Billet invité.
« Il se pourrait que nous soyons face non pas à des coups de tonnerre isolés, mais aux signes avant-coureurs d’une tempête qui couve depuis longtemps », a estimé Claudio Borio, le chef du département monétaire et économique de la Banque des règlements internationaux, en commentant son dernier rapport trimestriel.
Il a fait référence aux fortes réactions des marchés qui ont suivi fin décembre et début janvier le relèvement du taux d’intérêt de la Fed, ainsi qu’à l’annonce du ralentissement de l’économie chinoise porteur de conséquences sur les pays émergents. En février, un nouveau coup de tabac est intervenu, ayant cette fois-ci pour origine des inquiétudes sur la bonne santé des banques, qu’il qualifie de « plus préoccupantes », accentué par l’annonce de la décision de la Banque du Japon d’instaurer un taux négatif sur certains dépôts des banques. À ces phénomènes apparemment sans rapports, Claudio Borio voit une seule et même raison : la dette continue globalement d’enfler et, particulièrement inquiétant, les entreprises des économies émergentes qui étaient le moteur de la croissance sont endettées en dollars.
Pour la première fois, poursuit-il, le doute commence à s’insinuer quant à la toute-puissance des banques centrales, au vu du peu de résultat en termes de croissance et d’inflation de leur politique d’assouplissement monétaire sans précédent. Le Rubicon à peine franchi par les banques centrales qui ont choisi d’appliquer à leurs guichets un taux négatif aux dépôts des banques, les inconvénients de la mesure sont mis en avant et ses effets questionnés.
L’hebdomadaire de référence The Economist s’est parmi beaucoup d’autres interrogé sur ce thème devenu incontournable dans un article titré « À court de munitions ? ». La formule fait florès. Parmi les options qui restent pour selon lui stimuler l’économie, on en retiendra deux. Le largage de liquidités par hélicoptère (Helicopter Money) tient la corde, populaire car il passe par-dessus les banques qui font de la rétention. Il a comme avantage de continuer à reposer sur les banques centrales, mais comme inconvénient de laisser penser qu’il suffirait d’une injection monétaire destinée aux particuliers pour relancer la machine. Que se passe-t-il ensuite si elle n’est pas renouvelée ? Doit-elle l’être, voire devenir permanente ? Cela ouvrirait d’autres horizons sur lesquelles nous reviendrons.
Une autre option ne mettant pas les banques centrales à contribution, mais également censée dégager l’économie de ce que l’hebdomadaire qualifie de « sables mouvants », a fait son apparition : elle repose sur une augmentation générale des salaires. Une sacrée découverte ! Olivier Blanchard, ancien économiste chef du FMI, et Adam S. Posen, tous deux membres du Peterson Institute for International Economics, préconisent cette option pour le Japon qui est encalminé dans la déflation. De telles augmentations de salaires devant être imposées aux employeurs par les gouvernements, faut-il que tout ait été essayé sans succès… On comprend mieux un tel sursaut d’audace quand Kemal DerviÅŸ, ancien administrateur du PNUD et actuel vice-président de la Brookings Institution, évoque lui aussi cette option en faisant état du « sentiment d’urgence et de déception généralisée par rapport à l’impact de la politique monétaire actuelle » qui règne.
L’avenir parait effectivement sombre à de nombreux commentateurs, dont Mohammed El-Rian, un ancien dirigeant de Pimco, le gigantesque fonds d’investissement. Dans un article titré « Is the perfect storm over for markets ? », en référence à ces tempêtes hybrides résultant de plusieurs phénomènes climatiques extrêmes, il considère que « si les perturbations multiples que l’on observe devaient persister, la menace pesant sur une économie globale déjà sous le coup d’une faiblesse structurelle, d’inégalités de revenus et de richesses, de poches d’endettement excessif, d’une demande déficiente agrégée et d’une insuffisante coordination politique, grandirait encore. » Il ajoute : « Cela pourrait se révéler être le prologue d’un risque de récession, d’inégalités croissantes et d’ instabilité financière », annonce-t-il, sans pour autant innover au chapitre des solutions.
Une étude de Dietrich Domanski, Michela Scatigna et Anna Zabai s’attache aussi aux inégalités, ce thème longtemps ignoré mais qui devient lui aussi récurant. Ces trois chercheurs ont engagé pour la Banque des règlements internationaux un travail qualifié « d’empirique », car le phénomène sur lequel ils se sont penchés est hors du champ des recherches théoriques traditionnelles. Ils voient le développement des inégalités comme le résultat de « l’assouplissement monétaire sans précédent intervenu depuis le début de la grande crise financière », qui est à l’origine de la valorisation des actifs.
La richesse détenue par les ménages les plus riches et les plus pauvres de cinq pays – depuis les dépôts jusqu’aux actions et le patrimoine immobilier – a été inventoriée par leurs soins. Il en est ressorti que le patrimoine des ménages les plus riches avait progressé deux fois plus vite que celui des plus pauvres en Allemagne et en Italie, quatre fois plus vite aux États-Unis, et cinq fois plus vite en France. Au Royaume-Uni, les inégalités sont revenues à leur niveau d’avant-crise, après un déclin initial.
Le malaise grandissant aidant, l’heure n’est plus aux certitudes mais à briser les tabous. C’est déjà le cas avec le revenu universel, auquel il est de plus en plus fait référence avec des idées très diverses derrière la tête.
P.S. Deux précisions par rapport aux mesures annoncées hier par Mario Draghi. La BCE ne pourra acheter jusqu’à 50% des titres, que pour les émissions d’agences comme la Banque européenne d’investissement. C’est en fonction du stock des prêts des banques, que le taux de leurs emprunts dans le cadre des nouvelles opérations de prêts (LTRO) diminuera et pourra devenir négatif.
@Ilicitano Et pendant ce temps-là…on néglige totalement l’énergie que peuvent produire les êtres humains(« l’huile de bras », et d’imagination combinée à…