Billet invité.
Le propos revient souvent : pour se faire entendre des décideurs, ou des investisseurs, ou des comptables, comme il vous plaira, il faudrait « une unité de mesure écologique qui soit un sous-multiple de la capacité d’absorption de la biosphère » (Jean- Paul Vignal 26 février sur ce blog).
En effet, explique notre ami, en se fondant sur les évaluations de Earth Overshhoot, « la pollution que nous créons chaque année est en gros déjà 1,4 fois et demi la capacité d’absorption de la biosphère ». Sans interroger le mode de calcul du carbone gazeux, exhalé par tous, que ces braves gens mesurent, force est de constater que pour eux, en revanche, la pollution bien cancérogène, elle, n’existe pas.
J’écris ceci à l’heure ou le mot pesticide devient anathème, dans un pays longtemps champion de leur production et leur exportation (se reporter à l’incendie en 2005 à Béziers, d’un entrepôt de toxiques agricoles interdits, destinés à l’Espagne, où des Français les achetaient).
Cette manie de réduire la pollution au carbone, qui remonte maintenant aux années 1990, a fait maudire le climat par plus d’un militant exaspéré. Mais la question va au-delà. N’en déplaise à la Caisse des Dépôts-Compensation (CDC), qui vise à transformer sa maison mère de banque des autoroutes en banque de la biodiversité, la comptabilité ne peut rendre compte de l’écologie. Ainsi, l’engagement de compenser une zone naturelle sans « perte nette de biodiversité », ne signifie rien. S’il faut éviter les « pertes nettes » d’espèces de la faune et de la flore, c’est donc qu’il existerait des « pertes «brutes » dont on pourrait s’accommoder… On voit que ça n’a pas de sens. Il s’agit seulement de l’application du marketing, de la compétition de tous contre tous, à un monde vivant qui marie bien d’autres types de relations.
La comptabilité ne connaît que gains et pertes, entrées, sorties. Sans même parler de physique quantique, la biologie se révèle plus complexe et moins binaire que ça.
Des siècles durant on a répété après Paracelse (1403 -1541), qui lui même avait eu du mal à se faire entendre, quand il soignait les mineurs pour saturnisme [1], dans les vastes mines d’argent des Frères Fugger : « La dose fait le poison ». Autrement dit, tout est dangereux, ça dépend de la dose uniquement.
Il est établi aujourd’hui que les perturbateurs endocriniens, naguère appelés mimes d’hormone, et pour certains d’entre eux, polluants organiques persistants : POP [2] (par exemple, les dioxines), nuisent justement, parce qu’à très faible dose, ils peuvent passer pour une sécrétion du corps – s’ils arrivent au moment voulu sur un récepteur, et lancer ou bloquer une cascade d’effets. La question de les interdire, ouverte depuis 1992, s’est traduite au niveau européen puis en France par une loi avec des doses maxima admissibles (par exemple pour les bisphénol) : un vrai contresens, nul besoin de l’expliquer. Comment exprimer une action à faible dose dépendant du moment de l’application dans une « unité de mesure de pollution » ? Impossible. Il faut se battre encore et toujours pour éduquer les bureaucrates à un monde non comptable, et ne surtout pas lâcher.
Au reste on ne peut pas incriminer seulement la pollution. Hippocrate le savait, qui mit l’accent sur la relation du médecin et du malade, et Rabelais (« les joyeux guérissent toujours »).
La scène se déroule en 1989, à Rotterdam, dans les bouches du Rhin, ville polluée s’il en est, dotée du plus grand port pétrolier du monde, et d’un sol bourré de métaux lourds. Rotterdam c’est littéralement la digue de l’eau pourrie. La couronne hollandaise se montrait déjà très active dans la dépollution du territoire, aux 2/3 pris sur la mer, et la chasse juridique aux pollueurs. La seule eau que boivent les Pays-Bas hormis quelques sources dans les dunes devant la mer de Wadden provient en effet de la nappe du Rhin. La France bien plus favorisée dans ses cours d’eau, n’a toujours pas en 2016, de législation pour nettoyer les sites pollués dits « orphelins.
Cependant la couronne hollandaise, pourtant détentrice d’un bon morceau de la Royal Dutch Shell, n’avait pas réussi à installer de capteurs dans le sol de l’île centrale du Rhin où abordent les pétroliers. Officiellement, il n’y avait pas lieu, l’île n’étant pas polluée – je ne sais ce qu’il en est aujourd’hui.
J’écrivais dans mon livre La Cité des Plantes, en ville au temps des pollutions que dans cet environnement hyper industriel, en haut d’un gratte-ciel du centre ville, me montrant une zone de jardins ouvriers, « le directeur des services d’environnement (…) me disait au détour d’un interview : ici, dans les potagers, on trouve du plomb, du cadmium, du nickel… toutes les limites fixées par l’OMS [3] sont dépassées. Et ces gens ne tombent pas malades ; je ne comprends pas. Je n’aurais pas voulu sa place, je m’en souviendrai toujours… Mais comment en effet expliquer tant de santé ? Certes les pêcheurs qui mangent du poisson contaminé au mercure ne subissent pas tous la maladie d’Alzheimer, à cause du taux élevé de sélénium dans ces mêmes poissons [4]. Car il arrive que l’antidote voisine avec le toxique. Et certes le moral peut beaucoup. »
Mais comment chiffrer de tels effets ?
J’ajouterai ceci : la comptabilité écologique considère la Nature comme un capital, or c’est une travailleuse, une erreur que Paul Jorion ne commet pas.
Avant de renvoyer les courageux aux volumes des comptes de l’environnement publiés depuis des décennies par le ministère que tient aujourd’hui Ségolène Royal. Et surtout aux précieux travaux sur la fiscalité écologique de Guillaume Sainteny.
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[1] Intoxication au plomb.
[2] ici organique signifie contenant du carbone.
[3] Organisation Mondiale de la Santé.
[4] Marie Grosman, André Picot, Facteurs environnementaux impliqués dans la maladie d’Alzheimer. Le mercure dentaire, probable déterminant majeur, Médecine et Longévité, n°1, Masson/Elzevier, Septembre 2009.
C’est la méthode descendante : avec un LLM en arrière-plan de chaque personnage.