Cher Thomas Piketty, soyons des Européens démocrates ambitieux et réalistes, par Pierre Sarton du Jonchay

Billet invité.

Merci de remettre la construction européenne au centre de notre délibération politique. Les citoyens de toute l’Europe ont bien vu le vide politique dans lequel se débat notre communauté de vie européenne face à l’afflux des réfugiés de guerre, au chômage massif et au chaos bancaire et financier. Vous soulignez à juste titre que la technocratie européenne ne gouverne rien et que les gouvernements nationaux n’ont actuellement plus les moyens de reprendre la main sur des questions continentales voire mondiales.

Vous nous rappelez que nous les citoyens français intégrés dans un ensemble européen par l’euro et par les institutions communes de l’Union, sommes maitres de la règle du jeu, contre les allégations de la technocratie qui nous représente si mal. Vous constatez que l’évidente divergence des intérêts nationaux entre les Européens de l’est et de l’ouest, du nord et du sud, n’est nullement une justification recevable à l’inaction et à l’irresponsabilité. « Il est tout à fait possible de conclure, parallèlement aux traités existants, un nouveau traité intergouvernemental entre les pays de la zone euro qui le souhaitent ». Excellent !

Donc il faut renégocier le Mécanisme Européen de Solidarité et le Traité sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance. Vous proposez que la renégociation ne soit pas menée entre les Etats-nations actuellement en défaut mais dans le cadre d’un noyau politique renouvelé de l’Union. La politique de stabilité budgétaire et financière de la zone euro doit être discutée par un parlement spécifique à l’euro représentant les peuples décidés à forger une union politique renforcée. Par exemple l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et la France avec tout ou partie des autres fondateurs de l’Europe des six.

Vous annoncez clairement que l’objectif d’une refondation politique de l’euro est d’échanger un abandon partiel de dettes publiques contre l’instauration d’un pouvoir politique central unifié. On devine qu’il s’agit d’échanger avec l’Allemagne un contrôle politique de la zone euro contre l’abandon d’une partie des créances allemandes sur ses partenaires surendettés. A ce stade, les questions fusent : est-il vraiment sain pour le vivre ensemble européen d’accroitre davantage le contrôle de l’Allemagne sur la politique de l’euro ? N’est-ce pas justement la conception allemande de la monnaie et du crédit international et inter-étatique qui est le point de blocage politique et économique de l’union européenne ?

Une majorité relative de députés allemands dans un parlement de l’euro est-elle de nature à restaurer la primauté de l’intérêt général européen sur les intérêts nationaux ? Qu’est-ce que des délégations de parlementaires nationaux vont changer à l’exclusion des peuples et des citoyens de la politique européenne ? Comment la toute puissance des élites industrielles, financières et politiques sur le vivre ensemble des citoyens salariés et créanciers de droits sociaux sera-t-elle rééquilibrée ? Comment la demande collective de consommation de biens et services réels sera-t-elle revalorisée sur une offre structurée par la rentabilité financière maximale du capital ?

Comment l’auteur du Capital au XXIème siècle croit-il pouvoir instaurer une fiscalité du capital pour réduire les inégalités qui écrasent la demande face à l’offre ? Remettre l’économie européenne sous le contrôle d’un pouvoir politique européen est radicalement nécessaire. Mais il faut aussi que ce nouveau pouvoir politique soit démocratique ; qu’il instaure une égalité réelle des droits entre les producteurs et les consommateurs, entre les capitalistes et les salariés, entre les emprunteurs et les épargnants, entre les résidents et les non-résidents, entre les contribuables et les assurés sociaux.

En fait, les gens d’en bas ont bien compris qu’une européisation de la politique est inutile s’il elle ne rétablit pas une responsabilité du personnel politique et des élites dirigeantes. Nous ne voulons plus de belles promesses mais que les promesses non tenues soient immédiatement sanctionnées par la perte du pouvoir d’économie politique. Pourquoi les dettes en euro ne sont plus totalement remboursables ? Parce que les dirigeants politiques et économiques promettent ce qu’ils ne produisent pas ; parce que leurs pertes de crédit personnel ne sont pas imputables sur leur capital personnel ; parce que le prix de la parole publique n’est pas calculable dans l’opacité du paradis fiscal de l’euro.

Les conséquences du régime bi-séculaire de la circulation libre du capital sont parfaitement décrites dans Le capital au XXIème siècle ! Ne faut-il pas justement profiter de l’existence dans l’euro de la première monnaie multinationale intergouvernementale pour rétablir le lien entre le capitalisme financier et l’économie réelle des droits du citoyen ? Dans ce cas la renégociation des traités de l’euro aura pour but de définir la monnaie des Européens comme prix de la dette sociale européenne à l’égard de tous les citoyens résidents à l’intérieur des frontières de la souveraineté en euro.

En pratique, il suffit de rendre l’euro inconvertible en droits réels sur quoi ce soit en dehors du système européen interbancaire de compensation dont la BCE assure actuellement la liquidité. Cela signifie : que tout paiement en euro soit adossé à la déclaration publique du capital effectivement livré contre règlement liquide ; que la conformité au droit commun européen de tout capital déposé dans une banque soit vérifiable ; que la fonction du gouvernement de la zone euro soit d’assurer l’exécution effective des droits personnels des citoyens européens ; que les charges du bien commun en euro soient financées par une TVA financière prélevée directement sur les flux interbancaires ; que la fonction du Parlement de l’Euro soit de voter les taux de taxation financière en fonction de la nature du capital déposé dans les banques en euro.

Pour qu’une taxation financière du capital et des revenus du capital soit effectivement allouée au financement des dépenses publiques d’assurance des droits des citoyens de l’euro, on peut imaginer que les candidats à la députation européenne ne soient éligibles que par l’inscription dans des partis politiques européens multinationaux. On peut imaginer que la fonction d’un député européen ne soit pas de représenter son pays d’origine mais de défendre une conception partisane de ce que doit être une politique européenne de garantie des droits démocratiques fondamentaux par la régulation de l’économie de marché.

Si l’on défend le principe d’un adossement de l’économie à la démocratie par une vraie politique d’un gouvernement confédéral de l’euro, alors il n’est plus nécessaire de demander aux Allemands le moindre abandon de créance et aux Grecs le moindre abandon de droits. Le budget confédéral de l’euro devient le capital public européen inter-étatique de garantie de toutes les dettes publiques quel qu’en soit le montant. Il suffit que soient imputés sur le budget européen les transferts sociaux non financés par les budgets nationaux qui résultent de la garantie européenne des droits votée par le Parlement de l’euro.

Il faut que la gauche française non libérale renoue avec la conception de la nation, de l’État et de la fédération forgée par la Révolution Française. La nation est pour les Français universelle. Elle reconnaît les mêmes droits aux Français et aux étrangers. La nation est un accord sur l’allocation du capital qui finance équitablement les droits de tous les citoyens par la propriété publique et privée. Le rôle de l’État est général. Il fédère la politique des « États Généraux » pour que tous les citoyens soient assurés par un gouvernement commun de la réalisation de leurs droits personnels d’existence libre.

Si l’euro peut être réinvesti dans une nation européenne multinationale souveraine, alors le capital commun des Européens devient plus que suffisant pour financer l’accueil des réfugiés de guerre, le plein emploi de l’offre européenne de travail, la satisfaction des droits fondamentaux des citoyens de toute condition, le remboursement intégral de toutes les dettes publiques et privées, les milliards d’investissement dans les énergies renouvelables et une politique étrangère de défense de la démocratie.

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