LA CRISE DES RÉFUGIÉS N’EST PLUS À UN DÉSASTRE PRÈS, par François Leclerc

Billet invité.

Signant d’une main un accord visant à instaurer un cessez-le-feu en Syrie, et de l’autre écrasant sous des tapis de bombes le nord de la Syrie, les autorités russes jouent encore une fois à un jeu de dupes. Ils instrumentalisent une crise des réfugiés devenue partie prenante de leur stratégie.

Sur le terrain, les forces kurdes du parti de l’union démocratique (PYD) profitent du recul des forces syriennes rebelles pour élargir leur zone d’influence, ravivant la crainte turque de la création à terme d’un État kurde à leur frontière sud. Elles sont contrées par des tirs d’artillerie turcs tandis que des forces saoudiennes prennent position sur des aérodromes turcs, alimentant des rumeurs d’intervention terrestre turco-saoudienne. Ce qui conduit le gouvernement iranien à mettre vivement en garde contre toute intervention en Syrie. Samedi, à la conférence de Munich, le premier ministre russe Dmitri Medvedev a usé du chantage en agitant le spectre d’une « nouvelle guerre froide » dans laquelle le monde serait déjà entré.

Dans ce pays ravagé, il faut encore s’attendre non pas à un cessez-le-feu mais à un rebondissement de la guerre, réduisant à néant la tentative russo-américaine à laquelle personne n’accorde de crédit en sous-main, les autorités russes ayant montré en matière de duplicité en Ukraine leur savoir-faire. Aucun signe d’accalmie n’intervient d’ailleurs.

Près de 100.000 réfugiés ont fui la ville d’Alep en passe d’être encerclée et sont massés aux confins de la frontière avec la Turquie, selon le vice-Premier ministre turc Yalçin AkdoÄŸan. Dix gigantesques camps de toile ont été montés dans l’urgence, dans le but transparent d’amorcer la création d’une « zone de sécurité » et de non survol jusque-là préconisée en pure perte. Mais il est fort peu probable qu’elle puisse être instaurée : l’armée russe s’est assurée de la maitrise du ciel dans la région en déployant des batteries de missiles sol-air, et la guerre au sol se rapproche prenant cette zone en tenaille.

Que va-t-il rester de la politique d’ouverture aux réfugiés initiée par Angela Merkel aux lendemains du prochain sommet européen des 18 et 19 février ? Manuel Valls, le premier ministre français, a enterré son projet de mécanisme permanent de relocalisation des réfugiés en précisant devant la presse allemande – délicate attention – que la France n’accueillerait pas plus que les 30.000 auxquels elle s’est déjà engagée.

Ce qui n’était pas pensable à propos de la politique économique l’est donc quand il s’agit des réfugiés : il est possible pour le gouvernement français de s’opposer à la politique de l’Allemagne ! Pour faire bonne mesure, le premier ministre n’a pas craint d’ajouter : « je ne pense pas qu’il y ait aujourd’hui de majorité en Europe pour imposer un mécanisme permanent de relocalisation. Les solutions sont au Levant, en Turquie, en Jordanie, en Méditerranée. Mais il faut un message très clair qui dise : maintenant nous n’accueillons plus de réfugiés. Sinon, nous serons amenés à rétablir les frontières intérieures ».

Lâchée par les autorités françaises, la chancelière est défiée par la Hongrie, la Pologne, la République tchèque et la Slovaquie, les membres du groupe de Visegrád qui ne veulent pas accueillir de réfugiés. Alliés du gouvernement allemand, les autorités autrichiennes prévoient de fermer leur frontière quand un plafond pour l’année de 37.500 réfugiés accueillis aura été atteint. Dans l’immédiat, un quota quotidien de 1.000 réfugiés sera seulement autorisé à traverser sa frontière. Les autorités croate, serbe et macédonienne – en amont sur la Route des Balkans – en ont été averties afin qu’elles puissent procéder de même. L’étau se resserre avant la fermeture.

Contrainte au repli, la chancelière tente de maintenir sa politique tout en réduisant ses ambitions. Elle a indiqué qu’un groupe de pays « volontaires », dont elle n’a pas précisé la liste, pourrait accepter de se répartir plus de réfugiés que déjà décidé, en échange d’une lutte accrue contre les passeurs menée par les autorités turques afin de contenir l’exode (c’est ainsi qu’est présenté le blocus des côtes turques). Ces pays devraient se réunir en marge du sommet des 18 et 19 février, mais combien seront-ils et que pourront-ils faire à eux seuls ?

Afin de mettre ses actes en accord avec ses paroles, Angela Merkel a obtenu qu’une flotte sous contrôle de l’OTAN patrouille en mer Égée. La ministre allemande de la Défense, Ursula von der Leyen, a éclairé sa mission effective en évoquant « un accord solide avec la Turquie selon lequel les réfugiés vont être renvoyés en Turquie, quelles que soient les circonstances ». On est loin de l’assistance aux naufragés.

À terme rapproché, deux lignes de défense – pour reprendre l’expression désormais consacrée – devront successivement être franchies par les réfugiés, à condition qu’elles ne soient pas rendues presque hermétiques. Car se contenter de réduire le flux des réfugiés suppose que des capacités d’accueil soient dégagées en Europe, les autorités allemandes n’ayant comme alternative que d’accepter les nouveaux venus dans leur quasi-totalité. Angela Merkel est mal partie.

La Grèce et la Turquie sont de fait désignées pour être la destination finale des réfugiés dont l’Europe ne veut pas. La première devra recevoir ceux qui continueront à poser le pied sur son sol lorsque la Route des Balkans sera totalement fermée, ainsi que ceux qui seront refoulés des pays européens où ils sont déjà parvenus. Des « hot spots » ayant une capacité d’accueil de 1.000 places sont en cours d’installation dans cinq îles grecques, avec comme mission d’effectuer le tri des réfugiés entre bénéficiaires du droit d’asile et refoulés. Le concrétiser sera dans les deux cas tout un problème.

La Turquie, où deux millions et demi de réfugiés sont déjà présents, devra se résoudre à ouvrir ses frontières pour accueillir ceux qui ont fui la bataille d’Alep, ne pouvant mettre à exécution les menaces de son président de les « renvoyer ailleurs » (où et comment ?) ainsi que tous ceux qui vont les rejoindre par la suite.

Aucune barrière ne résiste à un tel exode. La situation est loin d’être stabilisée, la crise des réfugiés s’enfonce dans le désastre.

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