Billet invité.
La situation présente
Certains clament qu’une primaire est l’alpha et l’oméga du renouveau politique si nécessaire, quand d’autres crient ‘piège à cons !’. On s’arrache les noms de potentiels postulants, déclarés ou non : moins ceux-ci sont déclarés et plus on se les arrache, hormis ‘celui dont on doit taire le nom’.
L’essentiel reste cependant de savoir quelle étiquette accoler. À droite, l’étiquette est apposée depuis longtemps comme une boutique qui aurait déjà installé son enseigne avec une petite affiche ‘ouverture de la boucherie prochainement’, quant à gauche, on ouvre et on ferme l’éventail des possibilités selon ses positionnements, invoquant qui, là, des impossibilités protocolaires, qui, ici, des tenants mais des aboutissants incompatibles.
Dans le même temps, on déplace des virgules et on ajoute et retranche des mots, puis on retranche et on ajoute des votes sur une mesure que tout le monde s’accorde à trouver inutile car improductive mais qu’aucun n’est prêt véritablement à lâcher parce que déclarée symbolique, le symbole d’un jeu politique comme d’un chat jouant avec un papillon à l’aile arrachée.
Il ressort de tout cela une étrange et diffuse impression qu’un vaste congrès formaliste se tient en France, produisant ainsi jour après jour des tombereaux de productions esthétiques aux formes diverses et variées, le plus souvent incongrues, avec des ‘oh’, des ‘ah’ et des ‘jamais !’, quand un nombre croissant de citoyens s’endort dans les rêves frontistes, en attendant de se réveiller en plein cauchemar.
De quoi rêvent, justement, ces citoyens ?
Certainement pas de primaires, ni de déchéance ou d’état d’urgence. Si on les dit fortement ‘pour’ des primaires et ‘pour’ la prolongation de l’état d’urgence, ce serait très certainement ‘pour’ éviter dans un cas que l’ennui ne succède au spectacle des jeux français de la politique et dans l’autre, que la peur, imposée, instaurée, instillée, ne revienne en pleine lumière leur sauter au visage.
Il n’y a plus de rêve disponible pour tous depuis que les vagues scélérates de la crise financière, d’abord, puis économique et sociale ensuite, sont venues percuter nos sociétés devenues fragiles par la disparition du meilleur ennemi communiste, avant que de devoir subir la vague qui semble sans fin des réfugiés moyen-orientaux que l’on avait oubliés derrière les digues du Liban et de la Turquie, pour recevoir la troisième et dernière vague, la plus scélérate, celle du ressentiment politique qui s’exprime si extrêmement en Europe et qui est, de ce qu’en disent les primairiens, la cause même de tout ce regain de formalisme (because ‘le second tour’).
On oublie ainsi que ce ne sont pas tant des formes que les citoyens désespèrent, quand une même institution comme la Commission Européenne est capable de défendre seule contre les nations européennes la lutte contre la fraude fiscale et les paradis du même registre, tout en défendant des politiques économiques et sociales absconses, quand une même institution politique décisionnelle peut prendre deux décisions radicalement opposées face à un même acte terroriste issu de ses mêmes propres rangs, entre un Président de la République français faisant de la déchéance de la nationalité un symbole, quand le Premier Ministre norvégien déclare un surcroît de démocratie. Comme quoi, il semblerait que la définition de l’intérêt général ne soit pas si univoque que cela, en tout cas pas unidirectionnelle, tant du moins qu’on essaye d’en donner une définition. On pourra bien appeler à créer une constituante et à instaurer une VIème République que l’on n’aura pas même commencé à répondre au vide existentiel des Français et à la nécessité de redéfinir cette notion d’intérêt général autrement que par sa forme.
Ce dont rêvent les Français, c’est de retrouver une société qu’ils définissent comme ayant été pacifiée, celle que l’on a bien mal dénommée des ’30 glorieuses’, qui s’est elle aussi fracassée sur les vagues scélérates de la fin de l’ordre monétaire, des chocs pétroliers et de la libéralisation financière des années 80.
