, il est impensable d’en changer et, une fois qu’on s’est coulé à l’intérieur et qu’on en connaît le mode d’emploi, il peut même s’avérer confortable ! Nous avons mauvais esprit, donc tendance à y voir un hic : quid de la liberté ? Il est bien évident que l’idée même de liberté était dès le début empêchée d’advenir et totalement barrée. Nous renvoyons à Marcel Gauchet qui a abondamment et fort bien expliqué que c’est notre supputation d’un Dieu créateur et personnellement lié à chacune de ses créatures qui engendre le concept de libre arbitre pour s’élargir dans celui de liberté (on a même la liberté de le nier !). Un « ordre naturel » qui obéit à son propre rythme dans l’indifférence à ses créatures et donné d’emblée comme indépassable est infiniment plus contraignant. Ou reposant. C’est selon…
Existerait-il tout de même quelque chose qui pourrait ressembler à de la liberté en Chine ? Les chances d’existence de ce quelque chose étaient assez minces dans la Chine ancienne. Nous n’en voyons qu’un exemple et il est fortement paradoxal. C’est celui du taoïste parfaitement accompli qui se « nourrit de souffles » dans sa grotte-matrice : celui-là est parfaitement libre. Détaché de toute contingence, insoucieux des rites, il a accédé à la liberté en épousant de si près l’ordre naturel du monde qu’il en est devenu un élément qui ne se distingue plus de l’ensemble. On le rencontre dans cette anecdote rapportée par Lie Zi au Chap. IX du « Vrai classique du vide parfait » : Confucius distingue un homme au milieu d’effrayants tourbillons d’eau au pied d’une cascade vertigineuse. Il s’effraie, le croit en train de se noyer et s’apprête à appeler au secours quand le prétendu noyé sort de l’eau, tranquille, en chantonnant. A Confucius qui s’étonne, il répond : « Je m’offre au tourbillon qui m’aspire tout entier et je ressors du gouffre écumant. J’épouse le Tao de l’eau et je ne fais rien par moi-même. C’est pourquoi je puis ainsi évoluer dans les flots« . Sens de cette historiette ? Confucius, le compilateur des « Cinq Classiques », l’homme des rites, n’a pas reconnu la liberté, faute de pouvoir la concevoir !
Oups : lire « Thétis »