Billet invité.
Lorsque les ordo-libéraux européens firent plier finalement le gouvernement Tsipras pour faire appliquer le mémorandum renouvelé à l’été 2015, le gouvernement de Mme Merkel pouvait sabler le champagne, pensant ainsi avoir imposé à l’Europe, définitivement, les orientations austéritaires tout en conservant l’intégrité européenne, en luttant en parallèle contre le danger intérieur d’une extrême-droite allemande xénophobe incarnée par l’AfD alors en crise et sans débouché politique face à la fermeté affichée et réitérée par le gouvernement allemand dans cette crise grecque.
Quelques semaines plus tard, le 2 septembre 2015, le petit Aylan Kurdi se noyait sur une plage turque …
Aujourd’hui, et tandis que Mme Merkel incarne quasiment à elle seule les valeurs humanistes de l’Europe, force est de constater que les dirigeants européens sont plus préoccupés de monter des murs pour satisfaire leurs opinions respectives, alors que Mme Merkel aurait grand besoin de soutiens européens sur ses positionnements, notamment de ne pas ‘laisser tomber la Grèce’, car des élections dans des länder dans 3 semaines laissent émerger une montée fulgurante de l’AfD dans les sondages, à presque 15%.
Mme Merkel, qui a laissé son Ministre des Finances M. Schäuble imposer sa marque au détriment de la solidarité européenne pour des raisons notamment de politique intérieure, en paye maintenant le prix : celui d’une victoire à la Pyrrhus que certains dirigeants européens comptent bien la voir s’acquitter avec la joie mauvaise de ceux à qui on imposa ou qui y participèrent activement ou passivement, une solidarité européenne dans la crise grecque, contempteurs d’un rapport de force en faveur de l’Allemagne qui tourne aujourd’hui à son désavantage, pensent-ils.
Qui plus est, la chancelière ne peut guère faire appel directement aux citoyens européens, spectateurs d’une Grèce en perdition dont on disait qu’elle ne pesait que 2% du PIB européen et dont on prend conscience maintenant du poids symbolique de la déchéance d’une certaine idée de l’Europe chez bon nombre d’Européens. Qu’un Mélenchon, qui hésitait encore avant l’été 2015 a rejoindre les rangs souverainistes en France le fasse au sortir de l’hiver 2016 en dit long sur le basculement d’une part de la population européenne, sinon dans l’assentiment à l’effondrement de cette Europe là, du moins à consentir à l’indifférence.
Les premières victimes de cette situation sont d’abord les réfugiés, qui vont encore payer un prix lourd, quelles que soient les solutions définies au niveau européen, puisqu’aller maintenant dans un sens qui irait ouvertement au bénéfice des réfugiés impliquerait immédiatement un coût politique que les dirigeants européens se refusent à payer : seule Mme Merkel estime pouvoir le faire, mais pour combien de temps encore ?
On serait tenté de dire que l’autre victime de cette situation est l’Europe, mais celle-ci a de fait déjà été touchée, avant même qu’elle ne vienne se fracasser sur le mur de la réalité des réfugiés. La crise grecque, de laboratoire, est passée au statut de révélatrice de son échec entamé dès 2009, mais dont les causalités sont à rechercher avec l’entrée de la Grèce dans une zone euro qui n’a pas su devenir, aussi, une espace politique. Et paradoxe des paradoxes, Mme Merkel est ainsi intimement liée au sort de M. Tsipras et de son gouvernement et les réfugiés qui s’en viennent chaque jour plus nombreux auront plus fait pour contraindre l’Europe à se transformer, en bien ou en mal, que ses propres citoyens ou ses dynamiques de crise.
Mme Merkel peut bien appeler aujourd’hui à la solidarité européenne, elle se retrouve ainsi, elle aussi, touchée en plein cœur par les effets, politiques, de ses propres politiques. Et quelle que soit l’animosité que certains peuvent avoir envers elle, ils ne peuvent guère s’en réjouir puisque l’Allemagne était sans doute le dernier des grands pays européens à ne pas avoir été touché par la montée de l’extrême-droite.
Il n’est peut-être pas trop tard pour le comprendre : aider Mme Merkel aujourd’hui, c’est certes aider ‘cette Europe là’ que d’aucuns décrient, mais ce serait aussi très certainement la plus grande des leçons que l’on pourrait lui assener sur l’impasse d’une Europe austéritaire, non pas seulement du fait de ses effets économiques, mais surtout de par la fin d’une Europe dans laquelle l’Allemagne avait su refouler ses vieux démons, au bénéfice de tous les Européens.
@Khanard et Pascal Pour moi, Marianne reste un média de gauche ou de centre gauche, heureusement, il n’est pas encore…