Billet invité. Comme François Fièvre écrit ci-dessous : « … des médias qui pour l’instant ne voient pas d’autre manière de vendre du papier ou du temps d’attention que de le présenter comme un ami de Poutine […] ce qui ne correspond bien évidemment pas à la réalité », j’ai ajouté au bas de son billet la vidéo d’un échange qui a eu lieu samedi dernier lors de l’émission « On n’est pas couché » sur France 2, afin que chacun puisse se faire une opinion, ainsi que [ajout le 23/2/16] la vidéo d’une autre séquence de la même émission. Ouvert aux commentaires.
Je tente de répondre à une demande de Paul Jorion qui m’encourageait à rédiger sous forme de billet un mail que je lui adressais en janvier pour donner mon point de vue sur une potentielle candidature de Piketty, et aussi « sur la nécessité pour la gauche de s’organiser sur le plan international plutôt que national ». Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts, Mélenchon a présenté sa candidature, et Paul Jorion a dit ce qu’il en pensait, à savoir qu’il ne pensait pas que Mélenchon puisse gagner, et donc que la candidature de Piketty lui semblait d’autant plus pertinente et indispensable. Je vais dire pourquoi je ne suis pas d’accord avec ça. En essayant d’être bref, et donc en laissant de côté les arguments primaire/pas de primaire, ou ceux permettant de définir les bons ou les mauvais profils de présidentiables. Et en défendant la pertinence de la candidature de Mélenchon.
Pertinence de la candidature de Mélenchon
Pourquoi est-ce que ce n’est pas une si mauvaise idée que ça ? 1/ parce que le candidat n’est pas si mauvais que ça, côté expérience comme côté idées politiques et volonté de démocratisation de la vie politique (la VIe République, etc.), 2/ parce que le Parti de gauche (PG) est malgré tous ses défauts le seul parti politique qui, en France, essaye de fédérer les efforts au niveau européen contre la politique austéritaire européenne, avec son initiative (avec Podemos, Die Linke, etc.) du Plan B. Dans le rang des partis de gauche à forte résonance européenne, il y a certes aussi EELV, mais qui en ce moment connaît de sérieuses difficultés, au point qu’il essaye davantage de sauver les meubles en priant pour que Duflot ou Hulot vienne les représenter en 2017, que de mener des efforts au niveau européen pour lutter contre le déluge néolibéral (et par ailleurs, avec Cohn-Bendit, EELV a je crois plus un handicap qu’un atout, mais bon, c’est mon opinion). 3/ parce que sa candidature est là, alors que celle de Piketty n’est pas même énoncée comme possible, bloquée dans le processus d’une primaire qui risque fort de s’embourber dans « le débat sur la possibilité d’un débat », et de terminer soit comme un ballon qui fait pschitt, soit comme une mauvaise manière de légitimer un candidat Hollande déjà promis à la défaite.
Qu’on se comprenne bien : la candidature de Mélenchon ne me semble pas la meilleure option possible, mais, pour paraphraser (et contredire) Piketty dans son billet du 13 janvier à propos de la primaire, comme « la moins mauvaise solution », en tout cas largement moins pire que celle d’une primaire qui se contenterait d’aller dans le pire des cas du PS au PS, et dans le meilleur des cas du PS au PCF en passant par EELV et Nouvelle Donne (parce que je ne crois pas à une participation d’Ensemble, ni même a fortiori du NPA, dans une primaire qui inclurait le PS). Pourquoi Mélenchon est-il une moins mauvaise solution que la primaire ?
Mélenchon ou la primaire ?
D’abord parce que s’il s’agit par la primaire de faire descendre Hollande de son piédestal, et de l’obliger à « entrer dans le débat », on ajoute la candeur à la gesticulation. Le temps qu’on passe à réunir les conditions pour que Hollande descende de ses hauteurs est du temps perdu, car le débat est déjà là, dans la réalité des faits politiques : état d’urgence, déchéance de nationalité et projet El Khomry de destruction du code de travail sont les trois coups de marteau qui ont achevé de détruire le « socialiste » de « parti socialiste », et qui ont fini de le classer définitivement comme un parti de droite. Partant de là, le PS, ou du moins pour être juste son aile socio-démocrate (Gérard Filoche, bon sang, qu’est-ce que tu fais encore au PS ?), n’a plus aucune légitimité à entrer dans une primaire de la gauche, et s’il le fait, les primaires deviendront celles du PS et des copains du PS, mais certainement pas celles de « la gauche ».
