La déconstruction de l’Europe ne semble pas pouvoir être freinée, par François Leclerc

Billet invité.

Pas à pas, la déconstruction de l’Europe s’engage dans un processus qui ne semble pas pouvoir être freiné, cristallisée dans l’immédiat par la mort clinique de Schengen et la menace que représente le referendum britannique, tandis que la crise politique s’approfondit ou apparait dans de nouveaux pays. Immanquablement, tout se combine et accroît la confusion.

Au Portugal, le gouvernement socialiste a entrepris sa première négociation avec la Commission, qui a haussé le ton à propos du projet de budget 2016. Un compromis peut-il être trouvé, qui éviterait le lancement d’une procédure de déficit excessif par Bruxelles  ? La Commission peut-elle faire preuve d’un peu de souplesse avec un gouvernement soutenu par les communistes et l’extrême-gauche, qui n’est pas clairement sa tasse de thé, alors qu’elle appréhende la venue en Espagne d’un gouvernement avec Podemos dans le dispositif ? Afin de l’en convaincre, le premier ministre portugais aurait selon des rumeurs menacé de bloquer l’accord avec les Britanniques  ! Aujourd’hui, il rencontre Angela Merkel, avant la réunion de l’Eurogroupe de demain qui éclairera peut-être le paysage.

Le commissaire Pierre Moscovici met la pédale douce, ce qui dans le jargon communautaire se traduit par « il reste encore du travail à faire », tout en évoquant un accord « dans les prochaines heures », précisant « ce que nous voulons les uns et les autres, c’est que les règles soient respectées par le gouvernement portugais », entendre par cela les apparences.

En exerçant un petit chantage, Antonio Costa n’aurait fait en cela que suivre les traces de Matteo Renzi, qui s’est essayé à un exercice du même style sur un autre terrain en bloquant le versement des trois milliards d’euros promis au gouvernement turc. C’est depuis débloqué ! la Commission semble avoir été sensible à l’argument, proposant au président du conseil qui réclame davantage de « flexibilité » dans l’application du pacte budgétaire d’afficher un effort budgétaire cette année, en compensation d’un peu de mou accordé en 2017, année électorale.

Grossière ficelle ! on croit revivre la période précédent les élections espagnoles, cette même politique destinée à favoriser Mariano Rajoy ayant eu les effets que l’on sait. Mais, dans l’immédiat, ce qui est proposé n’est toujours pas considéré comme suffisant par Matteo Renzi, qui refuse de modifier son budget 2016. Le désaccord porte sur le calcul des dépenses occasionnées par l’accueil des réfugiés, dont le montant est exclu du déficit budgétaire.

En attendant, l’Italie est également en danger de se voir notifier une procédure pour déficit excessif. Mais la Commission va se donner du temps et ne statuera qu’en mai. « Il faut un peu de sérénité, de travail, de patience, d’écoute mutuelle, d’esprit de dialogue », a fait valoir un Pierre Moscovici au charbon.

En Espagne, où le roi a confié au PSOE la responsabilité de constituer un gouvernement au second tour de ses consultations, la situation ne se clarifie pas pour autant. Pedro Sanchez, son secrétaire général, s’est donné un mois pour tenter d’y parvenir. Toutes les configurations et les calculs possibles sont évoqués dans la presse, donnant le tournis, mais l’hypothèse qu’il ne réussira pas est la plus probable.

Mariano Rajoy pourrait ensuite tenter sa chance en se posant comme ultime recours, mais le succès de la manœuvre est douteux. Il ne restera alors plus aux Espagnols qu’à voter à nouveau, en juin prochain. Gare à ceux qui en porteront la responsabilité  ! Les sondages prédisent actuellement un affaiblissement du PSOE et de Ciudadanos, ainsi que la montée de Podemos et du Partido popular, ce qui ne créerait pas nécessairement des conditions plus favorables à la constitution d’un gouvernement de coalition.

Où en est la Commission vis à vis de l’Espagne  ? Elle avertit des « risques pour les projections économiques [qui] découlent principalement de l’incertitude entourant la formation d’un nouveau gouvernement », Pierre Moscovici insistant sur le fait que « nous ne portons pas de jugement, nous n’avons pas de préférence ». Seulement quelques grosses inquiétudes…

Confronté à une troisième grève générale, et décidé à défendre son plan de réforme des retraites afin de sauver les plus petites, Alexis Tsipras ne dispose plus que d’une très faible majorité parlementaire qui pourrait ne pas résister à la nouvelle épreuve de force en cours avec le Quartet. Cela incite à s’interroger sur l’accord qu’il aurait pu passer avec Angela Merkel, afin d’échanger l’adoption de sa bonne conduite à propos des réfugiés contre un peu de mansuétude. Cela l’amène aussi à rechercher en interne des points d’appui auprès du Pasok, dont la nouvelle présidente Fofi Gennimata a pris quelques distances avec l’idée d’une nouvelle coalition avec Nouvelle Démocratie, ainsi qu’auprès du Dimar, un petit parti de centre-gauche qui en avait démissionné. Le gouvernement monocolor Syriza serait-il en question  ?

Vient enfin s’ajouter la situation irlandaise. Suite à la dissolution du Parlement par Enda Kenny, le premier ministre, des élections auront lieu le 26 octobre. Constatant son érosion dans l’électorat, il veut prendre les devants. Selon les sondages, la reconduction de l’actuelle coalition entre le Fine Gael de centre-droit et les travaillistes du centre-gauche ne serait pas acquise, tandis qu’une collation alternative Fine Gael / Fianna Fáil est tout sauf évidente. Beaucoup a été dit sur le miracle irlandais retrouvé, pour ne pas parler de l’espagnol, mais un jeune sur cinq en Irlande est toujours au chômage, pour donner un exemple significatif de son rétablissement très inégal. Les pays à qui le traitement de la Troïka a été administré ne s’en relèvent pas si facilement. L’Irlande devrait rejoindre le club des pays à la recherche d’une solution gouvernementale.

Qu’elles soient financière, économique, sociale, ces crises n’en finissent pas, faute d’issues qui n’apparaissent pas, fissurant le front politique. Les autorités européennes peuvent-elles encore se payer le luxe de leur intransigeance d’avant  ? S’il l’on ne peut attendre d’elles la formulation d’une politique alternative, les temps ont changé. Débordées, elles doivent concéder ce qui ne pouvait l’être hier, à condition que les apparences soient sauves et que ce soit a minima, car la Commission reste sous surveillance. Souhaitant éviter la répétition d’une crise aiguë, pourra-t-elle l’éviter, quand tout s’y met et se conjugue ? Il est moins une.

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