Combat de coqs, par Michel Leis

Billet invité.

À gauche, dans le combat de coqs qui oppose les intellectuels pour imposer leur point de vue, les uns et les autres abusent des arguments d’autorité. Là où ils se considèrent comme des experts, il n’y a plus de discussion possible, il n’y a d’autres choix que d’être pour ou contre. Celui qui n’est pas un expert, qui n’a pas les références culturelles ou qui ne bénéficie pas d’une assise médiatique solide se sent illégitime ou finit par abandonner un débat où il ne peut faire entendre sa voix.

À mon sens, ce qui différencie notre époque de celles qui ont précédé, c’est l’effondrement de la norme sociale dominante, la croyance en un progrès possible, sinon dans l’immédiat, du moins dans le futur. La crise, les échecs et l’effondrement du bloc de l’Est ont laissé notre société sans croyance collective, laissant à nu les ego et les ambitions de chacun comme seul moteur social.

Ceux qui à gauche pensent que l’on peut vivre dans un monde sans hiérarchie se trompent lourdement. Ces combats de coqs permanents sont là pour le prouver, ils ne sont jamais aussi violents que quand les conditions sont difficiles. Il faut toujours un mâle dominant dans un groupe, une hiérarchie finit par se dégager dans une communauté d’individus. Même si la discussion donne parfois l’illusion du débat, la capacité à imposer son point de vue tient lieu de combat entre dominants.

À droite, les choses sont simples : la hiérarchie, le patrimoine et l’ordre constituent une trilogie de croyances ou chaque élément fonde les autres. Cette vision est indépendante des circonstances extérieures : le progrès n’est pas une vision collective, mais individuelle. L’effondrement de la norme sociale dominante ne change rien à l’affaire, sinon que la lutte est beaucoup plus dure. La seule discussion à droite porte sur les moyens, mais parce qu’il y a une croyance partagée, l’écart entre les moyens est somme toute relativement limité. Voilà qui laisse libre cours à l’étalage de testostérone dans les discours des prétendants à la fonction suprême.

À gauche, l’effondrement de la norme sociale dominante a d’autres conséquences. À l’époque où l’on croyait encore au progrès collectif, on pouvait s’entendre ponctuellement sur les moyens, sans pour autant être d’accord sur les finalités. Maintenant que l’on est sur un mode défensif ou de remise en cause plus radicale, les différents courants à gauche se focalisent sur les finalités. Celles-ci fédèrent par essence moins d’individus.

Si la gauche de la gauche était pragmatique, elle se contenterait d’une volonté de faire bouger les lignes. L’accès au pouvoir en est une condition indispensable, les finalités sur lesquelles il n’y a pas d’accord créent une dynamique des moyens toujours renouvelée, « l’important n’est pas le but, c’est le voyage ».

Dans l’espace politique, quand la finalité devient un dogme, quand elle conduit à être intransigeant sur les moyens, il n’y a plus d’accord possible, plus de compromis, plus de discussions, la question de l’accès au pouvoir passe au second plan. Nous, peuple de gauche, devons nous contenter d’assister impuissant à ce grand sabordage collectif.

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