COMMENT SOLIDIFIER L’ÉDIFICE FINANCIER ? par François Leclerc

Billet invité.

On ne parle même plus de crise, tant elle est banalisée ! Chaque jour, les plus infimes variations des mêmes indices – la croissance, le chômage, l’inflation – donnent lieu à des commentaires donnant l’illusion de pouvoir y échapper, mais dont le destin est d’être vite oubliés. The Economist, gardien du libéralisme avancé, en vient à son tour à mettre en cause l’indice de référence suprême, la mesure de la richesse par le produit intérieur brut (PIB). La vérité est toute nue : nous ne disposons pas des instruments de mesure adéquats pour apprécier ce qu’est devenu notre monde. Comprendre le substrat de cette crise est par conséquent hors de portée. Installée, elle reste indéchiffrable…

La raison en est qu’elle vient des profondeurs insondables d’un système financier devenu trop complexe, et dont la maitrise semble avoir totalement échappé à tous. Ainsi que d’une science économique, qui a abdiqué. La comparaison avec un édifice branlant s’impose, rappelant la vieille histoire soviétique de l’immeuble qui s’écroule tout juste construit parce que l’échafaudage a été démonté avant que le papier peint ne soit posé ! Un diagnostic a bien été posé – la crise serait à la fois de liquidité et de volatilité – mais il s’en tient aux symptômes.

Ricardo Caballero du MIT et Emmanuel Farhi de Harvard ont trouvé il y a deux ans une explication qui reste toujours valable. Nous serions confrontés à la menace d’un piège non pas à liquidités, mais d’insécurité (les deux n’étant pas incompatibles). Les points d’appui du système financier viendraient à manquer, la demande d’actifs sûrs étant supérieure à l’offre. La constatation à la base de leur réflexion est toute simple : les obligations souveraines ne sont plus sans risque, celles des grandes entreprises qui bénéficient de la meilleure notation (AAA) sont en nombre de plus en plus restreint, et les investisseurs raisonnables ne s’aventurent plus dans le secteur des actifs titrisés, la tentative de les réhabiliter ne convainquant pas.

Déjà constaté, le collatéral de qualité est une denrée précieuse en raison de sa rareté qui s’instaure, et les montages financiers y remédiant sont audacieux et dangereux. Les origines de ce phénomène ne sont pas mystérieuses : les banques centrales contribuent à assécher leur marché avec leurs achats, les régulateurs imposent d’y avoir d’avantage recours, et les émissions des États sont sous pression, plus particulièrement en Europe.

Il n’y a pas trente-six solutions pour remédier à cette pénurie relative qui va en s’aggravant : soit les banques centrales stoppent leurs achats de titres souverains, soit les États accroissent leurs émissions de dette (ou bien une combinaison des deux). Mais ni l’une ni l’autre de ces hypothèses ne sont dans l’air du temps…

Comment expliquer, dans ces conditions, le très bas niveau des taux sur la dette souveraine ainsi que leur taux négatif qui s’étend ? Les mesures non conventionnelles des banques centrales jouent un rôle prépondérant, ainsi que la forte demande d’actifs sûrs. Pour revenir à la normalité, il faudrait pouvoir revenir sur les mesures monétaires et réglementaires. Faute de le pouvoir, comment accroître le volume des actifs sûrs, c’est à dire susceptibles de résister à un important choc économique ?

Les tentatives européennes de relancer une titrisation de qualité ne sont pas probantes, et l’émission de dette publique, profitant des très bas taux, se heurte à des contraintes politiques ainsi qu’à la crainte de leur hausse ultérieure. L’adoption par les banques centrales de mesures type « Helicopter Money » serait à tout prendre une solution plus à portée, la relance dont elles pourraient être à l’origine augmentant les capacités de remboursement, et donc d’émission de dette publique sûre.

Il y aurait bien une alternative plus radicale, mais elle est de toute dernière instance. Pour s’y résoudre, plus rien d’autre ne devrait être possible. Et pour que la dette souveraine redevienne sans risque, il suffirait faire la part du feu en réduisant la masse de la dette publique, tout en prenant les dispositions adéquates pour qu’elle ne recommence pas à croître. Cela impliquerait non seulement une réduction du volume des actifs financiers, mais leur réallocation, autant dire une véritable révolution ! Le seul risque étant que, faute d’être organisée à temps, elle se fasse dans le chaos. Les conditions n’en sont pas aujourd’hui réunies… le seront-elles même un jour ?

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  1. Mes yeux étaient las, bien plus que là, juste après l’apostrophe : la catastrophe.

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