Emprunts toxiques : on touche le fond, par Marc Le Son

Billet invité

Emprunts toxiques

Institué par la loi de finances pour 2014, le « fonds de soutien » visait à financer une partie des indemnités de remboursement anticipé (IRA) dues par les collectivités publiques pour le débouclement de leurs emprunts toxiques.

La création de ce fonds précédait :

➢ Une loi de validation du 29/07/2014,
➢ Une nouvelle fixation du taux légal (Ordonnance n° 2014-947 du 20 août 2014),
➢ Une exception à la législation sur l’usure faite par la loi de finances pour 2016.

Le dispositif a été dévoyé dans son objet et, souvent, dans la détermination du bénéficiaire des IRA.

L’objet du fonds de soutien

Selon l’article 92 de la loi de finances pour 2014 (Loi n° 2013-1278 du 29/12/2013) :

Ce fonds a pour objet le versement aux collectivités territoriales et aux établissements publics mentionnés au premier alinéa du présent 1 d’une aide pour le remboursement anticipé de ces emprunts et instruments. L’aide est calculée sur la base des indemnités de remboursement anticipé dues ; elle ne peut excéder 45 % du montant de celles-ci.

C’est (évidemment) à condition qu’elles soient réellement dues que l’aide devait financer partie des indemnités de remboursement anticipé (IRA) de ces crédits et c’est pourquoi le dispositif oblige la banque à transmettre « les éléments relatifs au calcul de ces indemnités » à un service de pilotage (5ème alinéa de l’article 92, I, 1, de la loi n° 2013-1278 du 29/12/2013).

L’incohérence bancaire

Pour répondre à cette prescription, les dispositions générales des avis d’exigibilité émis par la SFIL posent tout d’abord que l’IRA représente l’actualisation des intérêts encore à courir par le taux connu au jour ou le remboursement intervient :

Le montant de l’indemnité de remboursement anticipé indiqué dans le tableau ci-dessus correspond au coût de sortie du ou des contrats de prêt concernés au 31 décembre 2013 et au 31 Décembre 2014. Cette indemnité est calculée en actualisant au 31 décembre 2013 et au 31 Décembre 2014 la valeur des montants futurs dus au titre du ou des contrats de prêts concernés, déduction faite du capital restant dû et des intérêts courus non échus, sur la base des conditions de marché prévalant ce jour-là.

Cela répond à la notion de réparation du préjudice déjà évoquée ici et n’est donc pas critiqué.

Mais là où le bât blesse c’est la suite, qui avoue que l’IRA sera fixée par un modèle informatique construit par la banque au moyen d’éléments qu’elle estime « suffisants, appropriés et raisonnables » :

Le montant de l’indemnité de remboursement anticipé fourni est basé sur des données de marché qui peuvent ne plus être actuelles au moment où vous en prenez connaissance. Cette information est déterminée au moyen de modèles et/ou de méthodes propres à la Caisse Française de Financement Local, sur la base d’éléments considérés comme suffisants, appropriés et raisonnables par la Caisse Française de Financement Local.

Une estimation réalisée au moyen d’autres modèles financiers, sur la base d’autres facteurs, ou provenant d’autres sources, serait susceptible d’aboutir à un résultat différent.

On lit que, finalement, l’IRA est déterminée au moyen de « modèles et/ou des méthodes propres » à la banque au point qu’ils conduiraient à une estimation différente si elle était faite par quelqu’un d’autre « au moyen d’autres modèles financiers et sur la base d’autres facteurs ».

On croit rêver, mais c’est pourtant bien ainsi que la banque estime avoir transmis « les éléments relatifs au calcul de l’Indemnité de Remboursement Anticipé » requis par la loi et cela suscite un double questionnement.

L’indemnité réclamée est-elle bien due ?

Les éléments relatifs au calcul de l’IRA retenus sont peut être « suffisants, appropriés et raisonnables » mais, il faut bien le dire, parfaitement inconnus et, s’ils sont déterminés de telle manière qu’ils aboutiraient à un résultat différent s’ils étaient mis en œuvre par quelqu’un d’autre, on en déduira qu’ils sont purement potestatifs puisque la banque les définit selon son bon vouloir.

Voilà sans doute ce que l’exposé des motifs conduisant à l’article 9 de la loi de finances pour 2016 allait appeler « l’écart entre la valeur anticipée des prêts quittés et les conditions de marché auxquelles la banque prête aujourd’hui » : une simple évaluation, une « valeur anticipée » dans la boule de cristal d’un modèle informatique construit selon des « méthodes propres ».

Cela n’est pas une IRA, objectivement définie par le taux applicable au jour du remboursement, ce qui supposerait encore que ce taux soit incontestable et donc exempt de vices.

Consciente de cette situation, la SFIL résoudra la difficulté en substituant au terme « indemnité de remboursement anticipé » (IRA) celui de « indemnité conventionnelle dérogatoire » (ICD) qui sera réputée « conventionnelle » puisqu’elle résulte d’une « transaction » formant loi des parties et pourra alors s’élever à n’importe quel montant, aussi extravagant soit il.

Et L’article 4 du décret n° 2014-444 du 29/04/2014 l’y aidera en fixant que le versement sera celui du « par la collectivité ou l’établissement public au titre du contrat concerné, tel que ce montant a été arrêté dans la transaction conclue avec l’établissement prêteur ».

L’aide étant fixée par une ICD établie par la banque rédactrice de la « transaction », on voit que le fonds de soutien ne contribue plus au financement d’une IRA et que son objet même a été détourné.

Mais il y a pire car si une IRA doit être due en son chiffrage elle doit l’être également à un créancier.

L’indemnité est-elle bien due à CAFFIL ?

Alors que les actes de prêt – en particulier ceux qualifiés de « fax de confirmation » – identifiaient clairement Dexia Crédit Local (DCL) en qualité de prêteur, c’est son ancienne filiale Dexia Municipal Agency (DMA devenue CAFFIL) qui revendique cette qualité et les « transactions » qu’elle rédige imposent aux collectivités de s’en reconnaître débitrices pour bénéficier de la manne publique.

On sait que cette filiale de DCL a été cédée pour un euro symbolique à la SFIL, société contrôlée par l’Etat, et se pose alors la question de savoir qui est prêteur ou régulier porteur des titres de créances.

Est-ce DCL ou est-ce la SFIL via sa filiale CAFFIL, qui affirme sans en justifier qu’il n’y a pas eu de transmission des prêts à son profit mais qu’elle était prêteuse « ab initio »?

Il faudra bien trancher car si c’est DCL qui a prêté et détient toujours ses contrats, c’est elle qui serait fondée à bénéficier des indemnités de remboursement ou de réaménagement, et personne d’autre.

Personne d’autre… sauf à suggérer un détournement des fonds publics pour recapitaliser la SFIL, ce qui serait une pensée tellement iconoclaste que personne ne voudra marcher sur de telles brisées.

Rejetons d’emblée cette production de cerveaux malades qui rêvent, hallucinent ou cauchemardent : Pourquoi tant d’histoires si la France est riche et généreuse et que, finalement, trois ou six milliards d’euros c’est si peu de choses par les temps qui courent.

Que se taisent alors les trublions et que les contribuables contribuent : Après tout, c’est leur fonction et c’est tellement plus simple et confortable de ne rien changer au rite sacrificiel.

Circulez donc, il n’y a rien à voir !

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