GAGNER DU TEMPS, JUSQU’À QUAND ET POUR QUOI FAIRE ? par François Leclerc

Billet invité.

Le plan d’Angela Merkel qui est en suspens en attendant le prochain sommet des 17 et 18 mars suscite un sérieux malaise, la vive protestation du HCR et de Amnesty, ainsi que de grandes réserves lorsqu’il est question de sa mise en œuvre. Car il repose uniquement sur le bon vouloir du gouvernement turc et les coups de tête de Recep Tayyip ErdoÄŸan, son président autocrate.

Dans la foulée du dernier sommet, la Slovénie a fermé sa frontière aux réfugiés, immédiatement suivie par la Serbie, la Croatie et la Macédoine, bloquant dans chaque pays des réfugiés sur la Route des Balkans. La Grèce est bel et bien prise au piège en attendant que le gouvernement turc s’engage concrètement. Pour que celui-ci accepte le rapatriement des réfugiés parvenus en Grèce, qui en est une des clés, il faut en effet que le mécanisme d’échange prévu soit opérationnel, ce qui implique que le dispositif de répartition de ceux-ci dans les pays européens le soit aussi. Et si ce n’était que ça !

Le simulacre des négociations à propos de l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne peut reprendre, il sera toujours temps de le faire traîner en longueur. Mais la suppression des visas pour les citoyens turcs ne va pas se faire sans mal. Et le versement des sommes exigées par le gouvernement turc, sans garantie sur leur utilisation en faveur des réfugiés, suppose qu’elles soient tout d’abord réunies. La conclusion s’impose : ce plan a fort peu de chances de fonctionner comme prévu, il est un leurre destiné à faire gagner du temps à la chancelière qui s’est coincé les doigts dans la porte.

Ce dernier principe continue de gouverner toute la politique européenne, comme le traitement réservé à la Grèce l’a déjà montré. À court terme, la tenue de trois élections régionales en Allemagne, et la nécessité pour Angela Merkel de limiter les dégâts électoraux attendus ce dimanche en raison de la progression à l’extrême-droite de l’AfD qui fait campagne contre l’immigration. Celle-ci contenant en germe un bouleversement de la vie politique allemande, comme partout en Europe.

Comment interpréter l’absence de mandat clair donné au Quartet des créanciers de la Grèce, qui vont retourner à Athènes ? Est-il possible de maintenir un haut niveau d’exigence auprès du gouvernement Syriza quand le pays doit se débattre avec l’afflux des réfugiés ? Peut-il être simultanément aidé à la demande insistante d’Angela Merkel, et mis sous pression pour satisfaire Wolfgang Schäuble ? L’acceptation sans réserves par Alexis Tsipras du projet de plan d’Angela Merkel en dit long sur la convergence de leurs intérêts, quoi que peuvent en penser ceux qui la réprouve au sein de Syriza.

Wolfgang Schäuble laisse désormais transparaître sa critique de la politique suivie par la Commission, notamment vis à vis de l’Italie. Il se contente pour l’instant de demander l’adoption de nouvelles procédures pour discuter de la situation de chaque pays, mais il doute de la volonté de la Commission de continuer à appliquer avec la même rigueur qu’auparavant, la chasse aux déficits. Il semble en tirer comme conclusion qu’il va désormais devoir compter sur lui-même et ses alliés, ne pouvant même pas compter sur la menace du marché, les investisseurs avant tout préoccupés par la recherche d’un havre et seuls quelques desperados pouvant continuer à y chercher bonne fortune en spéculant.

Certes, la BCE détient une autre arme, qu’elle pourrait utiliser à titre d’exemple contre le Portugal. Si une dégradation de sa notation par l’agence de notation canadienne DBRS devait intervenir fin avril, la BCE ne pourrait plus acheter la dette grecque en raison de la réglementation qu’elle s’est donnée, mais qu’elle peut modifier. Seule la note actuelle de DBRS protège encore le Portugal de ce coup dur. La BCE voudra-t-elle toujours être celle par qui le malheur arrive dans les circonstances actuelles ?

L’édifice se lézarde dans un contexte international alarmiste. L’Américain David Lipton, le numéro deux du FMI, a fait hier état à Washington du renforcement du « risque d’un déraillement économique ». Pour conclure que « le moment est venu de soutenir l’activité économique activement », précisant qu’il s’agit d’accroître la demande, tout en s’en tenant à la doctrine du moment qui appelle à la combinaison de mesures fiscales et monétaires assorties de réformes structurelles.

Combien de temps la rigueur doctrinale que François Hollande a conforté faute de s’en distancier va-t-elle pouvoir continuer à s’imposer ?

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