Contre-manif à République, par Pierre-Yves Dambrine

Billet invité.

Mercredi 18 mai des policiers affiliés au syndicat Alliance étaient place de la République pour dénoncer la « haine anti-flics », ce qui a donné lieu à une contre-manifestation. Il me semble indispensable de revenir sur cet événement, car certains éléments n’ont pas retenu l’attention qu’ils méritaient pour comprendre ce qui se jouait sur cette place, notamment sur la question essentielle de l’égalité.

Beaucoup de médias se sont empressés de se focaliser sur l’épisode de la voiture incendiée, pourtant, il est faux d’affirmer ou bien de suggérer que ce jour là c’est la haine anti-flics qui motivait la plupart des contre-manifestants.

De fait, la plupart des contre-manifestants ont manifesté en silence. J’ai ainsi reconnu la très pacifique et très dévouée cantinière de Nuit Debout. J’ai vu et photographié un homme avec une pancarte où l’on pouvait lire: « Nuit Debout â¤ la police, l’Etat policier, d’urgence, impérialiste, capitaliste, est le casseur ».

Les contre-manifestants, plus nombreux que les policiers qui manifestaient sur une place singulièrement vide, s’étaient regroupés à l’angle de la place, près du café Fluctuat Nec Mergitur, devant des cordons de policiers qui barraient un no man’s land.

Lorsque je l’ai aperçue dans une rue adjacente, Amal Bentounsi tenait dans ses mains l’arrêté préfectoral qu’on lui avait remis le jour même, in situ, lui enjoignant de ne pas faire acte de présence à République et alentours. Elle restera assignée dans un café pendant la manif et n’aura donc pas eu l’occasion de déployer ses banderoles

Amal Bentounsi est la fondatrice du collectif « Urgence, notre police assassine », elle est également l’initiatrice de la Marche de la dignité et contre le racisme. Elle milite depuis qu’elle a perdu son frère, Amine, le 21 avril 2012 à Noisy-le-Sec, tué d’une balle dans le dos tirée par un policier qui a déclaré se trouver alors en état de légitime défense, thèse retenue par la cour d’assises de Bobigny mais qui a été remise en cause par un autre policier, lequel lors du procès a infirmé son témoignage initial qui accréditait la thèse de la défense. Le policier a été acquitté le 15 janvier 2016. Le parquet général de Paris a fait appel du jugement.

Tout cela intervient dans un contexte sécuritaire où il est régulièrement question d’introduire dans la loi la notion de présomption de légitime défense, une revendication du syndicat Alliance, mais qui est interprétée par ses opposants comme un «permis de tuer» Toujours est-il que le 2 mars 2016, sur proposition du ministre de l’intérieur, l’Assemblée a voté l’assouplissement des conditions d’usage des armes à feu par les policiers, gendarmes, douaniers et militaires.

Comme l’intitulé de son collectif l’indique clairement, la militante Amal Bentounsi ne cherche pas à troubler l’ordre public, point d’insultes dans ses discours à l’encontre de la police, puisqu’il s’agit de » notre police », c’est à dire de notre police républicaine. On ne l’entendra pas crier : «tout le monde déteste la police». Il s’agissait simplement d’alerter et de sensibiliser, pour la justice, comme elle l’avait déjà fait lundi 16 mai, à Nuit Debout, sur la tribune dressée au pied de la statue, en compagnie des camarades du collectif « Stop, le contrôle au faciès » et où elle a alors lancé son appel à venir contre-manifester. Le concert de rap qui a suivi avait permis de rassembler ce lundi de Pentecôte dans l’après-midi et jusque tard dans la soirée beaucoup de jeunes issus des quartiers, mais pas que. Peut-être a-t-on alors assisté à une tentative prometteuse de jonction entre Nuit Debout et la banlieue, les quartiers populaires, sur le terrain commun de l’égalité dans la perspective d’une convergence des luttes. C’est même sans doute une première depuis des décennies au cœur de la capitale devant un public bigarré, en ce lieu éminemment symbolique, que ces quelques voix éloquentes et déterminées de la périphérie venues rappeler haut et fort que le principe d’égalité doit s’appliquer à tous.

Le soir, à l’AG de Nuit Debout, les avis étaient très partagés quant à la meilleure attitude à adopter face à la manifestation des policiers, les uns proposaient le repli tactique, tandis que d’autres appelaient à venir manifester silencieusement, un autre encore proposant même d’apporter des drapeaux blancs. Puis un orateur a rappelé à l’assemblée qu’il serait peut-être bon qu’on aille chercher de l’autre coté de la place, près de la statue, où le concert se faisait maintenant entendre, ceux des collectifs qui s’étaient exprimés à la tribune. Vers 22 heures, Amal Bentounsi est alors venue se présenter devant l’assemblée, et a réitéré son appel, qui fut très applaudi.

Une militante a donc été déclarée persona non grata sur la place. Par contre, tout le monde a su que Marion Maréchal Lepen avait fait le déplacement à République pour soutenir les policiers du très droitier syndicat Alliance. Les contre-manifestants ont été repoussés par la police avec force gaz lacrymogènes, une partie d’entre eux s’est alors détachée de la masse, et on a alors eu les images qu’on a eues, cette voiture brûlée le long du canal Saint Martin. J’y ai vu des photographes, des caméramans équipés de pied en cap, casqués et masqués, ce qui est devenue la routine depuis le mois de mars lors des nombreuses manifestations contre la loi sur le travail, comme si ces reporters étaient des correspondants de guerre, ou comme si nous étions en guerre civile.

Alors je pose la question, comment un gouvernement de « gauche » en arrive-t-il à devoir se confronter à une telle situation, donnant à l’extrême-droite une occasion de faire son petit tour de piste place de la République, si ce n’est qu’il ne peut plus, ne veut plus expliquer les choses, qu’il est prisonnier de la surenchère sécuritaire de la droite, qu’il est aux abonnés absents sur la question sociale et de l’égalité, notamment quand il s’agit de certaines catégories de population, préférant alors la fuite en avant en jouant la carte du pourrissement et de la criminalisation d’un mouvement social qui dure.

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http://www.urgence-notre-police-assassine.fr

http://stoplecontroleaufacies.fr/slcaf/

http://www.liberation.fr/france/2016/05/18/a-republique-manif-et-contre-manif-autour-de-la-police_1453457

http://www.bfmtv.com/mediaplayer/video/voiture-de-police-incendiee-a-paris-les-policiers-sont-ils-detestes-816324.html

http://www.leparisien.fr/noisy-le-sec-93130/noisy-le-sec-derangeantes-declarations-des-policiers-au-proces-de-la-mort-d-amine-bentounsi-12-01-2016-5444627.php

https://www.facebook.com/events/1588953868062726/

http://www.metronews.fr/info/usage-des-armes-assoupli-pour-les-policiers-quels-changements-pour-les-forces-de-l-ordre/mokl!08NwlCqmVDs/

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