22 MARS – ATTENTATS DE BRUXELLES : PREMIÈRE ANALYSE À CHAUD, par Cédric Mas

Billet invité.

Ce billet est rédigé sur la base des seules informations confirmées connues à 15h30 le 22/03/2016. Il s’agit humblement d’offrir une aide à la réflexion et à la prise de recul rapport aux flux d’informations et de réactions (improprement qualifiées d’analyses “d’experts” poursuivant leur propre agenda) qui se succèdent à un rythme élevé dans ce genre d’évènements.

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RAPPEL DES FAITS CONNUS À 15 HEURES 30 :

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A 8h00 Aéroport de Zaventem : ce matin, deux explosions ont eu lieu dans le hall des départs de l’aéroport de Bruxelles – Zaventem.

D’après les informations disponibles, il semble que l’une des explosions provienne d’une valise piégée et l’autre d’un attentat suicide (charge portée par l’auteur de l’attaque donc). Certaines sources non officielles font état d’une troisième charge non déclenchée retrouvée sur les lieux ainsi que de la découverte d’une Kalashnikov. De même des témoins font état de coups de feu et de cris juste avant l’explosion. Là encore pas de confirmation par des sources officielles.

Le bilan est lourd : 14 morts et 80 blessés.

A 9h11 station de métro Maelbeek : une bombe explose dans une rame de métro dans la station Maelbeek. Certaines sources font état d’une autre explosion mais ce n’est pas confirmé. À ce stade aucune information n’est donnée sur la nature de l’attaque : colis-piégé ou attaque suicide.

L’explosion dans cette station à une heure de forte affluence implique malheureusement un bilan lourd : 20 morts et 106 blesses.

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Plusieurs opérations de police sont en cours même s’il n’est pas possible à cette heure de savoir si des auteurs de ces attaques sont encore en capacité d’agir dans d’autres endroits.

CE QUE L’ON PEUT EN DÉDUIRE :

A ce stade il est possible d’ores et déjà de déduire de la concomitance entre des attaques et les opérations antiterroristes de ces derniers jours à Forest et Molenbeek un lien entre l’enchaînement de ces deux évènements :

D’abord, que Bruxelles a été pendant longtemps une “base arrière”, une zone logistique et de recrutement (notamment à Molenbeek), et donc à ce titre épargnée par les attaques. C’est flagrant au moment des attaques du 13 novembre à Paris : les terroristes partent de Bruxelles ou sa région proche et y reviennent pour ceux qui s’échappent de l’opération (Abdeslam).

Les opérations de ces derniers jours ont manifestement impacté les réseaux jihadistes au point qu’ils considèrent que Bruxelles n’est plus un sanctuaire et qu’ils peuvent donc frapper sur place sans mettre en danger une base arrière qui a été affaiblie par les perquisitions et arrestations.

Nous nous trouvons dans une logique similaire à celle des attentats de Londres en 2004, qui frappe une ville lorsqu’elle n’est plus considérée comme sanctuarisée (base logistique, de recrutement, de financement etc.), et donc devenant de ce fait une cible potentielle voire prioritaire.

Ensuite, le lien entre les évènements peut avoir deux origines (pas incompatibles l’une de l’autre) :

  • Soit les récentes arrestations et perquisitions ont mis en danger les auteurs de ces attaques, qui se sachant découverts et identifiés ont préféré précipiter leurs attaques sur la base de cibles préétablies (et dans une démarche d’attaques suicides pour éviter l’arrestation et servir leur “cause”).
  • Soit le déclenchement de ces attaques a un lien avec les déclarations de la veille selon lesquelles Abdeslam allait parler et collaborer (cela a été notamment relevé par Michael Horowitz du Levantine Group). Rappelons que jusque-là les informations ayant filtré sur les premières déclarations d’Abdeslam restaient étonnantes (qu’il faisait partie du commando du Stade de France). Ces déclarations largement médiatisées peuvent avoir été comme un message adressé aux autres membres du réseau qui n’étaient pas encore arrêtés, pour leur faire croire qu’ils ne seraient pas menacés par cette arrestation.

