Un Français énonce les fondements de la monnaie civilisée, par Pierre Sarton du Jonchay

Billet invité.

Dans son dernier ouvrage, La monnaie, entre dettes et souveraineté, Michel Aglietta examine toute la profondeur historique, anthropologique et politique du phénomène monétaire. Il démontre une nouvelle fois que le monétarisme libéral mondialisé est un non-système dont l’illusion s’est réellement effondrée avec la crise des subprimes. La monnaie émise par des banques indépendantes de la souveraineté politique et sans étalon international commun de mesure des dettes sous-jacentes à la liquidité conduit inéluctablement le monde au chaos et la civilisation à sa destruction.

En explorant la désagrégation en cours de l’organisation politique et monétaire du monde Aglietta actualise le paradigme keynésien de la monnaie. La liquidité monétaire économiquement efficiente ne peut pas être dissociée des États de droit ni d’une régulation politique du crédit et des banques. La valeur de la monnaie est déterminée par les sociétés, par le travail et le droit que la socialité produit, donc par les lois universelles du vivre ensemble. Les mécanismes déshumanisés et les procédures apolitiques détruisent la vraie monnaie. Il s’agit bien de définir la monnaie par la société réelle plutôt que par l’idéologie ou la rationalité libérale spéculative.

Les travaux de programmation d’une chambre de compensation universelle présentées sur le Blog de Paul Jorion cadrent parfaitement avec les propositions d’Aglietta. La substitution dans le processus d’émission des signes monétaires, d’un étalon de prix réel aux actuelles spéculations bancaires autoréférentielles implique la restauration explicite et universellement lisible de la fonction financière du pouvoir politique. L’algorithme de compensation monétaire inter-étatique et inter-bancaire consistera à empiler les primes d’option de crédit sur toutes les causes politiques nominales d’existence des biens et services livrables contre paiement.

Pour que les prix de tous les objets économiques soient lisibles et transformables en livraisons réelles de biens, quelle que soit la nationalité du producteur et du consommateur, il faut que la décomposition des prix en options soit continuement uniforme. L’option que les banquiers dénomment « dérivé de crédit » ou « produit dérivé » dans l’utilisation spéculative nihiliste qu’ils en font, est à l’origine un objet juridique de l’État de droit par quoi le prix nominal d’un actif financier quelconque est établi et réalisable entre quatre acteurs : l’acheteur et le vendeur de l’actif, l’intermédiaire financier de conciliation de l’offre à la demande, et l’État de droit garant de l’intégrité morale de toutes les parties à la négociation.

La fonction de la prime d’option est de mesurer et d’assurer le risque de non-existence et de non-réalisation du bien sous-jacent à l’actif nominal vendu par la société productrice à l’acheteur nominal. L’option est le modèle fondateur de la liquidité des prix dans un système de souveraineté des personnes physiques par les personnes morales. La finance libérale transforme l’option en arme de destruction massive de l’économie humaine simplement par exclusion de l’État de droit comme intermédiaire nécessaire de marché.

Pour rétablir l’économie de la justice dans le marché interbancaire du crédit, il faut et il suffit que la compensation monétaire des primes d’option couvre par un marché monétaire central tous les objets réels primaires jusqu’à la couche systémique supérieure des États et des gouvernements. Comme le montre le renflouement des banques après les subprimes, les personnes morales d’État sont les seuls garants universels possibles et efficients du crédit global des systèmes de compensation à travers la détention du capital des banques centrales. La fonction des États, véritables actionnaires des systèmes de paiement, est d’établir les bases économiques réelles du crédit par les systèmes de calcul et de recouvrement de la fiscalité sur le capital et la valeur ajoutée.

Comme le crédit des États repose sur la représentation de tous les citoyens dans la délibération et l’exécution de la volonté générale souveraine, le nominal ultime des chaines de décomposition des prix en options doit nécessairement être le nom des personnes morales et des personnes physiques qui assument la responsabilité du prix effectif des biens livrés à tout acheteur. L’ultime couche de compensation de la liquidité universelle des prix sera donc un dispositif d’élection en temps réel des présidents, directeurs généraux, administrateurs, députés, ministres et juges financiers représentants politiques des sociétés en acte.

Le rétablissement de la souveraineté des personnes, des sociétés, des peuples et des nations par les prix sur la monnaie, implique que tout pouvoir exécutif soit subordonné à l’existence d’une majorité relative d’électeurs à raison d’une voix par personne, attribuable et rétractable en permanence. La capacité à agir économiquement par un quelconque règlement monétaire ne doit pas être dissociable du crédit de l’acteur. Le pouvoir politique d’agir ne peut pas exister sans le soutien concret des personnes citoyennes prêtes à collaborer à la réalisation des objectifs affichés.

