La Cinquième République et les élections présidentielles, par Michel Leis

Billet invité

La pression de la rue ne dure qu’un temps, elle a pu faire reculer à un moment donné les gouvernements sur des réformes successives. En tant qu’espace de discussion, elle est un moyen de se réapproprier le débat démocratique. En tant qu’outil de prise du pouvoir, c’est très aléatoire : la dernière révolution victorieuse en Europe, c’est celle de 1917, et on sait ce qu’il en est advenu…

Faire bouger les lignes durablement est un chantier d’une autre nature : il s’agit de conquérir et d’exercer le pouvoir dans la durée, malgré le cadre institutionnel existant et ses limites, en dépit des rapports de force et de la solidarité de caste de ceux qui bénéficient de la religion féroce.

On a souvent critiqué la Cinquième République pour le rôle prééminent que joue le Président de la République dans les institutions et la personnalisation excessive du pouvoir : il préside le Conseil des Ministres où se définit au fil du temps la ligne politique, il désigne le Premier Ministre et le Gouvernement, il lui est possible de dissoudre à sa convenance l’Assemblée nationale. Incontestablement, la Cinquième est un régime présidentiel.

La nomination d’un Valls ou d’un Macron qui représentent l’aile libérale du PS est à ce titre tout à fait significative : François Hollande ne se sent pas tenu par les discours qu’il a prononcés avant les élections. Pendant la durée de son mandat, le Président reste le seul maître de la ligne politique. Si le Premier Ministre ne lui convint plus, il en change. La rue est souvent le seul moyen d’expression offert aux citoyens pour tenter d’infléchir l’action d’un gouvernement qui suit une politique différente de celle pour laquelle ils ont voté.

Dans le même temps, cette personnalisation de la fonction présidentielle est une opportunité. La capacité d’un candidat à convaincre et à fédérer autour d’une ligne politique déborde le cercle des électeurs acquis à sa cause, le score des candidats dépasse celui des partis auxquels ils se rattachent. Des retournements et des surprises ont déjà eu lieu lors des élections passées, ainsi que des changements rapides de l’opinion. Aux législatives de 1986, la droite totalisait 44,8% des suffrages, l’extrême droite 9,9%, deux ans plus tard, Mitterrand était réélu avec un peu plus de 54% des voix… En 1994, les sondages donnaient Édouard Balladur gagnant au second tour de 95, ce fut Jacques Chirac… Que dire enfin du coup de tonnerre de 2002 et de la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour ?

Cette présidentialisation du pouvoir propre à quelques pays (La France, mais aussi les États-Unis) permet donc de troubler le jeu politique. Faut-il rappeler qu’en 2008, Clinton était archi-favorite avant qu’Obama ne rafle la mise ? Même si les chances d’un Bernie Sanders sont aujourd’hui très minces, il a failli bousculer le jeu politique avec un programme très marqué à gauche. Tout est encore possible à condition de se focaliser sur cet objectif.

La droite (y compris l’aile libérale du PS) a un avantage dans l’exercice présidentiel, elle partage une vision commune : enrichissez-vous en proportion de vos efforts ! Que le « vous » ne concerne que moins de 1% de la population reflète une autre croyance propre à la religion féroce, celle du Darwinisme social : seuls les plus forts peuvent tirer leur épingle du jeu, fi des solidarités. Cette convergence des croyances à droite change la nature du jeu politique : seuls la conquête ou le maintien au pouvoir comptent. La politique en tant que telle n’est plus que tactique en fonction des circonstances, l’essentiel, c’est-à-dire l’enrichissement de quelques-uns, sera préservé.

À gauche, la situation est plus complexe. Les objectifs sont multiples : la répartition des richesses, le vivre ensemble, le bien commun, la préservation des ressources… Il y a une grande effervescence citoyenne aujourd’hui, chacun y va de sa vision sur la meilleure manière d’atteindre ces objectifs. Tant mieux : il y a débat démocratique, les nuits debout sont l’un des lieux où ce débat prend forme : plus les citoyens sont impliqués, mieux c’est.

Là où le bât blesse, c’est que d’aucuns entendent faire entendre leur position à tout prix, les candidatures à la présidentielle se multiplient, tuant toute chance d’arriver à ce coup d’État institutionnel dont la possibilité est pourtant offerte par la Cinquième. Comment dépasser cette malédiction ?  La première condition serait la convergence des mouvements citoyens vers un objectif commun : remporter les présidentielles de 2017 et changer de politique. La seconde condition est moins enthousiasmante, il faut faire des compromis en tenant compte des réalités : si les lignes bougent en profondeur à l’issue d’un mandat présidentiel, c’est pourtant l’essentiel peut-être aura-t-on progressé dans la reconstruction du monde…  

Évidemment, il faut une candidature en qui on puisse avoir confiance pour ne pas dévier de ligne politique initiale, un programme qui trouve le bon équilibre entre des réformes radicales et un nécessaire pragmatisme. Il faut aussi une personnalité dont les propos soient convaincants et capables de se démarquer vis-à-vis des autres candidats. Il faut enfin une candidature qui se démarque des jeux politiciens. Quoi qu’en pense les un et les autres qui rêvent d’options plus radicales, Thomas Piketty me paraît avoir le profil qui convient pour troubler je jeu politique avant la présidentielle de 2017.

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