Billet invité. Ouvert aux commentaires.
Dans son billet du 11 mars paru sur son blog, Thomas Piketty illustre parfaitement l’énorme pouvoir de nuisance de l’aile droite du PS dans le processus de désignation d’un candidat représentant les valeurs de gauche.
Pour continuer la série « appelons un chat un chat » inaugurée par Paul Jorion au mois de janvier 2016, il faut expliciter en quoi tient ce pouvoir de nuisance, au-delà des éléments pointés par Thomas Piketty dans son texte. Le point crucial dans le contexte actuel, c’est que le PS est objectivement divisé en deux tendances aux valeurs et aux ambitions opposées.
Une tendance, présente au sein du PS depuis déjà fort longtemps s’est convertie à « la modernité », cette autre appellation du TINA. Elle est aujourd’hui au pouvoir, en France, comme au sein du parti. Elle n’entend pas laisser le pouvoir, à n’importe quel prix, y compris celui des plus basses manœuvres politiciennes. Il est hors de question pour elle de ne pas être présente à la présidentielle de 2017 : les candidats naturels de cette tendance sont dans l’ordre Hollande (il a la légitimité de la fonction présidentielle), Valls ou Macron (si le taux de rejet de Hollande imposait une candidature de rattrapage pour se maintenir au pouvoir). L’accession au second tour est vue comme la certitude de se maintenir au pouvoir (est-ce bien sûr ?). La ligne « moderne » bénéficie en plus d’une propagande intensive des médias, même si cette même propagande bénéficie aussi à la droite. Les rapports de force au sein de l’appareil du parti, sinon chez les militants font que cette tendance est en mesure d’imposer son calendrier et ses conditions.
En face, il reste au PS une tendance authentiquement de gauche, que ce soit au sein de l’appareil ou chez une partie des militants. Cette tendance a naturellement vocation à être présente dans la désignation d’un candidat portant les valeurs de gauche, au sein ou à l’extérieur du parti. Cette tendance est pourtant contrainte par la stratégie qu’elle s’est choisie : réorienter le parti de l’intérieur, voire y prendre le pouvoir, à la manière de Jeremy Corbyn au Royaume-Uni qui a donné un sérieux coup de barre à gauche au Parti travailliste. Cette approche souffre d’une triple faiblesse. Tout d’abord, elle ne peut être une stratégie pour 2017 que si la tendance « moderne » du PS joue le jeu institutionnel au sein du parti. Ensuite, elle dépend non seulement des rapports de force en interne, mais aussi du poids des différents courants chez les militants, certaines indications semblent montrer que la ligne « moderne » du PS y est encore majoritaire. Enfin, c’est une approche qui reste trop tournée vers les jeux de pouvoir interne au parti et pas assez sur une possible victoire en 2017. Comme je l’ai écrit en conclusion dans un précédent billet, « compter sur la session de rattrapage en 2022, comme le pensent certains, c’est être absolument inconscient de l’accélération des menaces qui pèsent sur la cohésion sociale, la démocratie et notre environnement ». Il n’y a plus de place pour des manœuvres politiques de long terme.
Thomas Piketty constate à demi-mot dans son billet que la tendance Hollande-Valls-Macron sera présente, quoi qu’il arrive au premier tour. Ce qu’il rapporte dans son billet illustre combien ces hommes entendent bloquer le jeu en s’appuyant au maximum sur l’appareil du parti. En annonçant rapidement la possibilité d’une primaire ouverte, ils obligent la gauche du PS comme les partis qui souhaitent y participer à prendre position rapidement : y aller ou non. En voulant un candidat unique pour le PS, cette tendance compte sur les rapports de force internes au sein du parti pour imposer un candidat de la ligne « moderne ». En décalant le plus tard possible la tenue de cette primaire, elle bloque le jeu pour une longue période, du moins pour ceux qui se seront laissé prendre aux sirènes de cette primaire sous l’égide du PS. Pire encore, ce temps de latence bénéficiera de la couverture des grands médias qui privilégient les candidats de grands partis avant le début de la campagne officielle (seuls ceux-ci seront légitimes). Comme le dit Thomas Piketty : « un débat dans la clarté et la durée est la seule façon d’espérer l’emporter en 2017 », la question du calendrier est donc cruciale : « On ne peut pas passer le plus clair de l’automne à attendre que le président ou son premier ministre daignent se déclarer, et laisser la droite occuper le débat ».
Il y aurait peut-être un autre moyen d’échapper à ce piège : au vu des manœuvres de l’aile droite du PS, prête à tout pour conserver le pouvoir, il faudrait que l’aile des frondeurs du PS prenne acte du caractère inéluctable d’une candidature Hollande, Valls ou Macron (toute permutation circulaire est autorisée pour atteindre l’objectif) et se décident à franchir rapidement le pas : en refusant d’abord les perspectives d’une primaire où les dés sont pipés, et en désignant une candidature hors des partis qui ne soit pas marquée par les jeux de pouvoir dont les Français ne veulent plus.
Laisser un commentaire