Enfin, le fait qu’un des réseaux impactés par les opérations de police de ces derniers jours soit actif au point de pouvoir provoquer directement ou indirectement de telles attaques oblige à réévaluer la position d’Abdeslam au sein du mouvement : il n’est pas un “déserteur”, en rupture avec le mouvement jihadiste, un “électron devenu libre” en rupture ou placé au ban de son réseau, mais au contraire intégré dans un groupe lié à des jihadistes capables de frapper à nouveau et rapidement.

La défense à venir d’Abdeslam, terroriste qui aurait refusé d’actionner sa ceinture piégée, et aurait “rompu” ou “déserté” le groupe est donc affaiblie.

CE QUE L’ON NE PEUT PAS ENCORE EN DÉDUIRE :

Dès à présent, il est difficile de considérer avec certitude que ces attaques sont la réponse, ou la vengeance, à l’arrestation d’Abdeslam. Il faut donc revenir sur les notions de préparations “exceptionnelles”, de “préscience” d’une organisation qui aurait prévu l’arrestation d’Abdeslam et aurait préparé à l’avance une réplique.

De plus, le mode opératoire et la cible sont à la fois classiques et faciles à concevoir. Quiconque connaît la région a pu identifier rapidement les lieux de ces attentats comme des zones à la fois faciles d’accès (absence de contrôles ou de risques – c’est particulièrement flagrant pour la zone de départ de l’aéroport où l’entrée avec une valise n’engendre aucun soupçon) et permettant d’espérer un lourd bilan (choix d’une station de métro dans un quartier d’affaire et d’administrations, bondée à cette heure de la journée).

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Les seuls éléments nécessitant une préparation sont :

  • La préparation idéologique et psychologique des auteurs, particulièrement importante pour des attaques suicides (ce qui est le cas à Zaventem)
  • La fabrication des charges explosives  qui nécessite un savoir-faire et du matériel (a priori présent dans certains lieux perquisitionnés récemment)
  • La coordination des auteurs (choix de la date et de l’heure).

Il n’est donc pas possible de déduire des faits connus à cette heure que ces attaques auraient nécessité des mois de préparation et une logistique lourde, comme certains l’affirment un peu vite.

En réalité, le choix des cibles et des modes d’action (2 personnes suffisent pour exécuter matériellement de telles attaques) a l’apparence d’une réaction, de la précipitation d’une opération en cours de préparation, et réorientée vers des cibles proches et rapides d’accès. Bien évidemment, l’enquête confirmera ou non cette apparence.

De même, rien ne permet à cette heure, d’identifier plusieurs réseaux en action. Là encore, c’est l’enquête à venir qui donnera la structure exacte et la proximité entre les individus visés par les opérations de police récentes, et notamment s’ils sont proches ou identiques à ceux qui ont commis ces attaques.

Mais la manière dont sont construits ces réseaux et l’existence de groupes souvent liés entre eux par plusieurs individus communs, qui sont autant de vulnérabilités en cas d’arrestations, montre que le “compartimentage” et l’autonomie des cellules (règles prudentielles de base de toute organisation clandestine), indispensables à leur survie sont très imparfaits dans les mouvements jihadistes européens, qui restent fondés sur des mécanismes de recrutement par entourage proche familial et/ou amical plutôt que par des “autoradicalisations spontanées” ou des manipulations mentales par internet à longue distance (sic).

CE QU’IL FAUT SAVOIR POUR LA SUITE :

A cet instant, deux points paraissent importants.

D’abord, rien ne permet d’affirmer que les auteurs de ces attaques (au moins 2 personnes) ne sont pas en capacité de lancer d’autres attaques. Sans alimenter une ambiance anxiogène excessive, il est important de confirmer rapidement si l’opération terroriste est terminée ou non. Il est tout aussi important de ne pas alimenter de manière abusive un climat d’alerte maximale toujours épuisant pour les forces de sécurité, qui ne serait plus justifié, par calcul politique par exemple.

Ensuite, la revendication sera importante. Rappelons que la revendication de l’EI pour les attentats de Paris était survenue 12 heures après, et comportait des éléments d’information non encore disponibles dans les médias, signe d’une attaque préparée et décidée depuis la Syrie.

L’analyse approfondie de la forme et du contenu de cette revendication (particulièrement les détails donnés qui ne seraient pas disponibles dans les médias) seront donc importants pour savoir si l’attaque a été décidée depuis la Syrie, ou est une initiative locale, lancée en réaction aux arrestations récentes et aux menaces pour le réseau jihadiste dans la région de Bruxelles.

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