Comment jouer les trouble-fêtes aux élections présidentielles de 2017 ?, par Michel Leis

Billet invité.

La couverture médiatique, les manœuvres des partis, les ambitions de quelques individus occupant le devant de la scène politique depuis trop longtemps déjà, tout concourt à un premier tour des présidentielles qui se jouera entre le FN et les deux candidats désignés par les partis de pouvoir : PS et LR.

Le FN est déjà en ordre de marche, la droite désignera son candidat en novembre, dans un processus largement balisé. L’aile droite du PS a tout fait pour torpiller la désignation d’un candidat dans une primaire ouverte. Dans le contexte actuel, à mi-chemin entre les considérations d’appareil et l’envie de faire entendre une voix différente, les autres candidatures ne joueront probablement pas dans la même cour.

La conséquence inédite si une telle configuration devait se confirmer serait un débat tronqué, où seules des visions de droites bénéficieront d’une grande visibilité médiatique (l’égalité stricte des temps de parole ne joue que pendant la campagne officielle), un débat polarisé entre deux systèmes de croyances, non pas celles des partis, mais bien celles des électeurs au moment du choix.

Pour les partis de pouvoir, le discours est celui de la religion féroce, avec sa variante PS (la modernité) ou celle des « Républicains » (la compétitivité). Alors que ces politiques enchaînent les échecs, ce discours continue à séduire des électeurs : on peut légitimement s’interroger sur les raisons de cette résilience. Une infime minorité d’individus seuls ont vu leurs conditions de vie s’améliorer ces dernières années. En réalité, beaucoup de citoyens croient qu’ils ont beaucoup à perdre s’ils s’écartent du dogme économique dominant, d’autres sont persuadés qu’ils s’en sortiront toujours, parce qu’ils ont fait les bonnes études, parce qu’ils ont un petit patrimoine. Ils croient que s’adapter et consentir à quelques sacrifices leur évitera de perdre beaucoup.

À l’extrême droite, le FN et son discours fondés sur la peur, les boucs émissaires, l’exclusion et l’esprit de forteresse, trouve un écho grandissant. Le contraste avec le TINA de la religion féroce fait apparaître ce discours comme celui de la rupture. Elle est souhaitée par un nombre croissant de personnes, victimes de la crise ou qui sentent les menaces s’accumuler sur leur quotidien, la peur s’installe avec les attentats aveugles. La colère et la rancœur s’accumulent : contre ceux qui s’en sortent, ceux qui sont la cause de tout ça, le « ceux » désignant un ennemi par nature multiple et insaisissable.

Pour avoir une chance d’être présente au second tour, une candidature alternative doit pouvoir élargir le cercle des électeurs, surtout si l’on tient compte de l’inévitable dispersion due à la multiplication des candidats à gauche. Elle doit éviter les formules « magiques », symétriques du discours tenu par les partis de pouvoir ou d’extrême droite. Invoquer par exemple la fin de l’austérité comme thème principal de la campagne est une stratégie condamnée à l’échec, seule une fraction du peuple de gauche peut être convaincue par un tel discours. Pour nos concitoyens qui sentent ou ont senti le souffle du boulet, le lien ne se fait pas entre leur situation, leurs peurs et cette thématique. Pour ceux qui croient encore sauver les meubles, la fin de l’austérité est synonyme de prodigalité, de dettes publiques ou d’impôts, ce que leur répètent les grands médias tous les jours. Ils sont tétanisés par l’idée qu’il pourraient avoir à en payer le prix demain.

Pour jouer les trouble-fêtes en 2017, il faut un programme global qui ne peut se résumer en quelques formules incantatoires. Ce dont nous avons besoin, c’est d’un « new deal » adapté à notre situation complexe. Ceux qui sont les victimes de la crise doivent y voir des réponses concrètes. Ceux qui pensent avoir beaucoup à perdre des changements doivent être rassurés par un discours qui reflète une vraie stratégie de dépassement de la crise, ils doivent aussi savoir comment les efforts seront partagés. Ces éléments doivent être pris en compte dans les débats qui aboutiront à la conception d’un programme (ma contribution à ce débat). Une telle approche exclut le populisme et la simplification, il faut s’adresser à l’intelligence de nos concitoyens.

Il n’est jamais simple de remettre en cause un système de croyances par la raison. Un vrai atout pour une candidature alternative à gauche serait d’avoir un (ou plusieurs) domaine d’expertise et de compétence reconnu par les médias. Cela permettrait de renforcer et de crédibiliser le discours, mais aussi de pousser dans leurs retranchements les tenants de la religion féroce comme ceux de l’extrême droite. À ce jour, Thomas Piketty est la seule personnalité déjà engagée dans la campagne de 2017 qui correspond à ce profil, c’est dans l’état actuel des choses la meilleure candidature possible.

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