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La banque centrale, en fournissant les pièces et les billets aux acteurs économiques, leur fournit un service de paiement. Ce service est fourni gratuitement, ou de manière équivalente est financé sur fonds publics.
Ces dernières dizaines d’années ont vu la création d’un nouveau mode de paiement que l’échange de pièces et de billets: le paiement électronique. Aujourd’hui, la plupart des paiements, y compris par les particuliers, sont électroniques après identification sécurisée. Ce nouveau mode de paiement s’est généralisé parce qu’il est beaucoup plus pratique que l’ancien. Mais il y a deux autres différences majeures.
D’abord, ce service n’est disponible qu’à condition de posséder un compte auprès d’une banque commerciale, c’est-à-dire de prêter de l’argent à celle-ci. Or, et ceci est devenu extrêmement tangible au plus fort de la crise en 2009-2010, prêter implique toujours un risque de contrepartie, c’est-à-dire qu’il y a un risque que la banque fasse faillite et que l’argent que vous aviez déposé sur votre compte ne vous soit jamais rendu. En temps normal ce risque est très faible, mais il est réel en cas de crise bancaire globale. De plus, il y a certaines contraintes liées à la gestion d’un compte courant. Par exemple, vous ne pouvez pas vider votre compte très rapidement : il existe des limites de retrait en cash et des limites de virement vers d’autres comptes.
Ensuite, ce service de paiement n’est plus fourni par l’État, mais par des entreprises privées comme Maestro, Bancontact ou Paypal, souvent détenues par les banques elles-mêmes. Étrangement, ce service est gratuit. Mais si une entreprise fournit un service gratuitement, c’est qu’elle en bénéficie par ailleurs et il y a donc un coût, au moins indirect pour certaines catégories de clients. Par exemple les banques possèdent maintenant des bases données excessivement détaillées sur vous : vos revenus, vos habitudes d’achat, vos déplacements, votre patrimoine. Toutes ces données commencent à être exploitées pour maximiser de manière individualisée les revenus qu’une banque peut extraire de chacun de ses clients. J’ai été récemment associé à un projet de recherche lié aux prêts hypothécaires accordés par une grande banque française sur ce sujet-là. Leur idée était d’exploiter au maximum les informations disponibles sur leurs clients pour déterminer le taux d’intérêt à offrir.
Comment l’État pourrait-il fournir un service de paiement électronique sécurisé aux acteurs économiques ? Tout simplement en ouvrant un compte en banque centrale (la BCE en Europe) pour chacun des citoyens et des associations légalement formées devant notaire, mais pourquoi pas aussi la création de compte pour tout groupe de citoyens qui en ferait la demande. Les services gratuits fournis par la puissance publique liés à ce compte seraient limités à deux : la conversion en pièces et billets (retraits ou dépôts), et le virement électronique vers d’autres comptes en banque centrale. Ce genre de service est complètement standard à l’heure actuelle et ne coûteraient pas plus de quelques dizaines de millions d’euros à mettre en place pour la zone euro.
Quels seraient les avantages d’une telle modification du rôle de la banque centrale? On peut en lister plusieurs.
- Restaurer le service de paiement comme un véritable service public, c’est-à-dire pouvoir en bénéficier sans devenir client d’une entreprise commerciale dont la finalité est lucrative.
- Pouvoir bénéficier de moyens de paiement électronique sans risque de contrepartie.
- Pouvoir bénéficier de moyens de paiement électronique sans fournir des informations détaillées sur ses comportements (achats, déplacements, etc.) à une entreprise commerciale.
- En cas de crise bancaire, on pourrait probablement laisser tomber en faillite les banques qui rencontrent des problèmes, puisque la décision de prêter de l’argent à une banque serait toujours et très clairement un choix de l’acteur économique (particulier ou entreprise) de prendre ce risque. Ceci contribuerait à une solution de la question du ‘too big to fail’.
- Cela mettrait fin au traitement spécifique des banques commerciales en ce qui concerne la monnaie : elles seules peuvent avoir un compte en monnaie centrale. Porsche a par exemple créé une banque filiale du groupe pour bénéficier d’un guichet direct à la BCE.
- Les banques, si elles veulent attirer les dépôts, seraient donc obligées soit de rétribuer de manière non-négligeable les dépôts, soit d’offrir de véritables services associés. Ceci forcerait probablement les banques à redevenir de véritables intermédiaires de crédit, leur cœur de métier (dont elles se sont notoirement écartées).
- Permettre à la banque centrale, si elle le désire, de lutter contre la déflation de manière immédiate, équitable, fine et sans risque de créer des bulles spéculatives sur les actifs, en créditant les comptes de chaque citoyen d’un montant donné (ou contre l’inflation en réduisant les montants de tous les comptes enregistrés en banque centrale d’un pourcentage donné). Ceci rejoint un débat récent sur l’injection directe de liquidités aux particuliers (« helicopter money »).
Ma motivation principale dans cette proposition est simplement que c’est à la puissance publique de fournir les services de paiement, ce qui n’est en pratique plus le cas aujourd’hui. Les autres avantages que j’y vois sont secondaires.
Je conçois également bien qu’il n’y a pas de consensus politique pour une telle modification à l’heure actuelle, et que la transition vers un tel système serait combattue violemment par le secteur bancaire.
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