Ce n’est rien de dire que ce rêve est frelaté, en ce qu’il comporte, seulement par exemple, de destructions de l’environnement que nous commençons seulement à payer aujourd’hui. Pour autant, si les Français en sont bien conscients, ils gardent toujours cet espoir en eux-mêmes, comme un rêve secret, celui d’une société à nouveau pacifiée. Or, il faut bien se l’avouer, les seuls à encore produire de l’espoir, même frelaté, sont ceux-là même qui ne font rien tant qu’envahir comme des féroces soldats nos champs politiques jusque là fort bien tenus : l’espoir de revenir à une situation ex-ante, celle, quand la France était grande, d’avant l’immigration massive du travail pour se retrouver entre nous, celle de la prospérité et encore du franc, déjà avec l’Europe mais pas encore de l’Acte Unique et de Schengen, celle d’un chômage famélique et, malgré les guerres extérieures que l’on a longtemps dénommées opérations même sur des départements jusqu’alors français, une société en paix. Et comme pour le temps du rêve aborigène, il nous suffirait alors d’en retrouver les traces pour comprendre le sens de notre monde d’aujourd’hui et revivifier notre spiritualité (en français : identité nationale).
On pourra toujours gloser et ricaner sur ce rêve fou et impossible, ce retour en arrière, à cette France d’avant celle-là, on pourra toujours dire que c’est un cauchemar éveillé qu’on aura tout dit et rien dit non plus, tant le désir d’espoir leur sera supérieur, puisque le désir n’impose même pas de croire en l’espoir.
Car accepter d’être en ce monde, c’est accepter un monde de guerres, un monde sans rêve d’une vie pacifique, sans espoir de paix.
Une guerre monétaire, depuis la fin des accords de Bretton Woods avec la fin de la parité dollar-or unilatéralement déclarée par Nixon en 1971, une guerre qui n’a jamais cessé et qui a conduit par exemple en Europe à créer l’euro comme réponse à ce problème.
Une guerre économique, qui a été instituée comme un ordre naturel et inscrit progressivement dans les fondations de l’Europe et des nations comme legs des temps de la prospérité, ne laissant plus que la guerre quand la prospérité disparaît.
Une guerre fiscale, construite sur l’opacité, détruisant les rouages de la redistribution étatique et une guerre financière, structurée autour de la spéculation qui accapare des portions croissantes de la création de richesses au bénéfice exclusif de quelques uns.
Une guerre sociale, des forts aux faibles, qu’un système de protection collectif affaibli par la disparition du travail sur lequel il est fondé, lequel travail est mis en concurrence pour orienter son prix vers le prix de la survie ou sapé par une robotisation croissante.
Une guerre à l’environnement, par sa surexploitation, nécessitée par l’intérêt versé au capital et qui impose une croissance dévastatrice, une guerre qui se transforme en guerre de l’environnement avec le réchauffement climatique notamment.
La guerre politique, générant abstention et votes extrêmes, qui exclut les citoyens des espaces politiques de décision et la guerre des religions, qui exclut les uns et les autres d’un espace pacifié, religieux ou non.
La guerre tout court et sous toutes ses formes violentes, terme que l’on fait résonner, ad nauseam, comme les trompettes de Jéricho, une conséquence des multiples guerres déjà nommées et qui viennent frapper un continent européen lui-même en guerre intérieure.
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Comment dès lors être surpris qu’un nombre croissant de Français, quoiqu’on en dise et quoi qu’ils en pensent eux-mêmes, s’en viennent à trouver un espoir et à se construire un rêve d’une société pacifiée, y compris contre l’Autre et à ce prix, dans la logorrhée du Front National ?
Comment aussi être surpris que certains parmi nos jeunes en viennent à assassiner et se tuer au nom d’une religion qu’il ne connaissent souvent qu’à peine mais qui leur promet véritablement l’aboutissement, pour eux comme pour le monde, de la guerre partout et tout le temps, comme une preuve de leur véritable insertion, de leur présence au plus haut niveau dans cette réalité violente, une présence qui leur est parfois déniée ?
Tant que les acteurs politiques en resteront à des niveaux de représentation formelle, tant que l’on n’abordera pas la question centrale de la pacification de nos sociétés, des solutions à opposer aux situations de guerre(s) en lieu et place aux propositions qui ne nous parlent que de la forme que pourrait prendre une telle paix plutôt que de son effectivité, on continuera donc à se chamailler sur des symboles dérisoires et méprisables et à entretenir le feu sacré des joutes interminables sur les meilleures formes politiques possibles et définies comme nécessaires à la refondation démocratique.
Il y a là de nombreux enseignements sans doute à extraire mais le principal d’entre eux est de ne pas perdre de vue la nécessité de redonner espoir aux citoyens, en leur proposant un rêve à suivre d’une société en paix, pour eux-mêmes comme pour leurs petits-enfants, et de la nécessaire redéfinition de ce qu’est l’intérêt général, ici et maintenant.
La paix, ce n’est pas Le Grand Sommeil.
Ce n’est pas non plus qu’une forme évanescente.
» Voyou » …?…plutôt..!