Comme l’ont mis en évidence les travaux de Thomas Piketty et d’Emmanuel Saez en particulier, la concentration de la richesse a atteint à nouveau dans les pays occidentaux le niveau extraordinaire qui était le sien à la veille de la première guerre mondiale. Mais alors que la crise que cette guerre a constitué a opéré une redistribution du patrimoine qui s’est poursuivie jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale, pour se maintenir ensuite jusqu’aux années 1970, la crise des subprimes en 2007 et 2008 a été elle à l’origine non pas seulement d’une reprise mais d’une accélération dans la concentration de la richesse.
Une étude récente de chercheurs de la Banque des Règlements Internationaux : Wealth inequality and monetary policy (*), mentionne les chiffres suivants : « le patrimoine net des ménages les plus fortunés a progressé deux fois plus vite que celui des plus pauvres en Allemagne et en Italie, quatre fois plus vite aux États-Unis, cinq fois plus vite en France. Au Royaume-Uni, les inégalités ont retrouvé leur niveau d’avant crise ».
La question que se posent les chercheurs de la BRI est celle-ci : cette accélération encore dans la concentration de la richesse est-elle due aux politiques de « quantitative easing », de création monétaire massive, mises en œuvre par les banques centrales depuis 2009 pour la Federal Reserve américaine et depuis 2012 pour la Banque centrale européenne ? Pour tester cette hypothèse, ils ont réalisé des simulations. La bulle boursière générée par le QE a ainsi une part de responsabilité dans la concentration plus rapide de la richesse. La fortune des moins nantis est elle essentiellement constituée – quand elle existe – de la propriété de leur logement, et là aussi, le QE a, d’une certaine manière, raffermi le marché immobilier.
Quoi qu’il en soit, ce que les auteurs du rapport mettent à jour est insuffisant pour rendre compte de l’accélération constatée dans la concentration de la richesse.
Une autre hypothèse envisageable est que cette concentration s’est tout simplement poursuivie sur sa lancée d’avant la crise, et que le paradoxe apparent soit simplement qu’il en ait été ainsi. L’hypothèse à tester serait alors beaucoup plus banale : pourquoi les riches ont-ils été protégés de la crise davantage que les autres ? Et là, l’explication pourrait être déjà connue : le produit dérivé qu’est le Credit Default Swap a permis de se prémunir contre la perte subie sur un instrument de dette, et les autorités ont tiré d’affaire le principal émetteur de ces CDS, American International Group (AIG), lorsqu’il fut menacé de faillite, grâce à un bail out.
Un mystère demeure autour de la chute de AIG : pourquoi la dette de l’assureur ne fut-elle pas restructurée au prorata des 6 milliards de dollars qu’il avait provisionnés, mais étonnamment, réglée rubis sur l’ongle par les autorités aux frais du contribuable, pour une somme initialement évaluée à 85 milliards de dollars (77 MD €) mais qui s’éleva au final à 182 milliards de dollars (164 MD €). Cette somme colossale permit que furent protégés tous ceux qui auraient pu directement ou indirectement subir des pertes sur des obligations.
L’explication de l’accélération de la concentration de la richesse après la crise pourrait être là : les autorités firent en sorte que les détenteurs de capitaux s’en sortent indemnes. Il n’y avait probablement pas là une intention délibérée de sauver les riches plutôt que les pauvres mais une conséquence du fait que la fortune des plus riches entretient des rapports plus étroits avec les instruments financiers proprement dits que celle des pauvres, davantage ancrée elle dans l’économie réelle. Les riches d’un pays furent épargnés à l’occasion du sauvetage du système financier par sa banque centrale et son Trésor, alors que les pauvres subirent de plein fouet la récession qui s’ensuivit, qui n’était pas véritablement du ressort de ceux-ci.
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(*) Wealth inequality and monetary policy by Dietrich Domanski, Michela Scatigna and Anna Zabai, BIS Quarterly Review, March 2016
@Pascal (suite) Mon intérêt pour la renormalisation est venu de la lecture d’un début d’article d’Alain Connes*, où le « moi »…