Billet invité.
S’il est bien une question qui revient de manière récurrente, c’est le quoi faire. Cette série de billets propose quelques solutions et synthétise un projet de livre : « 2017, programme sans candidat ».
Billets précédents de la série que faire : (I) : L’emploi, (II) : Répartir plus équitablement les richesses et les efforts, (III) : Corriger les déséquilibres du territoire, (IV) Lutter contre le gaspillage, développer une économie soutenable et moins mondialisée, (V) : Poser des limites aux rapports de forces, (VI) : Préserver l’autonomie des choix à l’international.
Il est difficile de résumer un texte plus long qui prend le temps de l’analyse et va plus loin en déclinant les propositions politiques sous forme de mesures. Le texte complet devrait paraître à la rentrée de septembre, ce qui laissera à chacun l’occasion de se faire une idée plus complète.
Alors que le débat sur les primaires est lancé, il faut rappeler que 2017 ne se limite pas aux élections présidentielles, les législatives suivront quelques semaines après. Ce qui est en jeu, c’est l’exercice plein du pouvoir, et par voie de conséquence sa conquête. Dans une démocratie, la victoire aux élections repose sur la capacité de mobilisation des citoyens, organisés ou non en parti, sur des candidats charismatiques et un discours cohérent à même de séduire les électeurs.
Le propre d’une élection présidentielle est de mettre l’accent sur le candidat, sa personnalité et sa capacité supposée à faire changer les choses. Ces dernières années, les déceptions ont été nombreuses. Dans le même temps, les discours tenus par les présidentiables se sont souvent limités à quelques formules-chocs dictées par les impératifs du marketing politique. Quant aux élections législatives qui ont suivi, elles ont surtout été marquées par des tractations politiques et un engagement très limité : le soutien au président élu (ou une opposition inconditionnelle). Ces constats illustrent l’absence d’un débat sur un programme, systématiquement escamoté lors des élections précédentes.
Le rôle d’un programme est de porter le discours politique et d’éclairer les choix des citoyens. Il doit remonter à la source des problèmes, définir des priorités et des choix, identifier et créer les marges de manœuvre nécessaires à la mise en œuvre des actions. On ne traite pas les problèmes les uns après les autres, la cohérence politique exige de garder en permanence une vue d’ensemble, un programme est le garant de cette cohérence.
Dans le contexte actuel, c’est un exercice d’équilibrisme délicat, beaucoup de citoyens ont le sentiment qu’il y a plus à y perdre qu’à y gagner. Dans le discours dominant actuel, même les cures d’austérité sont présentées comme un sacrifice qui permettra de préserver l’essentiel. Autant dire qu’un programme de rupture qui remettrait en cause l’ensemble des repères dans lesquels nous vivons n’a aucune chance de réunir une majorité des suffrages. C’est pourtant une illusion d’imaginer que l’on peut se passer de choix radicaux. Les citoyens en ont parfaitement conscience. C’est ce qui profite à certains partis populistes de droite, l’habilité tactique consiste à promouvoir en guise de programme une radicalité qui ne s’adresse qu’aux autres. Pour autant, la stratégie du bouc émissaire a des limites puisqu’elle ne s’adresse pas au fond du problème.
L’accumulation accélérée des richesses et des rapports de forces se fait au détriment de l’immense majorité de la population. Le ressentiment s’accumule, la nasse se referme, les classes moyennes sont en voie de prolétarisation. Les classes populaires s’installent dans la survie, sans aucune perspective de sortie. Seule l’intensité des rapports de forces maintient encore le couvercle de la marmite.
La question qui se pose aujourd’hui est celle de la cohésion de la société et du territoire, de la rupture ou du renforcement. La rupture remet en cause un modèle à bout de souffle, dans un difficile exercice d’équilibrisme, entre des bouleversements profonds et la reconnaissance d’aspirations légitimes au bien-être matériel, entre des tentations planificatrices qui ont montré leurs carences et une initiative privée qui ne bénéficie pas toujours au plus grand nombre. À l’autre bout du spectre politique, certains partis souhaitent implicitement renforcer et intensifier les rapports de forces, voire recourir à la coercition pour maintenir l’ordre social.
Dans l’optique d’une rupture, reconstruire la démarche politique passe par une compréhension des tendances lourdes de la société, c’est ce que nous avons tenté de faire en introduction de ces différents billets. Une démarche adaptée au monde complexe dans lequel nous vivons doit proposer une réponse aux tendances qui sont à l’œuvre depuis maintenant des années. Nul ne peut prétendre les ignorer au nom de quelques messages simplistes : la croissance ramènera les emplois, la compétitivité est le secret de la croissance, il faut assainir les finances par une cure d’austérité. Il n’est pas question ici d’objectif de croissance ou de la recherche de boucs émissaires. Le dépassement des questions de court terme et de rentabilité nécessite le retour de l’interventionnisme politique, que ce soit en fixant un cadre plus contraignant aux acteurs du système, mais aussi en développant des bras armés, des sociétés dotées de véritables moyens et pouvant dépasser ces contraintes de retour rapide sur investissement.
Une telle approche nécessite des moyens nouveaux, la contrainte budgétaire existe. Les mesures que nous proposons ont un coût, la fiscalité reste le moyen le plus équitable, transparent et durable pour assurer le financement d’un tel programme. Faisons donc un pari : ce n’est pas le montant de l’impôt qui compte, c’est l’adéquation des politiques publiques et des besoins, ce sont les services rendus aux citoyens français, c’est l’existence d’un Etat vraiment efficace au service des individus. Là se trouve la véritable attente.
Dans le débat sur les primaires, j’estime à titre personnel que Thomas Piketty est un bon candidat. Il a déjà beaucoup travaillé sur la réforme de la fiscalité, il a apporté sa pierre aux propositions faites par Podemos lors des élections espagnoles de décembre 2015. Si tant est qu’il se présente et qu’il soit le candidat retenu à l’issue de ces primaires citoyennes, il ne faudrait pourtant pas escamoter la discussion sur un programme ou la faire passer au second plan.
L’objectif de cette série de billets et du livre qui suivra est au final assez simple : contribuer à cette discussion sur un programme. La vision que je défends est celle d’une « société apaisée ». L’objectif est le rééquilibrage des rapports de forces, une politique des territoires et la préservation des ressources rares, que ce soit les biens communs ou le travail. Une « société apaisée » n’est évidemment pas une société sans efforts, sans combats et sans luttes. Se placer dans une perspective de long terme, ce n’est pas écrire un plan quinquennal ou décennal qui s’impose à tous, ce n’est pas décrire une société planifiée dans les moindres détails, il reste une large place pour l’initiative privée : seul le cadre de référence change. C’est une rupture radicale par rapport à notre société, tout en restant sur le fond une vision sociale et démocrate au sens premier du terme. L’ambition n’est pas de régir tous les détails de la vie publique et de l’économie, elle est de construire un monde de règles qui préservent le vivre ensemble. Des règles qui posent des limites à la prédation qu’exerce une infime minorité d’individus sur le reste de la société. Des règles suffisamment fortes pour imaginer que l’issue des luttes à venir ne soit pas à sens unique. Une société apaisée, si tant est qu’elle puisse voir le jour, n’est pas une fin en-soi et encore moins la fin de l’histoire. Elle définit simplement un nouveau point de départ pour un futur qui reste à écrire.
Le danger ne vient pas seulement de D.Trump, mais plus particulièrement de son ‘oligarque’ E.Musk, et l’on comprend mieux maintenant…