Billet invité. Une réponse aux opinions émises par Sanou Mbaye dans son Les avatars du franc CFA.
Étrange point de vue que celui exprimé par Sanou Mbaye ou plutôt étrange « rhétorique ». Il ne se trouvera sans doute pas grand monde pour nier qu’il faille redéfinir les liens entre euro et franc CFA. Liens qui autorisent Kako Nubukpo, économiste togolais, à parler de « servitude volontaire » de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) envers les instances internationales. Que cette relation entre France et Afrique soit aussi asymétrique que celle qui règne entre Chine et Afrique, entre Etats-Unis et Afrique, entre Inde et Afrique relève d’une interrogation autre que celle que soulève le billet de Sanou Mbaye.
Ce qui intrigue dans ce billet c’est de voir exprimer cette position si commune d’un continent sous développé, en retard, à la traine et encore donc en position d’infériorité. S’il est nécessaire de s’émanciper de la tutelle monétaire c’est pour mieux rejoindre le grand concert des nations qui, apprend-on en passant, se cherchent de nouveau pays émergents pour prendre le relais et devenir « les nouveaux ateliers du monde ».
Etrange conception de la liberté que de souhaiter être le porteur d’une chaise dans laquelle se reposerait l’Occident fatigué.
De quoi est donc censé « émerger » le Sénégal ? Quels présupposés structurent cette notion d’émergence ? Cette catégorie, comme celle d’ailleurs de « développement » n’est-elle pas une histoire essentiellement occidentale ?
N’y a-t-il pas d’autres voies pour nous que « les soviets et l’électricité » ? D’autant plus qu’en route nous sommes certains d’oublier les soviets. Quel est cet évangile et ses images pieuses : les grands fleuves impétueux du Congo éclairant demain à bon compte l’humanité nécessiteuse ? N’est-ce pas celui de la religion féroce ici souvent dénoncée ? Religion dont les dogmes, comme Sanou Mbaye le rappelle pour en vanter la réussite, se sont traduits en politiques d’ajustement structurel, mises en œuvre hier dans beaucoup de pays africains avant que d’être imposées aujourd’hui aux peuples européens ?
Religion dont la liturgie est énoncée à longs traits par Sanou Mbaye : « avantages comparatifs, productivité, compétitivité, croissance économique, produit intérieur brut, taux de croissance moyens, taux de rentabilité sur investissement… »
Une fois déroulée cette liturgie, que sait-on de la vie des gens ? La croissance est-elle garante de la diminution des inégalités ? Comment améliore-t-elle la vie de l’ensemble d’une population ? Comment répond-elle à l’ensemble des exigences de ce qui fait une bonne vie ? La productivité croissante est-elle une garantie que ta santé va s’améliorer ? La compétitivité accrue est-elle garante de la cordialité de tes relations avec tes voisins ? Le taux de rentabilité sur investissement t’autorise-t-il à vivre durablement dans un environnement sain ?
Sanou Mbaye tient un discours imprégné de téléologie qui voudrait que toutes les économies suivent des voies identiques dans un ordre établi. Il n’y a qu’à se soumettre à Clio et à ses intentions : chapeau bas devant le cours majestueux de l’Histoire ! *
Voir l’Afrique, ses ressources (incommensurables bien entendu) : ses forêts, ses mines, ses fleuves, son soleil, sa jeunesse, ses terres arables, comme le nouvel Eldorado du capitalisme, la « nouvelle frontière » plus accessible que la Lune ou Mars, la nouvelle Promesse faite par le Capital à ses enfants, n’est-ce pas encore prolonger le mythe de la croissance infinie dans un monde clos ?
La proposition de Sanou Mbaye est celle qui a été mise en œuvre en 1962 pour l’agriculture bretonne qui est devenue en 10 ans « l’immense atelier de production de lait et de viande de l’Europe ». Jamais depuis nous ne sommes sortis des impasses mille fois identifiées : exode rural, chômage, endettement, pollution, dépenses publiques monstrueuses, malnutrition, prolétarisation, malheur des femmes et des hommes …
À tout le moins il doit nous expliquer alors par quel « miracle » il va résoudre demain ces problèmes sur un continent dont les ruraux représentent au bas mot 50 à 60 % de la population. Les canons d’une économie moderne, compétitive, productive, sont que ce chiffre soit inférieur à 5%. Personne en Occident ne se risque à se pencher sur la faisabilité de cette transition et des errements qu’elle sous entend. Espérons que Sanou Mbaye lui, et ses confrères, en détiennent la solution.
Il existe une autre façon de concevoir l’inclusion de l’Afrique dans la nécessaire rénovation des échanges économiques mondiaux. Un autre paradigme que de jeunes Africains expriment dans des termes plus proches des interrogations de ce blog sur l’effondrement envisageable de ces échanges.
Lisez ce qu’en dit, et c’est un exemple parmi d’autres, Felwine Sarr : si comme j’ai la faiblesse de le croire et comme le souligne Felwine Sarr « penser l’Afrique c’est penser le monde » alors conforter comme Sanou Mbaye le mode de production industrialiste, extractiviste, « rationaliste et mécaniciste » c’est m’enfermer moi, nous enfermer tous, dans un monde sans joie.
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* Tout pagayeur sait pourtant que pour garder la direction de son embarcation il n’a que deux choix : aller plus vite que le courant ou en sortir. Sinon tu vas là où il te mène.
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