Trends – Tendances, Les industriels ont cessé de rêver la nuit à créer des emplois, le 25 février 2016

Les études se succèdent qui annoncent la disparition de l’emploi en raison des progrès de l’informatique : remplacement du travail manuel par le robot et du travail intellectuel par le logiciel. Des chiffres récents évoquent à l’horizon 2030 la disparition pour cette raison de 47% des emplois aux États-Unis, 69% en Inde, 77% en Chine et 50% en Belgique. Même si la précision de ces chiffres est injustifiée, l’ordre de grandeur est celui-là. Curieusement, personne ne tient compte de cette sombre perspective quand il est question de l’avenir de l’emploi, ces chiffres semblent inassimilables : on continue de réfléchir dans un cadre ancien entièrement dépassé.

La presse belge nous informait le 17 février que « Après avoir entamé la baisse des cotisations patronales de 33 à 25 %, le gouvernement fédéral envisage de ramener le taux de base de l’impôt des sociétés de 33,99 à 20 ou 22 % ». L’objectif de ces réductions drastiques n’est sans doute pas de concentrer la richesse dans un plus petit nombre de mains mais de créer des emplois. Pourtant le raisonnement tenu en arrière-plan serait-il encore valide si l’on prenait au sérieux une disparition massive de l’emploi ?

Il faudrait pour ignorer ces chiffres que 50% d’emplois en moins n’aient pas d’impact sensible sur notre manière de vivre. Ce qui pourrait être le cas du fait de l’évolution démographique et du progrès technologique. Ainsi, le vieillissement de la population accompagnerait une telle évolution, neutralisant ses effets, alors que les emplois restant seraient dans l’ensemble mieux rémunérés. Or il est douteux que le vieillissement de la population réduise de moitié la population en âge de travailler. Par ailleurs les emplois qui resteront seront soit très qualifiés, soit très peu qualifiés, ceux des classes moyennes étant eux éliminés.

Une transition du même type s’est bien sûr opérée sans heurt autrefois lorsque les emplois manufacturiers furent remplacés par des services mais des différences essentielles séparent les deux phénomènes : d’abord la transition vers les emplois services fut beaucoup plus lente, ensuite la durée de formation à ce nouveau type de travail ne dépassait jamais quelques semaines, alors que les emplois créés par la robotisation, l’Internet des objets ou l’Intelligence Artificielle, requièrent une formation universitaire d’au moins quatre années. D’autre part le nombre d’emplois créés sera faible par rapport à ceux qui seront perdus : on compte qu’aux États-Unis, le nombre de techniciens liés à la robotique et à la production de logiciels passera sur la période 2012 à 2022, de 3,7 millions à 4,3 soit une progression de 18%, mais qui ne représentera encore par rapport au chiffre actuel de la main d’œuvre employée (160 millions) que 2,7% de celle-ci.

Où en est-on aujourd’hui ? Les industriels déclarent : « Diminuez les charges patronales et l’impôt des sociétés et nous créerons davantage d’emplois ! » Les gouvernements s’exécutent mais, comme on l’a vu en France récemment, rien ne se passe ensuite. Si ! les bonus des dirigeants d’entreprise sont revus à la hausse, les dividendes aussi, les sociétés cotées en Bourse rachètent leurs propres actions et leurs réserves en argent liquide ne cessent de gonfler…

Pourquoi ? Parce que derrière la proposition « Diminuez les charges et nous créerons davantage d’emplois ! » se cache le postulat que l’offre crée la demande, lequel a pour conséquence logique qu’un industriel n’aspire qu’à une seule chose : produire davantage, et que seul le coût de la main-d’œuvre le retient de le faire. Or si le coût de la main-d’œuvre baisse, le postulat que « l’offre crée la demande ! » se retrouve rapidement confronté à la dure réalité qu’il ne suffit pas de produire, il faut encore vendre ce qui a été produit. Et le mur là, c’est le pouvoir d’achat des consommateurs – qui sont dans leur grande majorité des salariés – en baisse dans un cadre d’austérité.

Réduire les cotisations patronales de 33 à 25 %, ramener le taux de base de l’impôt des sociétés de 33,99 à 20 % est bien accueilli par ceux qui sont à la tête de ces entreprises et par ceux qui leur accordent des avances en capital, mais n’aide en rien ceux qui y travaillent et cesseront pour 50% d’entre eux de le faire parce qu’il est plus rentable de les remplacer par un logiciel ou par un robot. La donne a changé et les industriels ont cessé de rêver la nuit à créer des emplois. Qui pourrait le leur reprocher ? mais aussi, quand commencerons-nous à tenir compte dans nos visions d’avenir du fait que l’emploi en tant que tel est en train de fondre comme neige au soleil ?

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