LA DISRUPTION EST ENTRÉE DANS LES MÅ’URS FINANCIÈRES, par François Leclerc

Billet invité.

Un nouveau mot est entré par surprise dans le vocabulaire (presque) courant : disruption. L’emprunt est à la mode, utilisé pour qualifier les ruptures de tous ordres qui se multiplient en s’appuyant sur des progrès technologiques. De manière plus parlante, on parle aussi d’uberisation.

En si peu de temps nous sommes déjà environnés de disruptions et devons nous préparer à l’être bien davantage ! La société dans laquelle nous vivons va connaître d’importantes et rapides mutations qu’il est temps de pressentir afin de faire face à de nouveaux enjeux.

Tous les domaines d’activité sont concernés, mais les activités financières sont parmi les premières touchées. Déjà, ses grands acteurs américains s’engagent dans la reconfiguration de certaines de leurs activités, disposant d’imposants moyens financiers et soucieux de la concurrence de nouveaux venus, avec lesquels il est préférable d’engager des partenariats ou de les acheter. Si Wall Street est très active dans la Silicon Valley, ce n’est pas seulement pour réaliser de bonnes affaires, mais surtout pour préparer son avenir.

Goldman Sachs l’illustre parfaitement. La banque d’affaires peut déjà aligner de nombreux succès après avoir soutenu entre autres Uber, DropBox ou Spotify, mais son principal objectif est ailleurs, les revenus en résultant étant pour elle marginaux. Son objectif déclaré est de bénéficier du savoir-faire de ces nouvelles entreprises et de se l’approprier en l’adaptant à ses besoins, motivée par la certitude que des bouleversements attendent les activités bancaires et financières et qu’il faut prendre les devants.

Lloyd Blankfein, son PDG, a résumé sa politique en expliquant  : « nous essayons de nous perturber nous-mêmes », ce qui est incontestablement préférable qu’à l’être par d’autres. De fait l’effectif de la banque est composé à hauteur de 30% d’ingénieurs informatiques – plus que de banquiers et de traders – ce qui lui permet d’affirmer « nous sommes une entreprise technologique ».

Steve Schwarzman, l’un des fondateurs du fonds d’investissement Blackstone, a de son côté déclaré que s’il avait trente ans de moins – il en a soixante-huit – il se rendrait en Californie où « il y a tellement de disruption et d’incroyable création de valeur ». De fait, la liste des banquiers de haut niveau qui font le déplacement s’allonge.

En dépit de leur toute-puissance, les grandes banques ne sous-estiment pas la concurrence des nouveaux venus, même ceux-ci choisissent pour débuter des terrains laissés largement en jachère par celles-ci. C’est le cas de plates-formes comme LendingClub ou Prosper, qui mettent en relation emprunteurs et prêteurs, auxquelles Morgan Stanley accorde d’ici 5 ans 8% de parts de marché sur le segment du crédit à la consommation, et 16% sur celui du crédit aux PME. D’autres secteurs d’activité comme les transferts d’argent entre devises vont être bouleversés, vu l’importante baisse des frais et commissions affichées par TransferWise ou Remit, deux nouveaux acteurs.

Les Fintech (les technologies financières) vont aussi permettre d’élargir le marché des investisseurs en produits financiers, apanage jusqu’à maintenant des institutionnels, établissements financiers et grosses fortunes. Deux startups s’y sont déjà engagées : Acorns et Betterment. La première propose d’effectuer des micro-investissements par tranches de 5 dollars, en arrondissant au dollar supérieur tous les achats par carte bancaire de ses clients pour alimenter leur compte. Un robot-conseil compose le portefeuille de chacun d’entre eux, suivant son profil. En 16 mois, près de 700.000 comptes ont été ouverts, dont 75% par des moins de 34 ans, une population ayant pris ses distances avec les banques.

D’autres nouveaux venus proposent également leurs services personnalisés de conseil en investissement dispensés par des robots. Blackrock a fait l’acquisition de l’un d’entre eux, FuturAdvisor, et Fidelity’s à engagé un partenariat avec Learn Vest et Betterment. Le consultant A.T. Kearny estime que la progression du volume des investissements en produits financiers réalisés via les robots-conseils va être fulgurante, il faut donc en être sans attendre que les places soient prises et les tickets d’entrée devenus très onéreux.

Goldman Sachs a choisi un autre domaine en achetant Honest Dollar, qui aide les PME et les travailleurs indépendants ou en auto-entreprise à fournir à leurs employés des plans de retraite ou à s’en constituer. Jusque là délaissé, ce marché est énorme, 45 millions d’Américains en étant dépourvus. Mais la banque d’affaire pense aussi à elle – et à certains de ses gros clients qui pourront en bénéficier – en investissant dans Kensho tout en développant un partenariat avec cette startup. Initialement dénommée Warren (pour Buffett), cette puissante plate-forme effectue à la demande, et dans des délais étonnements courts, des recherches financières approfondies, dans le but d’apporter une aide à la décision.

Remplaçant des analystes financiers à qui le même travail demanderait beaucoup plus de temps – et coûterait plus cher – Kensho va puiser dans les données non structurées de l’actualité ou du passé des informations de toute nature – par exemple, des évènements météorologiques ou géopolitiques ou bien des innovations technologiques – pour les intégrer, au lieu de se limiter aux seules informations financières traditionnelles. Testé au coeur même du saint des saints, la salle des marchés de Goldman, Kensho aurait fait preuve de l’étendue de son savoir-faire.

La disruption n’en est qu’à ses débuts. S’il est impossible d’estimer la place au soleil que les nouveaux venus se feront, au détriment de ceux qui sont en place ou en partenariat avec eux, au choix, il en ressort en tout état de cause que le nombre d’emplois de l’industrie financière pourrait diminuer de moitié. Tel est le pronostic d’Antony Jerkins, l’ancien dirigeant de la banque britannique Barclays.

Les banques ont eu comme politique de développer la bancarisation en ouvrant des comptes aux enfants pour les mettre dans le bain. Élargir le champ des investisseurs développe le business et procède de la même logique politique d’implication.

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