Billet invité. Ouvert aux commentaires.
Il m’est venu à l’esprit de rédiger cette note suite au billet “Que faire ? (I) : L’emploi” par Michel Leis. Dans ce texte, l’auteur oppose une meilleure répartition du temps de travail comme une alternative à l’allocation universelle. J’aimerais ici montrer que les liens entre l’allocation universelle et la répartition du temps de travail sont très différents de ce que Michel Leis suggère.
Une des raisons principales d’instaurer une allocation universelle est précisément une meilleure répartition du temps de travail au sein de la population. La justification de cette affirmation peut être faite à partir d’un simple graphique.
En abscisse le revenu brut, et en ordonnée le revenu net. Les chiffres sont purement fictifs, ceci n’est pas une analyse d’un système de taxation donné, ni une proposition précise d’allocation universelle. Seules l’allure générale des courbes a du sens. Les chiffres sont là à titre purement exemplatif. Par exemple, je suppose ici que l’allocation universelle est plus faible que l’allocation de chômage ou revenu d’intégration, ce qui est clairement matière à débat. Le graphique peut aussi se lire comme le revenu en fonction du temps de travail. Pour quelqu’un gagnant moins, il suffit de tronquer le graphique au salaire temps plein.
Dans le système actuel (courbe bleue), si vous ne travaillez pas, vous percevez une allocation de chômage ou un revenu d’intégration. Dès que vous travaillez, vous perdez votre allocation, et recevez un revenu, croissant avec le temps de travail. Comme le taux de taxation sur le revenu est progressif, la courbe a tendance à s’aplatir. On voit directement sur la courbe la trappe au chômage : en-dessous d’un certain nombre d’heures de travail par semaine (trois-quarts temps pour les bas salaires), vous gagnez plus à ne pas travailler du tout. Ceci sans compter évidemment les risques administratifs de perdre son allocation à la transition travail-chômage, et qui découragent ceux qui ont l’opportunité de travailler pour quelques mois seulement.
Dans un système d’allocation universelle (courbe rouge), cette allocation vous est acquise, et le revenu s’additionne à l’allocation. Mais évidemment, comme cette allocation est versée à tout le monde (et donc à beaucoup plus de personnes), le taux de prélèvement et de taxation sera plus élevé de manière générale. La courbe du revenu net disponible s’élève donc dès la première heure travaillée, mais le salaire net et donc la pente de la courbe est plus faible. A un certain niveau de salaire, les courbes se croisent parce que l’allocation universelle versée est plus faible que le surcroît de taxation du système actuel.
Les perdants du système d’allocation universelle sont ceux dont les revenus (hors allocations) sont le plus élevés (au-delà de 2200€ bruts mensuels dans mon exemple), et ceux dont les revenus (hors allocations) sont quasi nuls (moins de 250€ bruts mensuels dans mon exemple). Par contre, ceux qui ont peu de revenus (salaire faible ou temps partiel à très partiels) seraient avantagés.
Au-delà des perdants et gagnants à horaire de travail fixé, le système modifie aussi les incitants à travailler plus ou moins. Sur le graphique, c’est la pente de la courbe qui indique l’intérêt pécuniaire à travailler plus. Dans un système d’allocation universelle, on voit qu’on est peu incité à travailler ou gagner plus ou beaucoup: la courbe est plus plate (les taux de taxation sont plus élevés).
Cette petite discussion aura j’espère clarifié les points suivants:
- une allocation universelle s’accompagne mécaniquement d’une augmentation générale et substantielle du taux d’imposition.
- une allocation universelle constitue globalement un transfert financier des plus riches (tout dépend du mix de taxe qui financerait cette allocation) vers ceux dont les revenus sont plus faibles.
- Une allocation universelle favorise de manière très claire le temps partiel (défini comme tout ce qui n’est pas proche d’un temps plein ou d’une inactivité totale) et est donc un outil puissant en faveur d’une répartition plus homogène du temps de travail.
C’est là à mon sens le principal argument en faveur de l’allocation universelle.
La réponse de Michel Leis :
Mes commentaires sur le texte de Mathieu Van Vyve sont les suivants :
- La faisabilité immédiate n’est pas une garantie de la faisabilité future, la Valeur ajoutée doit se maintenir à des niveaux élevés pour que cette mesure soit pérenne. Du coup, cela pose aussi des questions d’éthique : le montant de la VA tient aussi à l’hypercapitalisme et aux salaires du Bangladesh. C’est une critique qui n’est jamais prise en compte par les tenants de l’allocation universelle.
- Les montants distribués sont une question centrale dans la faisabilité et les choix offerts aux individus. Pour qu’ils soient un outil de choix individuels, il faut qu’ils soient élevés ou que de nombreux services soient gratuits, ce qui du point de vue de la redistribution revient au même. De plus le choix est lié à la géographie, il n’est pas le même à Paris et en province. Si les montants sont trop bas, le revenu universel n’est plus qu’un outil de survie qui ne laisse d’autres choix que travailler. Et la question de la répartition du travail revient intacte, elle est plus importante à mon sens que la question de la trappe à chômage.
- Dans un monde où le travail mute, en particulier vers un travail à la tâche (l’uberisation), il y a un risque important que l’allocation universelle serve de prétexte à un sous paiement des tâches réalisées. De même le lissage des salaires pourrait bien à terme accélérer la disparition des classes moyennes, avec un revenu fortement lissé et des charges insurmontables dans des pans entiers du territoire.
- Dans le même temps, ce que je propose est aussi du ressort de l’allocation, sauf qu’elle n’est pas universelle. Elle est donnée lors des périodes d’interruption de carrière qui sont encouragées et avec un âge de départ à la retraite plus bas. Les paramètres sont flexibles en fonction de la richesse créée. En ce sens, c’est un système de transition qui me semble plus gérable et acceptable qu’une rupture.
- Mes craintes se renforcent encore quand je vois que ces mesures ont un fort soutien des droites populistes (Finlande, Suisse), la crainte majeure est que l’allocation universelle ne soit qu’un instrument de paix sociale (une charité organisée) dans un contexte très inégalitaire.
La réponse de Mathieu Van Vyve à la réponse de Michel Leis :
Je ne vois pas dans la réponse de Michel Leis de réponses précises aux points que je soulève. En particulier qu’une allocation universelle nécessite automatiquement une augmentation radicale de l’imposition (évidemment après on peut discuter du type d’imposition, et c’est à mon sens une discussion importante, mais de second ordre). Et que répartir le temps de travail nécessite de limiter les hauts salaires.
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