Billet invité.
Une frénésie d’innovations s’est emparée d’un monde financier connu pour être plus compassé. On ne reviendra pas sur l’Helicopter Money, dont le succès éditorial ne tarit pas à défaut d’avoir encore décollé, ni sur ces taux négatifs hier impensables qui paraissent promis à un avenir durable. Car il y a plus prometteur à venir !
Le bitcoin a déjà suscité un indéniable intérêt dans le milieu bancaire, convaincu que l’innovation technologique n’allait pas s’arrêter aux portes d’établissements dont le vernis vénérable a de toute façon craqué. Pourquoi dès lors s’arrêter en si bon chemin, la technologie à la base du bitcoin, la blockchain, étant déjà assurée d’un brillant avenir ?
Dans la machinerie complexe du monde financier, elle présente tous les avantages, supprimant les intermédiaires, diminuant les coûts, accélérant les processus et garantissant la sécurité des échanges et des transactions. De grands bouleversements sont donc en gestation, qui vont cependant pendre leur temps. Certes, la blockchain permettrait également de supprimer les structures hiérarchiques pyramidales – en l’occurrence les banques elles-mêmes – mais c’est d’une autre histoire dont se sont emparés les partisans de la Decentralized Autonomous Organization (DAO). Ils y voient l’opportunité de construire une nouvelle société en rupture avec l’actuelle. Avec les ambitions plus limitées des acteurs du secteur financier, la blockchain illustre parfaitement l’expression « code is law » (le code, c’est la loi !) qui fait désormais florès, quitte à y rajouter : à condition que les banques en soient à l’origine.
Pouvant rendre sans objet l’intermédiation des banques, elle est par essence disruptive. On comprend que ces dernières soient à l’initiative afin de contenir son potentiel. Face à une baisse de leur rendement et à la nécessité de réduire leurs coûts, elles voient également dans la blockchain une excellente opportunité, une fois celle-ci dédiée à leur service. Plus de quarante grandes banques mondiales ont ainsi pris une participation dans R3 Global Collaborative Labs, une startup qui conçoit des applications de celle-ci pour les transactions financières. Et les startups proposant des offres de service prolifèrent par ailleurs.
De manière inattendue, c’est du côté des banques centrales qu’est venue une forte transgression. Plus précisément du vice-gouverneur de la Banque d’Angleterre, Ben Broadbent. À l’occasion d’une conférence prononcée à la London School of Economics, celui-ci a envisagé la possibilité d’ouvrir des comptes aux entreprises et même aux particuliers, une faculté qui était réservée aux seules banques commerciales. Avec l’extinction de la monnaie fiduciaire programmée à terme, cette innovation reviendrait à nationaliser le marché monétaire si les particuliers pouvaient accéder aux guichets des banques centrales. Avec la mise en œuvre du blockchain les échanges monétaires deviendraient traçables et il serait possible de déceler les opérations de blanchiment d’argent et les fraudes fiscales. À y réfléchir, une telle transparence risque d’y faire obstacle.
Deux options sont disponibles, analyse plus sagement Ben Broadbent. Il voit soit la réduction du rôle des banques au « narrow banking », en les cantonnant strictement aux dépôts et à la détention d’actifs liquides et présumés sûrs comme les titres souverains. Ou bien il propose d’élargir celui des banques centrales qui ouvriraient leurs guichets à une sélection de la clientèle des banques commerciales.
Cependant, tout occupé à de périlleuses acrobaties à propos de « la monnaie banque centrale », il ne va pas jusqu’à évoquer le cataclysme que représenterait la pure et simple disparition des banques commerciales et centrales, cette logique ultime de l’application de la blockchain ! On ne peut pas trop en demander.
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