Ensuite parce que malgré tous ses défauts (irascibilité, caractère clivant, etc.), Mélenchon est l’un des seuls présidentiables (avec Taubira, mais qui malheureusement a décliné l’idée de se présenter…) à avoir à la fois le charisme, la dureté de peau et la clarté de vision qui permettraient de clairement faire changer de cap à la France. Il est également l’un des seuls à avoir un point de vue construit à la fois sur l’économie, sur l’environnement, et sur les réalités sociales et géostratégiques de la France. On peut ne pas être d’accord sur tel ou tel point de sa vision (son anti-atlantisme par exemple, ou ses positions pro-euthanasie), mais elle est claire. Et complexe, ce qui fait qu’elle a du mal à passer dans des médias qui pour l’instant ne voient pas d’autre manière de vendre du papier ou du temps d’attention que de le présenter comme un ami de Poutine et de Kim-Jong-Il, ce qui ne correspond bien évidemment pas à la réalité.
Enfin, la perspective d’une candidature de Piketty à côté des candidatures de Mélenchon et de Hollande est celle d’une défaite assurée, par simple éparpillement des voix au premier tour qui empêchera la gauche d’être au second tour. Sans compter bien sûr le fait qu’il y aura très certainement une candidature du PCF, voire d’EELV et du NPA, pour contribuer à diviser l’électorat. En clair : maintenant que Mélenchon a proposé sa candidature, il n’existe qu’une seule solution d’éventuellement arriver à passer au second tour devant les socio-démocrates (au mieux Hollande – argh ! –, au pire Valls ou Macron) : lui apporter son soutien, sans quoi les voix s’éparpilleront nécessairement, et on risque bien d’avoir droit à un second tour Les Républicains / Front national.
Piketty en appui de Mélenchon ?
Donc, oui, en fait, je conseillerais plutôt à Piketty de rejoindre Mélenchon plutôt que de s’entêter dans un processus de primaire qui a déjà été torpillé, et risque très fort de finir en eau de boudin. C’est un peu bizarre comme conseil, n’est-ce pas ? Mais cela s’appuie sur deux arguments principaux.
1/ Si Piketty rejoint Mélenchon, il pourra servir, aussi bien du point de vue de l’opinion publique que du point de vue des médias qui forment cette opinion publique, de caution de modération à sa candidature. Vu que Mélenchon passe pour un rouge (ce qu’il est, certes, mais pas le couteau entre les dents, contrairement à ce que sa caricature pourrait laisser croire), si Piketty le rejoint, je crois pouvoir prédire que tout d’un coup, coup de théâtre médiatique, l’actuel déluge d’inepties imbéciles et de raccourcis malheureux qui pleut sur le candidat Mélenchon risque bien de s’inverser en éloge de quelqu’un qui, quand même, malgré tout, en fin de compte, sait rassembler, jusqu’à avoir dans ses rangs un économiste super-fort dont le bouquin est un best-seller aux States. L’espoir fait vivre, dit-on… mais les retournements médiatiques peuvent être plus prompts qu’on ne le croit, et il reste encore un an pour ça.
2/ Du point de vue statistique, je pense qu’il y a plus de chances d’une victoire de Mélenchon avec Piketty que d’une victoire de Mélenchon d’un côté ou de Piketty de son côté. On pourrait bien évidemment dire : dans ce cas, pourquoi ne pas prôner un soutien de Piketty à Hollande ? Pour la raison que Hollande ne peut espérer une victoire que dans le cas d’un second tour en face du FN, ce qui rend celle-ci hautement anxiogène d’une part, hautement improbable d’autre part : avant le second tour, il y a le premier, et les trois-quarts de l’électorat de gauche ne font plus confiance à un Hollande qui a fait les preuves du fait qu’il ne respecte pas ses promesses de campagne.
Politique-fiction européenne
Maintenant, un peu de politique-fiction. Supposons que Varoufakis n’ait, au cours du premier semestre 2015, pas eu en face de lui Michel Sapin lors des réunions avec l’Eurogroupe, mais Thomas Piketty. Et que derrière Thomas Piketty, à l’Élysée, il n’y ait pas eu Hollande mais Mélenchon, dont la ligne politique aurait été claire : faire en sorte de mettre en défaut Schaüble sur le dossier du sauvetage de la Grèce, et de faire gagner la négociation à Tsipras. Le sort de cette dernière aurait-il pu être différent ? Piketty, avec sa modération et son expertise économique, aurait-il pu arriver à faire passer la pilule d’un retournement des rapports de forces ? On ne peut certainement pas le prédire, mais il est sûr que cette option aurait sans doute été plus propice à la victoire de Tsipras qu’à la capitulation en rase campagne qu’a connue la Grèce en juillet 2015. Et si une crise comparable à celle de la Grèce advenait, mettons par exemple au Portugal en 2018, et que Piketty soit alors ministre des Finances désigné par Mélenchon président, les négociations pourraient sans doute tourner autrement.
