POURQUOI INTERROMPRE LA FUITE EN AVANT TANT QU’IL Y A DU MOU ? par François Leclerc

Billet invité.

Implacablement, le garrot continue d’être serré autour du cou de la Grèce, sans se soucier de la vraisemblance et des conséquences de la politique qui y est imposée. La fuite en avant généralisée qui prévaut trouve une nouvelle illustration, qui fait fi du rôle auquel le pays s’est trouvé contraint dans la crise des réfugiés.

Les créanciers ayant trouvé un compromis entre eux, les faibles marges de manœuvre du gouvernement grec se sont aussitôt évanouies. Il lui est enjoint de sacrifier à la fiction du remboursement de sa dette dans son intégralité sans en avoir obtenu la contrepartie qu’il espérait, le FMI acceptant finalement que le reprofilage de la dette grecque, devenu simple hypothèse de travail, ne soit même pas acté dans son principe.

Les créanciers exigent dès maintenant qu’un train de mesures supplémentaires et détaillées d’austérité soit adopté, afin d’être appliqué si l’objectif d’excédent budgétaire de 2018 n’est pas atteint. Comme s’il était déjà acquis que ces mesures ne sont pas optionnelles mais simplement différées.

D’autres examens de passage se présentent en Espagne et au Portugal. La Commission va devoir en mai prochain définir une attitude par rapport à ces deux pays qui divergent des objectifs imposés. Un ballon d’essai a été lancé, selon lequel il serait pour la première fois appliqué des amendes, mais seulement pour le principe, leur montant réduit à zéro ! Une année supplémentaire serait par ailleurs accordée à tous deux pour les atteindre. Le trou serait toutefois plus important qu’initialement décelé en Espagne, pays qui pourrait retourner aux urnes le 26 juin prochain. Dans le contexte d’un rebondissement de la compétition électorale, on voit mal comment des engagements pour le combler pourraient être pris. Dans celui de l’aboutissement des propositions novatrices d’un parti de la coalition de gauche de la région de Valence pas davantage. Mais les apparences seront sauvées dans l’immédiat grâce à ce report !

Sans attendre cette échéance, un autre scénario très proche émerge à propos du Portugal. Le pays bénéficie des achats de titres souverains de la BCE, qui maintiennent à un bas niveau leur taux, les titres à dix ans étant en dessous de 3%. Mais la banque centrale devrait les stopper si l’agence canadienne de notation, la DBRS, rétrogradait à la fin de cette semaine la dette souveraine du pays. Elle est en effet la seule agence qui accorde encore la notation permettant à la BCE de les acheter sur le second marché en application de ses propres règles. Une fois de plus, celle-ci va avoir le doigt sur la détente, va-t-elle l’actionner si la DBRS rétrograde le Portugal ?

Comme leurs consœurs des autres pays européens – les banques italiennes tout particulièrement – les bilans des établissements portugais regorgent de titres de la dette du pays. Une brutale augmentation de leur taux aurait comme conséquence une baisse correspondante de leur valeur, et déstabiliserait un système bancaire déjà en piteux état.

Devant ces menaces concrètes de relance de la crise de l’euro, une discussion sur le sexe des anges a été lancée. Elle porte sur la « simplification » du Pacte de stabilité, et plus particulièrement sur le mode de calcul du déficit structurel, considéré par ses critiques comme effectué au doigt mouillé, car il y fait entrer une estimation de la croissance potentielle. Ces derniers cherchent à le modifier afin d’obtenir une marge de manœuvre. Tous les gouvernements pourraient plus ou moins en profiter, mais c’est Rome qui est le pilote, fidèle à sa stratégie consistant à gagner petit à petit du terrain. Tout cela ne mène pas très loin…

La machine est irrémédiablement grippée et le pacte de stabilité est destructeur, conduisant la BCE à sauver les meubles faute de mieux. Son rôle et ses missions ne cessent de s’accroître, créant une situation inédite et un autre grand déficit… démocratique (encore qu’il soit déjà consommé). Mais les dernières anticipations d’inflation qui lui sont si chères, pour s’y référer, continuent de baisser et de s’éloigner de son objectif initial. À tel point que l’on voit surgir des commentaires préconisant de changer celui-ci et de s’en accommoder, car il ne figure pas dans le traité ! Assurément, cela réglerait le problème et permettrait peut-être même de revenir sur les mesures les plus controversées de la BCE, afin que tout aille (presque) mieux dans le meilleur des mondes. Tout cela ne pourra pas bien se terminer !

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