Billet invité.
Selon un sondage Gallup de 2015, la confiance des citoyens américains dans leurs institutions est « historiquement basse ». 8% seulement ont confiance dans le congrès, 21% ont confiance dans les journaux télévisés et dans les grandes entreprises, 24% dans la presse et les syndicats. Le différentiel de ces taux de confiance par rapport à la moyenne historique est plus parlant encore : -16 points pour le congrès, -13 points pour les églises et institutions religieuses, -12 points pour les banques, -10 points pour la présidence, etc…
La confiance générale baisse depuis 2004, et seuls 28% des sondés sont satisfaits de l’état du pays, contre 40% en 2004. Les deux seuls référents pour lesquels la confiance est en hausse est l’armée (72%) et les petites entreprises (67%).
Jeffrey M. Jones, qui présente le sondage pour Gallup, conclut que les citoyens américains « ne sont pas encore convaincus que l’économie est bonne, car leur évaluation de la situation économique nationale est plus négative que positive. »
Je ne sais si Mr Jones et ses amis économistes ont entrepris de « convaincre » ces sondés récalcitrants qui n’ont pas encore « évalué » la reprise économique, mais on peut se faire une idée de l’ambiance générale dans l’Amérique « d’en bas » grâce au rapport sur la faim et les sans-abri dans les villes américaines, établi annuellement pour la conférence des maires des États-Unis.
Le rapport de décembre 2015 décrit une autre réalité que celle de la reprise de la croissance du PIB :
Les demandeurs d’aide alimentaire d’urgence ont crû de 3% cette année. Les rapports précédents font état des variations suivantes :
2014 : + 7%
2013 : + 7%
2012 : + 22%
2011 : + 15.5%
2010 : + 24%
2009 : + 26%
Toutes les variations sont positives depuis au moins 1991.
En 2015, 67% des demandeurs d’aide alimentaire sont des familles, 42% ont un emploi, 23% sont des personnes âgées, 10% des sans-abri. Le rapport estime que malgré une hausse de 7% des budgets cette année, 23% de la demande d’aide alimentaire n’a pu être satisfaite. 57% des villes ont réduit la taille des portions servies, ou la fréquence de visite mensuelle autorisée, par famille ou par individu.
Le nombre de sans-abri a lui aussi augmenté en 2015, plus modérément (+1.6%). Les rapports précédents font état des variations suivantes :
2014 : + 1%
2013 : + 3%
2012 : + 7%
2011 : + 6%
2010 : + 2%
2009 : N.C.
2008 : + 12%
2007 : N.C.
2006 : + 9%
2005 : + 6%
Il est estimé que 29% d’entre eux souffrent d’une maladie mentale sévère, 22% sont des handicapés physiques, 18% ont un emploi, 12% sont des vétérans de l’armée.
Le taux de chômage a retrouvé son niveau d’avant la crise (5.5%), mais le taux d’emploi est au contraire resté à son niveau plancher depuis 2010.
(OFCE, Christine Rifflart)
La décorrélation historique du taux de chômage et du taux d’emploi aux États-Unis depuis 2010 s’explique pour la moitié de son ampleur par l’évolution démographique (sortie du monde du travail des baby-boomers), mais pour l’autre moitié, il s’agit de personnes en âge de travailler qui ont renoncé à rechercher un travail. Comme le commente si « techniquement » le ministère français des finances, « La perte de capital humain, liée à l’éloignement durable de l’emploi de ces chômeurs découragés, diminue la probabilité de leur retour sur le marché de l’emploi (effets d’hystérèse). » La baisse du taux de chômage aux États-Unis est donc un dangereux masque de la réalité sociale de la population.
On sait que la reprise de la croissance du PIB a profité essentiellement aux plus favorisés. La raison en est la disparition générale de l’emploi, disparition nette et non destruction créatrice, due à l’automatisation croissante des activités, telle que l’a souvent pointée Paul Jorion. Il n’est pas compliqué de le constater face à ces chiffres : Facebook, 300 milliards de dollars de capitalisation, 10.000 salariés / General Motors : 50 milliards de capitalisation, 200.000 salariés.
Les hommes et les femmes américains qui se retrouvent relégués à un rôle de parasite du capitalisme triomphant, qui n’a même plus besoin de leur travail pour s’enrichir, ont peut-être l’impression que c’est une part de leur identité civique qu’on leur ôte. Réduits à mendier même leur subsistance de base, ou ayant peur de se retrouver dans cette situation un jour, ils ne « comptent » plus pour personne, et, suprême ironie, ont même été exclus… des statistiques du chômage.
Le droit de peser sur les décisions publiques, donné à chacun, est la solution que propose la démocratie pour résoudre le problème de l’individualisme ou du communautarisme : l’individu qui peut interagir avec l’échelon supérieur du pouvoir devient un citoyen.
En réduisant le travail humain à une part de plus en plus réduite de l’économie, on a volé aux habitants une part de leur citoyenneté effective. Ils n’ont donc plus rien de commun avec les « élites », économiques, politiques, et même religieuses. Trump n’est que le récipiendaire symbolique et provisoire de cette crise des inégalités. Il est significatif qu’il n’ait quasiment pas de programme : il n’est qu’une bombe qu’on veut faire exploser à la face des puissants.
@BasicRabbit en autopsy Il y a un demi-siècle il était plus rapide d’apprendre à parler (/écrire) le langage des ordi,…