Un autre enseignement de la défaite de Tsipras est qu’il ne faut jamais, contrairement à ce que ce dernier a fait, partir au front des négociations européennes avec en poche un seul plan, que ce soit celui de rester dans l’euro ou celui d’en sortir. C’est d’ailleurs tout le sens de ce qui s’est dit, il me semble, lors du sommet du plan B : construire des stratégies à l’échelle européenne, ce que peinent à faire les autres partis de gauche français, passe par le fait d’envisager tous les possibles, de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier, et de n’avoir pour principe premier, fondamental et non-négociable que celui du respect de la démocratie populaire. Varoufakis essaye de développer cette idée de son côté avec DiEM25, mais le plan B, du moins dans un premier temps, ne me semble pas incompatible avec cette initiative, dans la mesure où une coalition européenne de partis politiques nationaux ne travaille pas nécessairement sur le même plan qu’un parti européen, et que les deux de ce fait ne se feront pas nécessairement de l’ombre. Corinne Morel-Darleux, du PG, était d’ailleurs à la réunion de lancement de DiEM25, au même titre que Julien Bayo d’EELV, preuve s’il en est de la volonté de dialogue de l’équipe Mélenchon avec le reste de ce qui se fait en matière de gauche anti-austéritaire en Europe. Loin, encore une fois, des préjugés qui feraient de Mélenchon un simple nostalgique nationaliste de la IIIe République, alors que c’est un internationaliste, et qu’il ne conçoit la lutte à l’échelon national (et donc l’élection présidentielle) que comme une étape, difficile mais malheureusement absolument indispensable (la souveraineté, tout ça), d’une lutte à mener évidemment à un niveau plus international.
Donc oui, Paul Jorion, au risque de vous déplaire, je ne crois pas que Mélenchon soit incapable de gagner. Ou plutôt, je ne pense pas, comme vous en effet, qu’il puisse gagner, à moins que bien des gens, dont Piketty, ne le rejoignent. Il est parti seul, certes, le premier jour, mais depuis plus de 43 000 anonymes, ou moins anonymes, lui ont apporté leur soutien. Il se présente sans étendard, au titre de la société civile, et en cela essaye courageusement de sortir, à 64 ans, du mécanisme partidaire qui rend impossible le dialogue entre les différentes formations politiques, qui pour la plupart essayent de sauver les meubles (et c’est bien compréhensible, même si suicidaire à moyen terme) plutôt que d’avoir une discussion de fond et une stratégie de conquête claire. Cela peut être un effort vain, ou non, l’avenir nous le dira. Mais si l’on veut que cet effort ne soit pas vain, à mon avis, la meilleure solution n’est pas de présenter une énième candidature, fusse-t-elle faite de la meilleure volonté du monde, et par un brillant enseignant-chercheur, en face de la sienne. Et si l’on veut faire perdre Mélenchon, en effet une candidature de Piketty, mais aussi de Laurent et de Duflot, etc., est une bonne idée. Mais une candidature de Piketty est peut-être aussi dans ce cas le meilleur moyen aussi de faire perdre Piketty.
P. J. : Le titre de la vidéo n’est pas de moi, et je n’ai pas l’option de le modifier.
23/2/16 Il m’est demandé de mettre le lien vers la vidéo d’une autre séquence de la même émission, ce que je fais volontiers :
« Syrie : il faut une coalition universelle » – L'extrait tron…
« Syrie : il faut une coalition universelle » – L'extrait tronqué par France TélévisionHier, France Télévision a diffusé un extrait de l'émission « On n'est pas couché » et a titré : « Mélenchon félicite Poutine pour ce que fait la Russie en Syrie ». Étrangement, toute la fin de la séquence n'a pas été diffusée en même temps comme chacun peut le constater en suivant ce lien : http://bit.ly/1Q66kxl. C'est pourtant dans ces 4 minutes « manquantes » que Jean-Luc Mélenchon détaille son point de vue sur la situation et explique quels sont les intérêts de la France : l'éradication de Daech, le retour rapide de la paix et une coalition universelle sous l'égide de l'ONU. Pourquoi n'avoir pas mis la séquence en entier si ce n'est pour faire du buzz avec un titre accrocheur, qui a ensuite été largement repris par d'autres médias ? N'hésitez pas à partager cet extrait pour dénoncer ces méthodes !âž¡ï¸ http://www.jlm2017.fr
Posté par Jean-Luc Mélenchon sur lundi 22 février 2016
Laisser un commentaire