Un candidat à des mandats politiques doit être obligé de vendre ses objectifs à ses électeurs, lesquels ne peuvent les voir réalisés qu’en les achetant par leur propre crédit monétisé sur le marché. La source du crédit qui fait la liquidité du prix des promesses d’une quelconque personne physique représentant d’une personne morale est le travail de décision, de conception, de production et de service de toutes les personnes physiques solidaires par cette même personne morale.

Un système de compensation de la liquidité monétaire du crédit n’est pas économiquement réaliste s’il ne permet pas de vérifier la prime de crédit positive de la personne physique autorisée à engager à un certain prix nominal le travail de la société financièrement identifiée et circonscrite qui lui accorde un pouvoir. Les systèmes de monnaie purement informatique qui n’explicitent pas la contribution de tous les acteurs à la liquidité du prix sont an-économiques et apolitiques donc non fonctionnels et non humainement rationnels.

Aglietta explique parfaitement que le problème actuel de la monnaie est la proportionalisation de la masse de signes en circulation aux besoins objectifs de transaction dans des zones monétaires circonscrites et cohérentes à des sociétés politiques souveraines. Les actuels modèles bancaires informatiques de « pricing » et les « bitcoins » n’apportent aucune solution au problème de régulation de la liquidité par rapport à la masse des dépôts et des crédits dans chaque zone monétaire. Aucune solution non plus à la stabilisation économique du risque de change d’une zone monétaire à l’autre en fonction des balances de paiements courants.

Pour le moment les monnaies purement informatiques se présentent comme spéculation technologique dont la finalité est de pérenniser la déconnexion entre souveraineté et monnaies au profit des banques ou d’autres intérêts privés non-économiques et non-politiques. Au contraire, à partir du moment où les réseaux sociaux de communication numérique sont ordonnés à des sociétés réelles financièrement identifiables, la responsabilité individuelle des prix s’articule à la Loi et aux communs par la variabilité négociable et calculable des parités monétaires.

Chaque décision individuelle réglée en liquidité compensée par la monnaie d’une société gouvernée distinctement selon ses règles propres et spécifiques, détermine une variation de la parité de change nominale et de la prime de change. La parité nominale est de décision gouvernementale tandis que la prime de change agrège les décisions individuelles de vente ou d’achat réglée par l’étalon sociétal collectif de solidarité monétaire.

Si la compensation établit la cause de la valeur de chaque monnaie dans l’existence d’une société formée par l’adhésion libre à une même loi entre des personnes solidaires, alors la gratuité des biens devient la cause des prix. Non seulement l’existence physique et morale des personnes n’est plus un objet négociable par le marché, mais le règlement de certains prix essentiels à l’existence peut se faire au prix de 1 par unité de temps pour et par toute personne qui en rencontre une autre : la prime de réalité des biens nominalement gratuits est ainsi réglée par la société toute entière à raison d’une même quantité de justice pour toute personne individuelle.

L’inflation des dettes bancaires virtuelles a été le seul moyen de maintenir la liquidité économique réelle après la désintégration des banques dans les subprimes. L’échange économique n’est resté liquide que par emprunt sans contrepartie à la sphère sociale et politique de l’échange gratuit des droits personnels. L’interdiction de la fausse monnaie émise sur l’anéantissement des droits sociaux impliquera la démonétisation de tous les signes matérialisables hors de la responsabilité judiciaire étatique. L’assurance sociale des droits personnels de tous les citoyens ne sera effectivement garantie que par le paiement numérique matérialisé dans l’utilisation des interfaces d’accès aux réseaux sociaux.

La complexité est l’expression de l’humain quand l’instabilité libérale des prix et de la monnaie en est la négation. Nos superstitions matérialo-scientistes modernes nous interdisent de considérer l’antagonie réelle entre le « non-simple » et le « non-état ». Pour alléger notre effort d’intellection de la réalité humaine plurielle, nous réduisons nos perceptions à la logique abstraite en imaginant une subjectivité humaine uniciste moniste : c’est l’hypothèse commode de l’individualisme méthodologique. Le résultat de l’intellectualisme objectiviste spéculatif est l’abolition de la société et de la diversité des états qu’elle produit.

Les libéraux en déduisent l’inutilité voire la dangerosité de l’État. L’unicité monétaire du dollar et de l’euro se substitue alors à l’universalisation par les États de la pluralité des lois applicables. La pluralité monétaire indexée sur la diversité sociale identifiable et incarnée par le corps physique des citoyens et le corps moral des peuples est le principe de la compensation keynésienne numérique. La compensation keynésienne numérisée n’est pas à proprement parler un système mais la condition de possibilité d’une pluralité systémique.

Le marché des changes keynésien rationalise la variabilité des parités monétaires par un étalon de prix universel qui ne soit la propriété d’aucun État ni d’aucune nationalité particulière, ni d’aucun intérêt privé, mais qui représente la société humaine universelle. La chambre de compensation keynésienne matérialise chaque état de société par une unité de monnaie propre afin que les systèmes demeurent multiples et convertibles quelles que soient les expressions socialisées de la liberté humaine

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