Nuit debout et votre rôle à vous, Paul Jorion, dans la convergence des luttes, par Isabelle Joly

Billet invité.

Une des forces du mouvement Nuit debout, c’est le sourire avec lequel il lutte.

Partout les gens sourient de se bouger enfin le c.., d’aller l’asseoir sur des places, d’y faire un dessin, et cela seul provoque un soupçon d’espoir.

Si le monde doit sauter, que ce soit dans un éclat de rire, autant que d’obus.

Il me semble, Paul Jorion, qu’une première phase de convergences des luttes est faite en ce qui vous concerne :

– Vous vous êtes intéressé au mouvement « Nuit debout », de la « bonne façon » je dirais.

Si Alain Finkielkraut fut persona non grata à Nuit debout, vous y avez fait un tabac. Y’a pas photo ! Ou plutôt si, celle de vous au milieu de l’assemblée est magnifique. Vous n’êtes pas venu avec votre savoir à asséner, mais pour les soutenir, et souligner combien leur démarche est juste.

Je pense que les gens veulent expérimenter quelque chose dans leur corps et leur esprit, se réapproprier la réflexion, proposer des choses, les essayer, se tromper, recommencer. Est-ce une perte de temps, eu égard au temps que vous faites gagner par votre réflexion et les conclusions auxquelles vous aboutissez ? Je ne sais pas.

– Je me suis demandée à un moment où était votre place dans cette convergence ?

Etant donné le peu de temps qu’il reste à l’humanité pour réagir, les différents fronts sont à mener de concert, chacun à son niveau, à la place où il est, avec les outils que la nature et les circonstances de la vie l’ont amené à développer.

Il me semble par contre que les conclusions auxquelles aboutissent ceux qui sont à une extrémité de la chaîne ne seront pas forcément prises en compte, acceptées, mises en œuvre par les autres maillons s’ils ne veulent pas se les approprier.

Il me semble que le constat de ce qui ne va pas est fait depuis longtemps, que le système avale et digère les critiques. Quand vous dites, ce ne sont pas les initiatives individuelles qui vont changer les choses, il me semble que si, d’une certaine façon. Les gens se sont réapproprié l’action à leur niveau, et leur monde intérieur a changé, leur sentiment d’impuissance a reculé.

Un des mécanismes sur lequel s’appuie le système, c’est ce sentiment d’impuissance qui mine les gens. Alors que par rapport à certains, nous avons tout pour changer, y compris la liberté. Et nous n’y arrivons pas.

Ce qui fait la force de Nuit debout, c’est que les humains se côtoient physiquement, se rencontrent. Ils font des actions transversales. Le site « Convergence des luttes » liste comment ont agi les uns et les autres, au commissariat pour soutenir des gens arrêtés, dans un endroit qu’on évacue de ses migrants, devant un ministère pour que François Ruffin obtienne son rendez-vous avec un chargé de communication, lui qui arrive avec une députée, Isabelle Attard, et un membre éminent du parti socialiste (merci de garder les minuscules), Gérard Filoche.

C’est l’action qui parachève la réflexion. C’est la « force qui nous manque », dit Eva Joly, pour passer du constat à l’action.

– Le maillon Nuit debout fait sa part, Paul Jorion et ses amis font leur part, les Syndicats font leur part, Frédéric Lordon fait sa part, le Bondy blog café fait sa part, les associations font leur part, les chanteurs de rap font leur part, tout enfant qui n’abandonne pas fait sa part, toute personne qui lutte individuellement fait sa part. Comment réunir toutes ces parts du gâteau pour y poser la cerise : un monde qui continue, préservé ? Ce serait présomptueux de ma (sic) part, de croire que je le sais.

Il me semble que vous pourriez (mais c’est peut-être déjà fait) essayer de rencontrer M. Ruffin. Il se pose cette question « Comment relier tous les maillons ? », depuis un moment.

C’est ce qu’il a fait avec Frédéric Lordon, il l’a entraîné à Amiens, pour un « réveil des betteraves », et M. Lordon était perplexe quant à ce qu’il pouvait apporter à ces 133 ouvriers de l’usine Sapag à Ham en Picardie, qui luttent pour qu’on ne ferme pas leur usine. Usine dont le taux de productivité est de 22 %, ce qui est un summum de ces absurdités capitalistiques.

Si M. Lordon doutait, M. Ruffin ne doutait pas, lui, de l’utilité de ce qu’il était en train de faire.

– M. Lordon refuse d’aller parler dans les media, je me demande s’il a raison, même si je comprends toutes les raisons pour lesquelles il refuse d’y aller.

Avec son humour ravageur, il pourrait trouver les mots pour les ridiculiser tous ces gens qui n’arrivent pas à se remettre en cause. Il a écrit une pièce, « D’un retournement l’autre ». J’en parlais à un ami en lui disant que la pièce était écrite en alexandrins, et lui ne voyait pas quelle langue c’était, l’alexandrin, lui qui se prenait des baffes par son père car il n’arrivait pas à apprendre ses leçons, qui est devenu apprenti à 14 ans, qui se tordait de douleur parce qu’il portait des sacs de ciment trop lourds pour lui, et qui n’a pas grandi physiquement à cause de ça, il pense.

Les mots savants ne font pas bouger les gens qui ne les connaissent pas. C’est ce qu’il y a dans votre cœur qui les fait bouger. Je dirais, c’est le sourire qu’il y a dans votre cœur qui fait sourire le cœur de l’autre.

Et c’est la force du capitalisme, d’effacer ce sourire.

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  1. Mes yeux étaient las, bien plus que là, juste après l’apostrophe : la catastrophe.

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